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Le Capharnaüm Éclairé
1 mars 2023

"Stupéfiant Moyen-Orient" de Jean-Pierre Filiu

Le contenu : La révélation de scandales liés aux stupéfiants alimente régulièrement l’actualité moyen-orientale. Mais sait-on que l’addiction de masse qui frappe l’Iran moderne trouve sa source dans une dépendance à l’opium diffusée depuis un demi-millénaire au sein de la société persane ? Que la position hégémonique sur le marché de l’héroïne qu’occupe aujourd’hui l’Afghanistan se fonde sur le choix d’un souverain modernisateur de développer, au début du siècle dernier, la culture du pavot ? Que le régime Assad, bien avant de devenir le principal producteur mondial de captagon, a longtemps joué un rôle névralgique dans les réseaux mondiaux d’héroïne, à partir des raffineries installées sous son contrôle au Liban ?

 

Au-delà de la mise en perspective d’une actualité brûlante, et loin des clichés culturalistes, l’ambition de ce livre est de remonter la trame historique du Moyen-Orient sous l’angle de la production et de la consommation des stupéfiants. Un fascinant voyage à travers les siècles, de l’Antiquité jusqu’à l’époque contemporaine, en passant par les Abbassides et les Mamelouks, l’empire ottoman, ou encore l’expédition d’Égypte, avec pour guide l’un des meilleurs spécialistes de la région.

 

Une histoire de pouvoir et de société qui confirme, sur la longue durée, que "plus la répression est dure et plus les drogues le sont". Une leçon à méditer.

 

La critique de Mr K : Une fois n’est pas coutume, je vais vous parler d’un essai, un genre que je ne lis plus trop préférant me plonger dans l’imagination romanesque. Mais voila un ouvrage qui m’a fait de l’œil dès que j’en ai entendu parler avec un sujet bougrement intéressant et aux manettes un spécialiste universitaire du Moyen-Orient officiant à Sciences-Po (oui je sais, ça en jette !). Stupéfiant Moyen-Orient de Jean-Pierre Filiu se lit quasiment d’une traite (il faut bien dormir) et se révèle aussi passionnant que facile d’accès.

 

L’auteur remonte le temps jusqu’à la période Antique. Le cannabis était déjà connu et on l’utilisait uniquement en médecine notamment chez les Égyptiens et les Assyriens. En Perse, dans le cadre de la religion zoroastrienne, certaines plantes aux vertus hallucinogènes comme l’éphédra servaient à la concoction de boissons servies lors de certains rites de passages... Les traces et témoignages sont nombreux et c’est seulement au Moyen-âge que le haschich ça commencer son expansion en terme récréatif car il est beaucoup moins cher que le vin et procure lui aussi une certaine ivresse...

 

Face au développement de ces différents psychotropes, les positions évoluent constamment alternant permissivité, prise en main étatique de la production et interdits religieux. Rien n’est vraiment clair dans les textes religieux évoqués et la donne est constamment rebattue entre Perse, Empire Ottoman et les autres territoires moyen orientaux. Rajoutez plus tard une louche de colonialisme avec des puissances occidentales qui trouvent leur compte dans l’affaire et cela donne une Histoire riche en péripéties et rebondissements parsemée de conflits, de répressions et au final une production et une consommation toujours en hausse.

 

La deuxième partie de l’ouvrage est beaucoup plus contemporaine avec de grands focus sur l’Afghanistan et sa malédiction, l’Iran où un fort pourcentage de la population est accro culturellement à l’opium, les affaires florissantes de la famille Assad à la tête de la Syrie véritable plaque tournante de l’héroïne puis du captagon, Israël, la Turquie, le Liban ne sont pas en reste avec pour chacun de ces cas une collusion forte entre pouvoir, répression et gestion des réseaux. Tout cela est évidemment remis en perspective avec l’Histoire avec un grand H et des événements marquants oscillant entre la Guerre Froide (l’épisode afghan), le 11 septembre et les récents développements dans la région sous fond de tension extrême et continue.

 

Il est impossible de tout résumer tant la matière est riche. En un peu plus de 200 pages, l’auteur nous offre un panorama complet, une vision historienne non partiale qui renvoie les responsabilités aux détenteurs de la bien-pensance pour se consacrer à l’aspect culturel et politique du phénomène. C’est frais et ça change des discours lénifiants d’un Darmanin totalement à côté de la plaque ou des discours démagos de certains membres de la gauche extrême. Une chose est sûre en tout cas, plus la répression est rude, plus le phénomène s’amplifie et finalement rien n’est résolu. Si la permissivité totale est à l’inverse de mise, on se retrouve avec parfois entre 25 à 30% d’addicts...

 

Le voyage, vous l’avez compris, est stupéfiant dans tous les sens du terme. Il se fait avec un plaisir renouvelé et avec une facilité déconcertante. Jean-Pierre Filiu se met au niveau du lecteur lambda, se montre pédagogue, avance ses pions avec une science sans faille et dresse un tableau saisissant. À lire absolument si le sujet vous intéresse, si vous êtes curieux de décrypter certains événements marquants de l’Histoire et si vous souhaitez au passage déconstruire certains clichés.

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