"Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c'était par amour ok" de Michelle Lapierre-Dallaire
L’histoire : J’ai eu peur de mon désir... Je me sentais aspirée vers le fond, vers une noirceur exquise. Je sentais que vivre, pour une fois, rivalisait avec l’intensité et l’ivresse de la mort.
À force de désir, d’émotion, de douleur, l’auteure de ces lignes a connu plusieurs morts, pour revivre avec une ardeur insolente.
Depuis l’adolescence, elle teste les contours de son corps, de son être et de sa liberté, sans demander la permission d’exister.
La révolte dans la peau, elle dresse un témoignage incisif et lucide sur la manière de vivre, la violence familiale, la maladie mentale, et les relations sexuelles. Comment assumer puis rejeter les agressions subies depuis l’enfance et l’adolescence pour ne plus jamais être le jouet des hommes.
La critique de Mr K : Dans la catégorie des premiers romans, Michelle Lapierre-Dallaire frappe un très grand coup avec Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok, un livre incandescent, brut de décoffrage. Véritable déflagration littéraire, ça heurte, ça fait mal, c’est même malaisant... mais c’est profond et essentiel dans son propos. C’est un roman qui vous prend aux tripes d’entrée de jeu, le genre d’ouvrage qui resserre son emprise, vous étouffe, vous transporte et vous déchiquette sans vergogne tout en nous rendant totalement accro. Une très très grosse claque pour ma part.
Le livre s’ouvre sur un "avertissement" annonçant que le roman aborde des sujets sensibles : "troubles de la santé mentale, suicide, agressions sexuelles, pédophilie, violence, troubles alimentaires, alcool et drogues". Il est clair que les âmes sensibles peuvent passer leur chemin, le propos est bien borderline, totalement barré, extrême. Pour autant pour les courageux, les amateurs de récits jusqu’au boutiste (et j’en fais partie), l’expérience est totalement enivrante, fascinante et au final totalement enthousiasmante malgré des situations rudes et un personnage totalement en roue libre.
L’auteure / narratrice a vécu des choses affreuses dès son plus jeune âge car à partir de ses cinq ans, elle a été régulièrement abusée par un beau père pédophile. La mère finit par se suicider bien plus tard mais aura laissé faire... Autant vous dire que ça vous détruit une personne, un psychisme, et le récit s'en fait l’écho à travers une structure générale chaotique (du moins en apparence) où Michelle Lapierre-Dallaire ne respecte pas la chronologie mais propose des "confessions" instantanées qui s’entrechoquent temporellement entre flash-back et présent, entre la jeune femme désaxée et la petite fille désorientée et exploitée.
La jeune adulte se livre totalement et a pour le moins une sexualité libérée, déviante diront les pudibonds. Elle poursuit à travers ses aventures d’un soir une forme de quête d’amour, de reconnaissance, tout ce qu’elle n’a jamais vraiment connu. C’est profondément mélancolique, désespérant même de voir ce comportement auto-destructeur, cette folie douce, ce désordre mental exposé à nu causé par une souffrance extrême et une perte de repères totale. Mais on s’attache à elle, on veut qu’elle s’en sorte, que cesse sa consommation inextinguible de sexe, de drogue. On l’aime nous et on aimerait tellement qu’elle aille mieux.
Le style d'écriture m’a fait pensé à du Despentes, c’est crû, c’est rude, c’est féministe. On est dans le frontal, le direct à l’estomac littéraire au service de personnages forts, de rébellion incandescente et de dénonciation de la perversité humaine notamment la misogynie qui a entouré l’héroïne durant la majeure partie de son existence. La langue oralisante, thrash et poétique à la fois m’a bien souvent laissé pantois et admiratif malgré des crispations et des nœuds au ventre. C’est aussi pour ce genre d’expérience que j’aime autant la lecture. Un authentique chef d’œuvre à mes yeux.
