"La Bête" de Chabouté
L’histoire : Dans un petit village perdu au fin fond des montagnes, des loups ont été réintroduits depuis peu. Or, un habitant vient d'être retrouvé, affreusement mutilé. Les villageois accusent bien évidemment les loups.
L'inspecteur Tarpon, dépêché sur place malgré la neige qui risque de bloquer le col, mène l'enquête avec désinvolture et s'apprête à vite classer l'affaire. Seulement, voilà... La neige n'est pas d'accord, et notre bonhomme se retrouve coincé, avec le choix de s'ennuyer ou d’enquêter. D'autant plus qu'un deuxième meurtre se produit.
Étrangement, la victime n'a pas été tuée par des dents, mais par des griffes. Des griffes de 20cm...
La critique de Mr K : Quel plaisir de retrouver Chabouté, un auteur de BD que j’aime tout particulièrement et qui cumule régulièrement les casquettes de scénariste et de dessinateur ! La Bête dont je vais vous parler aujourd’hui fait partie d’un lot de bandes dessinées que Nelfe avait raflé lors d’un désherbage de médiathèque proche de chez nous. Quelle trouvaille ! Bon, en même temps avec cet auteur on ne prend pas trop de risque... mais cette enquête dans un village perdu au milieu de la montagne est prenante de bout en bout et propose des planches de toute beauté.
Une nuit, un homme court seul dans la neige au milieu de la forêt. Il est suivi, il a peur. Il finira raide mort et son cadavre affreusement mutilé est retrouvé le lendemain. Quelques jours plus tard, débarque au village un homme taciturne qui se révèle être un inspecteur chargé de découvrir le coupable de cet homicide peu commun. Très vite un deuxième meurtre est commis et notre héros est confronté aux superstitions, aux non dits et aux frustrations des uns et des autres. Au fil de ses interrogatoires et rencontres, il va commencer à réveiller de vieux démons et faire ressurgir des événements que l’on pensait définitivement cachés.
Cette BD qu’on peut qualifier de policière sans rougir est plutôt classique dans son contenu. Mise à part la révélation finale qui est finalement surprenante, on nage dans des eaux connues. On retrouve ainsi un flic cinquantenaire à qui on ne la fait plus et dont les illusions ont depuis longtemps disparues sur la nature humaine et sur le maintien de l’ordre. On s’attache à lui immédiatement cependant car on devine derrière ces fêlures, un homme intègre, blessé, en quête de soulagement. Très pro malgré son envie irrépressible de partir en classant l’affaire, il ne laisse rien passer et révélera tout son talent dans le dernier acte.
L’immersion est totale dans cette petite communauté isolée où la population revêche ne donne pas envie de s’éterniser. Entre le poivrot du coin qui délire dès le matin derrière le zinc, le bûcheron au regard flippant, les habitués de l’auberge tous armés jusqu’aux dents, on se demande bien ce qu’on est venu faire dans cette galère ! Seule petite éclaircie, Sarah, une artiste peintre reconnue venue s’installer dans le secteur pour être tranquille. Très vite, au fil de l’accumulation de victimes, la peur se distille dans les esprits et les premiers boucs émissaires désignés sont les loups que les écolos ont réintroduits il y a peu dans le secteur. La paranoïa est de mise, l’ambiance hostile et lourde, on organise des battues mais les blessures ne correspondent pas à une attaque animale, les esprits continuent alors à battre la campagne.
L’ambiance polar est à couper au couteau, les personnages bien décalés, sauvages même, l’isolement parachève l’ensemble et offre une immersion bien frappée et saisissante. Le tout est magnifié par le graphisme si particulier à Chabouté, un noir et blanc splendide, en adéquation totale avec le sujet traité. Le jeu des ombres et des lumières, les personnages, la dynamique du récit, les répliques qui tuent (on aligne les punchlines notamment avec le flic) nous offrent un plaisir de lire total et durable. Franchement un très bon crû que je vous invite à découvrir au plus vite !
Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Terre-neuvas
- Construire un feu
- Yellow cab