"A un étage près" de Jérôme Baccelli
L'histoire : Trois employés mis le même jour à la porte de leur entreprise se retrouvent dans un ascenseur avec le financier à l’origine de leur départ. Soudain l’appareil s’immobilise. Les portes s’ouvrent sur un étage recouvert de sable : une terra incognita. En un instant le monde auquel ils ont tout donné au mépris de leur propre vie se trouve effacé.
La critique Nelfesque : Une quatrième de couverture intrigante pour un ouvrage qui ne l'est pas moins. Sommes-nous ici en présence d'un roman contemporain ou fantastique ? Que nous réserve cette histoire "A un étage près" ?
Jérôme Baccelli nous offre un roman à la confluence du contemporain, de la philosophie et du surnaturel. Une critique acerbe et totalement justifiée du monde du travail dans certaines entreprises et dans le milieu de la finance en particulier. Un univers froid et sans place pour l'affect, des chiffres et profits pour unique étendard et un monde aseptisé fait de béton, de tours de verre et d'open-spaces.
On suit ici plusieurs personnages travaillant pour la même holding. Pour l'un c'est l'heure de la retraite, pour les autres celle de la porte sans ménagement, du RDV DRH énigmatique... On ne connaît rien d'eux si ce n'est qu'ils ont comme point commun cette haute tour d'une trentaine d'étages dans laquelle ils vont se retrouver coincés à la suite d'un incident d'ascenseur. Jusqu'ici, rien d'étrange ou incongru. Mais c'est lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrent que l'histoire prend une toute autre tournure. Un étage inconnu ou abandonné s'ouvre à eux, un étage étrange où le sable s'est accumulé en formant des dunes, où rien ne bouge et rien ne vit. Mais a-t-il déjà été occupé ? A quoi doit-il son existence même ? Pourquoi est-il là et que peut-il devenir ?
Cet incident, cet étage hors du cadre de la vie "normal" va être leur point de ralliement, leur bouée d'ancrage, le lieu où ils vont apprendre à se connaître entre eux mais aussi eux-même, celui où ils vont s'ouvrir dans un monde si peu propice aux échanges. "A un étage près" est un ouvrage par lequel on se laisse porter, bercer et envoûter. Le lecteur navigue avec les personnages dans une sorte de brume surnaturelle, se questionne, ne sait pas où tout cela va le mener mais se laisse prendre la main avec confiance. D'une lecture aisée, on aborde pourtant des thèmes philosophiques tels que le sens de la vie, la mort, la place du travail dans notre existence, la beauté... Par petits pas, chaque personnage va avancer dans ses réflexions et ouvrir des portes vers d'autres possibles. Réinventer leur monde, réinventer le monde.
Lu au cœur de la nuit, l'écrin parfait pour cette parenthèse hors norme, "A un étage près" est une expérience à vivre, une fable du XXIème siècle laissant entrevoir tous les possibles. A découvrir !
"Ma lumière" de Franck Bouysse et Mélodie Baschet
L'histoire : Si j'étais peintre, je peindrais des tableaux invisibles.
Si j'étais sculpteur, je sculpterais le vide.
Maman dit qu'on a tous un talent, qu'il faut le découvrir et le faire grandir. Un jour viendra.
En attendant, j'écris des livres dans ma tête.
La critique Nelfesque : C'est un album particulier que je vous propose de découvrir aujourd'hui. C'est principalement parce que Franck Bouysse en est l'auteur que j'ai souhaité le lire. Auteur d'une quinzaine de romans contemporains, notamment "Né d'aucune femme" bouleversant et à l'écriture magnifique, ou encore "Buveurs de vent" ou "Grossir le ciel", chacun de ses ouvrages marque profondément. Tout naturellement, j'ai donc voulu voir ce que sa plume donnerait avec un album jeunesse. Ma curiosité l'a emporté...
Voici donc le premier album jeunesse de Franck Bouysse ! La plume est douce et mélancolique à la fois. On éprouve émerveillement et mélancolie en parcourant ces pages. Qui est cet enfant qui vit seul avec sa maman dans une chambre d'hôtel ? Pourquoi ne va-t-il pas à l'école comme tous les enfants ? Que cache sa sensibilité si particulière au monde qui l'entoure ? Nous sommes ici dans la tête de ce jeune garçon, dans son imaginaire foisonnant, lui mis à l'écart du monde par une mère protectrice. Pourquoi est-il ainsi protégé ? Le texte est puissant, poétique, intime.
Les illustrations de Mélodie Baschet, que je découvrais pour l'occasion, répondent parfaitement au texte. Elles sont elles aussi foisonnantes, luxuriantes, colorées. Elles sont le reflet de l'âme du petit garçon dont la vie tourne autour de sa mère mais qui a aussi accès à un monde dont lui seul connait l'existence grâce à elle.
"Ma lumière" parle avant tout d'amour, de différence, de l'attente. C'est un album à part, profondément humain et attachant, à découvrir à partir de 6 ans.
"Le Fidèle Rouslan" de Gueorgui Vladimov
L’histoire : Sommes-nous une nation de chuchoteurs, d'ordures et de mouchards, ou sommes-nous un grand peuple ? - Gueorgui Vladimov
À travers le portrait de Rouslan, chien de garde dans un goulag, Gueorgui Vladimov livrait un brûlot, description aussi fascinante que glaçante de l'enfer concentrationnaire et, au-delà, de l'atroce absurdité du système soviétique. Écrit au début des années 1960, publié clandestinement en Allemagne en 1973 par une maison d'édition fondée par des réfugiés russes, puis en France en 1978 au Seuil, Le Fidèle Rouslan ne paraîtra en URSS qu'après la perestroïka.
La critique de Mr K : Lecture d’une œuvre rééditée chez Belfond aujourd’hui dans leur collection Vintage. Attribué à tort pendant un moment à Soljenitsyne, Le Fidèle Rouslan est l’œuvre de Gueorgui Vladimov, un autre dissident soviétique, plus méconnu et que je découvrais par le présent ouvrage. Par le prisme de Rouslan, chien de garde du goulag, il nous offre un regard distancié et totalement novateur sur l’URSS de l’époque, dénonçant au passage son absurdité et l’aliénation de l’humain qui était monnaie courante dans l’appareil répressif du régime.
Le récit débute après la mort de Staline, dans un camp de travail de Sibérie qui vient d’être démantelé. L’auteur nous met dans la peau de Rouslan, un berger allemand chargé de garder, surveiller les prisonniers voire poursuivre les fugitifs, les mordre, les tuer. Il ne comprend rien à ce qui se passe, lui qui a toujours vécu dans ce lieu clos où il est né et où il a grandi. Quand un chien ne sert plus, son maître se doit de l’abattre... celui de Rouslan décide de l’abandonner et celui-ci ne comprend pas que l’être qu’il vénère le plus puisse faire cela. Totalement perdu, il se retrouve dans un univers qu’il ne connaît pas.
Le point fort de ce roman réside dans le fait que l’auteur ne prête aucun sentiment et réaction humaine à son protagoniste principal. Pas d’anthropomorphisme donc, seulement un chien fidèle, obéissant, programmé et conditionné pour être ce qu’il est. C’est très bien ficelé avec des flash-back bien pensés et une hauteur de vue toujours placée au niveau de l’animal. C’est un peu désarçonnant au départ mais on s’y fait très vite et l’effet est terrible quand on commence à se confronter aux horreurs perpétuées à l’époque au nom de la sainte cause.
Le point de vue adopté évite de tomber dans le déballage frontal, le listing d’horreur. Il se dégage un portrait bien sombre des hommes qui sont loin d'avoir la candeur naturelle de l’animal, trahissent et pervertissent les plus beaux idéaux. La critique est acide à commencer par le système communiste qui a condamné des centaine des milliers de personnes aux travaux forcés durant des décennies. Par petits bouts, quelques évocations, des scènes parfois froides et brutales, on replonge dans une réalité terrible qui malheureusement n’a pas totalement disparue...
Ce roman, bien qu’écrit il y a cinquante ans, n’a pas vieilli tant son écriture semble intemporelle, provoquant une empathie totale envers Rouslan et une immersion saisissante dans une URSS loin des clichés véhiculés en occident. L’expérience est belle quoique rude et source de malaise. Dans son genre, cet ouvrage est une référence et il serait vraiment dommage de passer à côté.
"Poutine : L’ascension d’un dictateur" de Darryl Cunningham
L’histoire : De ses origines de petit voyou dans les cours d’immeubles sales et infestées de rats de la Leningrad de l'après-guerre jusqu’à sa place actuelle parmi les hommes les plus puissants du monde, en passant par son ascension dans les rangs du KGB, voici l’histoire de Vladimir Poutine.
La critique de Mr K : En 2020, j’avais découvert tout le talent de Darryl Cunningham avec son épatante L’ère de l’égoïsme, une BD documentaire complète et accessible sur les relations délétères entre l’économie, la politique et les masses. On change de sujet ici (même si on y retrouve quelques thématiques communes) avec cette biographie sans concession du maître du Kremlin. Une fois de plus, on a affaire à une œuvre intelligente, parlante et éclairante... mais pas des plus rassurantes !
Cette édition empruntée au CDI est une réédition de début 2022, juste après le début de l’agression russe sur ses voisins ukrainiens. Un avant propos dessiné de l’auteur a été rajouté afin de contextualiser pour les lecteurs actuels. Darryl Cunningham lance ensuite les hostilités en revenant sur les origines du jeune Vladimir Vladimirovitch Poutine. J’avoue avoir été un peu déçu par cette partie de sa vie très vite traitée, en à peine huit pages on en a fait le tour. Sans doute les sources ne sont pas fiables ou peut-être tout simplement, a-t-on très peu de choses à en dire...
Puis c’est l’entrée au sein du KGB et le début de l’ascension. Même si à partir de là, il y avait énormément d’éléments que je pouvais connaître, l’ensemble est bien mené, rafraîchit la mémoire et surtout remet tout cela en perspective avec les soubresauts de l’Histoire, notamment le début de la fin pour l’URSS qui va marquer à jamais le futur dictateur. Très pédagogique, on revient notamment sur la politique de réforme de Gorbatchev qui va précipiter les événements et installer Eltsine au pouvoir, l’homme qui va véritablement lancer la carrière purement politique de Poutine.
Au delà de la volonté de restaurer la Grande Russie, Poutine est avant tout un homme qui s’est enrichi sur le dos de son peuple et de son pays. Il est d’ailleurs sans doute un des hommes les plus riches du monde avec un nombre incalculable de liens financiers et économiques, des années de corruption organisée calquée sur les méthodes mafieuses. Il dirige un monde où on n’hésite pas à dégommer les opposants et les gens trop curieux. On se rappelle encore des meurtres de journalistes, d’hommes et de femmes politiques opposés à lui, même de professionnels de la justice (rappelons que Poutine lui-même a suivi un cursus de droit). La liste est longue, égrainée au fil des pages... toutes ces disparitions servent le maître du Kremlin même si officiellement on ne peut relier ces morts à Poutine.
Au fil du récit, on prend conscience de l’ampleur du système mis en place et la faiblesse de l’occident face à cette montée en puissance. Bien évidemment on pense à Trump et sa bêtise abyssale qui a fait couler son pays, son copinage coupable qui a laissé les coudées franches au roi du kremlin. Mais l’Europe n’est pas en reste et pendant ce temps là, Poutine étend son emprise, intervient fortement et illégalement sans personne pour s’opposer à lui : Tchétchénie, Syrie, Géorgie, Ukraine... le tout en enfermant la Russie dans un carcan totalitaire où l’on vit dans la peur, baigné dans une propagande aliénante où la démocratie n’est plus qu’un leurre et où les malheureux qui veulent changer les choses sont tracassés, stigmatisés, emprisonnés voire pire... Quelle tristesse quand comme moi on aime la culture russe, notamment ces grands écrivains et artistes qui ont pu m’apporter tant de joies et d’émerveillements.
Le contenu est dense, magnifié par les dessins minimalistes mais précis et très évocateurs d’un Darryl Cunningham soucieux de vérité historique et engagé dans la défense de la démocratie au sens large. Cette lecture bien que rude remet bien les idées en place et expose sans fard la terreur poutinienne et les lâchetés occidentales. Un petit bijou que je vous invite à découvrir tant il paraît essentiel à la vue des événements actuels. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas après cette lecture...
"Temps calme, pleine tempête" de Julien Decoin
L’histoire : Un père veut rejoindre sa femme sur une île, il est en compagnie de sa petite fille de 5 ans à laquelle il n’a pas pu consacrer autant de temps qu’il aurait voulu lors de ces premières années de paternité. Arrivés au port d’embarquement pour le dernier tronçon en ferry, tout se complique. Une foule attend. Des menaces planent. C’est la cohue. In extremis, le père et sa fille trouvent refuge dans un hôtel où tous les clients sont bientôt confinés.
Face à sa fillette, dans le huis clos de la chambre, le père ressent sa profonde tendresse pour elle, mais aussi ses regrets, et une forme de culpabilité. La relation ambiguë qu’il établit avec la jeune responsable de l’établissement ne fait que raviver son sentiment de faute. Au téléphone, l’épouse et mère patiente, puis s’inquiète. Ils sont si près. Ils sont si loin. Finalement, le narrateur prend le risque de s’aventurer en bateau, malgré une mer déchaînée. À quoi tient la vie ?
La critique de Mr K : Une bien chouette lecture que ma lecture de Temps calme, pleine tempête de Julien Decoin, paru chez Seuil en ce début d’année. Ce récit mettant en scène un père et sa fille de cinq ans m’a profondément touché et m’a embarqué immédiatement.
La narrateur doit rejoindre sa femme sur une île avec sa gamine de cinq ans, ils partent de la capitale vers la mer pour entamer ensuite la traversée. Malheureusement, le voyage ne se passe pas comme prévu, il n’y a plus de bateau et une mystérieuse épidémie condamne la population au confinement. Toute ressemblance avec des événements récents serait purement fortuite... Les voila tous les deux coincés à l’hôtel, tous les deux seuls au monde ou presque. Les conditions d’introspection pour le narrateur sont idéales...
J’ai adoré la relation père / fille, forcément pour moi jeune père d’une petite poule de trois ans, l’empathie ne pouvait que fonctionner, l’identification s’est faite automatiquement. Il y a cette tendresse unique, ce lien indéfectible qui transpire des pages malgré un regret perlé de la part du narrateur, son absence chronique lié à son métier, sa tendance à boire un peu plus que de raison (sans pour autant tomber dans l’alcoolisme), son inattention larvée qui lui font comprendre qu’il passe peut-être à côté de quelque chose.
Cet isolement forcé dans un hôtel va l’obliger à faire face à lui-même, au rapport qu’il entretient avec sa fille. La maman est loin, seulement présente au bout du fil lors de communications téléphoniques qui ponctuent les différents moments du récit. Le père et la fille se retrouvent à partager nombre de petits moments riches en symbolique, en émotions diverses. Lui l’homme parfois lointain doit rassurer cet être si fragile, si innocent. Ils s’amusent aussi, explorent, cohabitent au sens propre dans une chambre d’hôtel. C’est beau, c’est pur, ça touche en plein cœur.
On croise peu de monde dans cet ouvrage en dehors de la foule anonyme qui au départ s’amasse pour attraper le dernier bateau. L’auteur se focalise sur cette relation si forte. À partir du moment où l’action se concentre dans l’hôtel, apparaît un personnage féminin en la personne de la tenancière, une jeune femme sympathique et attirante avec qui le narrateur va nouer une relation ambiguë entre séduction, amitié et rapport client / prestataire. Là encore, l’auteur fait preuve de grande finesse avec une psychologie fine, une science du détail dans les réactions et les échanges qui rajoutent une dimension au héros, sa dimension d’homme, de mari aussi.
Il y a un aspect initiatique dans ce récit lent, langoureux, qui expose beaucoup, donne à réfléchir sur soi, sur son rapport avec ses proches. La langue accessible, simple et complexe dans ce qu’elle sous-entend vous enveloppe et vous transporte dans une expérience de lecture profonde et finalement apaisante malgré des péripéties parfois dramatiques. Un roman à découvrir.
"Thelma" de Caroline Bouffault
L’histoire : Certains ont des amis imaginaires ; d’autres, des tyrans intérieurs. Celui de Thelma s’appelle l’Entraîneur. Il règne sur son quotidien, lui enjoint de compter les calories et lui impose une discipline de fer. Soumise à sa loi, la lycéenne épuise son entourage et flirte avec l’abîme. Mais avec l’appui de son amie Violette, une issue se dessine : du marathon ou de la séduction de son professeur de sport, quel projet déraisonnable saura la tirer des griffes de l’Entraîneur ?
Combative et lucide, fragile et ironique, Thelma tâche de s’inventer un chemin parmi des adultes aussi désorientés que leurs cadets.
La critique de Mr K : Gros coup de cœur que cet ouvrage sorti début janvier chez la toute jeune et prometteuse maison d’édition Fugue. Dans Thelma de Caroline Bouffault, on rentre dans l’intimité d’une adolescente atteinte d’anorexie mentale, une maladie terrible qui lui pourrit la vie et celle des ses proches. À la fois vif et juste, voila un récit initiatique que je ne suis pas prêt d’oublier.
L’adolescence est souvent une phase difficile, une période de métamorphose qui met à mal les certitudes de tous dans une famille. Pour Thelma et les siens, c’est l’enfer. La jeune fille refuse de s’alimenter depuis plusieurs mois, elle vit dans la hantise de prendre du poids. Un être imaginaire (le fameux entraîneur évoqué en quatrième de couverture) la sermonne dès qu’elle s’offre un petite plaisir (vraiment tout petit) et elle est suivie de près par son médecin et un psychologue. Elle n’est pas loin de l’hospitalisation et flirte constamment avec la limite.
Rien pourtant ne semble la prédisposer à cette pathologie terrible, elle a une vie plutôt posée et tranquillisante. Deux parents à la maison, une petite sœur pas trop pénible (si si, ça existe), une meilleure amie fidèle et à l’école, ça ne se passe pas trop mal, même si elle n’est pas la plus populaire. Elle est douée, apprend vite, est perfectionniste et l’avenir lui est tout ouvert. Mais la maladie est bien là, sapant ses forces, fragilisant ses relations sociales et familiales.
Mais c’est sans compter son amie Violette qui la rebooste régulièrement, l’écoute, la comprend. Puis Thelma n’est pas une petite chose fragile, elle est combative, lucide, solaire même et peu à peu un projet un peu fou fait corps dans son esprit : celui de séduire le prof de sport du lycée qui souhaite la faire participer à son premier marathon, elle qui court régulièrement jusqu’à l’épuisement pour fuir le monde et sa souffrance, se recentrer. La thérapie par le sport, tel est le credo du prof, il la prend pour une personne et non comme une malade, et ça change tout.
L’univers de l’adolescente est superbement décrit, décortiqué dans cet ouvrage qui fait la part belle au réalisme, sans en rajouter, avec le juste dosage entre pensées intimes et tranches de vie. On passe d’un personnage à l’autre, multipliant les points de vue ce qui enrichit considérablement le propos. Thelma et sa maladie qui impacte tout le monde, de différentes manières et dont tous les aspects se complètent, proposant un tableau familial et social crédible et saisissant. On s’attache immédiatement à tous ses personnages ballottés par la vie mais que des liens très profonds unissent : Thelma qui veut s’en sortir et retrouver ce qu’elle a été, les parents désarçonnés et parfois à bout de nerfs face à la situation, la jeune Billie qui voudrait que sa sœur aille mieux... Les repères classiques sont bousculés, des révélations pas anodines livrent leurs vérités en fin d’ouvrage.
C’est remarquablement écrit, le récit vous happe immédiatement et ne relâche jamais son étreinte. L’addiction est profonde, l’empathie fonctionne à plein et le coup de cœur est immédiat. Caroline Bouffault réussit à décrire avec maestria l’adolescence dans toute sa complexité entre espoirs, grâce et rage de vivre. Elle aborde aussi de façon intelligible une maladie trop méconnue et pourtant dévastatrice avec une écriture très sensuelle / sensorielle où les souffrances physiques et psychiques se conjuguent avec l’éveil du désir, la quête d’identité et la prise de conscience du rapport aux autres.
Thelma est à lire absolument et à faire découvrir au plus grand nombre car ce roman restera dans vos cœurs à tout jamais...
"Les Orphelines du mont Luciole" d'Isabelle Rodriguez
L’histoire : Des champs sauvages, trois fermes, une école à classe unique à l’ombre d’un orphelinat abandonné. Au village, on dit que toutes ses pensionnaires y sont mortes d’un coup, fauchées par la grippe espagnole au lendemain de la Grande Guerre. On ne sait rien de plus. Une enfant refuse l’oubli. Les orphelines sont ses fées. Alors, quand des promoteurs débarquent pour construire un lotissement à l’endroit de leurs tombes, elle promet de revenir, adulte et conquérante. De sauver la colline et ses légendes.
La critique de Mr K : C’est un avis mitigé que je vais partager avec vous aujourd’hui avec ma chronique consacrée à l’ouvrage d’Isabelle Rodriguez, Les Orphelines du mont Luciole, sorti en tout début d’année dans la jeune maison d’édition Les Avrils que je découvrais par la même occasion. Il est ici question d’héritage, de souvenirs et d’identité. Tout pour me plaire en quelque sorte même si la sauce n’a pas pris chez moi...
Divisé en deux parties, l’ouvrage raconté à la première personne met en scène une femme qui se souvient de la petite fille qu’elle était, qui a grandi dans le village de Sorcelin, lieu qu'elle continue d’adorer. Les relations familiales dans le milieu populaire dont elle est issue, les rues, les vieilles pierres, la nature... tout est prétexte à une douce nostalgie qui s’exprime tout au long de ces pages. Elle est tout particulièrement fascinée par un orphelinat abandonné où sont mortes des jeunes filles des suites de la grippe espagnole après la guerre de 14. Elle pense à elles, s’occupe de leurs tombes, leur parle même, entretient en quelque sorte leur mémoire. Et puis, c’est le retour des années plus tard avec la transformation du village, sa modernisation, ses changements qui modifient l’image qu’elle s’en est faite sans pour autant totalement la transformer.
L’auteure est plasticienne et cela se sent dans son écriture atypique avec une syntaxe différente de ce que l’on a coutume de lire, une langue innovante, très poétique, sensible. On est immergé dans cette rêverie solitaire, ce plaidoyer pour une sorte de mémoire qui a construit la personne qu’est devenue la jeune fille. Ce récit initiatique est d’une profondeur somme toute impressionnante... mais malheureusement je n’ai finalement jamais vraiment pu rentrer dedans. La faute sans doute à un style que j’ai trouvé au final étouffant, l’absence de dialogue plombe aussi le rythme... Peut-être n’était-ce tout simplement pas le bon moment pour moi de le lire ? Je n’ai donc pas accroché malgré tout le talent de l’auteure en terme d’écriture et la finesse psychologique des protagonistes évoqués, la portée du sous-texte...
Je pense que c’est vraiment à chacun de se faire son idée sur ce roman, les avis sur la toile sont plutôt très positifs. Des fois il y a des rencontres qui ne se passent pas bien. C’était le cas entre moi et ce livre en ce mois de janvier... N'hésitez pas à le découvrir à votre tour pour qu'on en discute dans les commentaires !
"Mais qui a tué Harry ?" de Jack Trevor Story
L’histoire : Alors qu’il vadrouille en forêt par un beau jour d’été, Abie, petit garçon de quatre ans, bute sur le corps d’un homme étendu au milieu des fougères et des rhododendrons, en ce charmant coin de campagne anglaise. Harry est mort, et son cadavre est bien encombrant pour les membres de la petite communauté qui peuple la lande de Sparrowswick. Plusieurs fois découvert, caché, enterré, exhumé au cours d’une même journée, le défunt déclenche une série de quiproquos, et sera le révélateur des turpitudes secrètes des villageois, qui tous ont de bonnes raisons de craindre d’être accusés de meurtre. Mais l’incident, cause de beaucoup d’angoisse, encouragera également le rapprochement de quelques êtres, les situations aiguës stimulant semble-t-il sentiments et passions...
La critique de Mr K: Petit emprunt bien sympathique que cet ouvrage pris une fois de plus au CDI de mon établissement et que j’ai lu au tout début du mois de janvier. Mais qui a tué Harry ? De Jack Trevor Story est un mystère criminel bien troussé, très drôle, très british. On passe vraiment un très bon moment entre jubilation et suspens très prenant.
Un jeune garçon découvre un cadavre lors d’une de ses expéditions dans la lande environnante. Il rapporte la nouvelle à sa mère mais pendant ce temps-là, d’autres personnes de la communauté de Sparrowswick tombent nez à nez avec le mort, le fameux Harry qui donne son nom au roman. C’est le début d’un récit mené tambour battant et qui accumule dialogues enlevés, quiproquos à gogos, scénettes délirantes et révélations croustillantes.
En lisant ce roman, on se retrouve un peu dans une ambiance à la Monty Python avec tout d’abord des personnages bien décalés avec un ancien capitaine qui part à la chasse et s’impute un peu trop vite la mort d’Harry, une vieille fille en goguette qui tombe sous son charme, une mère qui ne semble pas faire cas de la disparition de son mari, un artiste-peintre campagnard attaché à sa liberté, une épicière humaniste en admiration devant l’œuvre de l’artiste local et dont elle essaie de vendre les productions sans y parvenir, un couple illégitime qui batifole à l’air libre. En soi, rien ne laisse présager que tous à leur manière sont cintrés !
Au fil de leurs interactions, rencontres, échanges, on se dit qu’ils ne réagissent vraiment pas comme tout le monde. On baigne dans l’absurde total, du Alfred Jarry à la sauce anglaise qui provoque le rire face aux situations qui nous sont données à lire. On bouscule ici la bienséance, la morale élémentaire au détour de considérations qui dépassent l’entendement, la morale commune. Cette lecture est truffée de gags désopilants, de dialogues savoureux qui donnent à cet ouvrage un ton théâtral bienvenue et provoque une addiction absolue. Le cadavre quant à lui va être déplacé, enterré et déterré plus souvent que de coutume !
L’aspect policier à suspens est très bien rendu aussi. Il faut vraiment attendre la toute fin de l’ouvrage pour démêler le vrai du faux tant l’auteur s’amuse tout du long à nous diriger dans de multiples directions. On accumule les hypothèses, on doute, on se plante, on repart en sens inverse, on se triture la cervelle tout en se gondolant. Jubilatoire et très plaisant car servi dans une langage subtile, millimétrée et efficace en diable, ce livre se lit d’une traite.
Son seul défaut est sa brièveté, on aimerait en lire plus même si c’est justement de son format court que l’ouvrage tire toute sa puissance.Je n’ai pas vu l’adaptation qu’en a fait Hitchcock mais je pense que ça peut vraiment donner quelque chose de très bon, je vais me pencher sur la question dans les mois à venir...