mardi 29 novembre 2022

"Une si jolie petite guerre" de Marcelino Truong

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L’histoire : En 1961, John F. Kennedy devient le 35e président des États-Unis. Décidé à endiguer le communisme en Asie, il lance le Projet Beef-Up, destiné à renforcer l'aide militaire américaine au Sud-Vietnam.

C'est dans ce contexte que Marcelino Truong et sa famille arrivent à Saigon. Sa mère est malouine, son père vietnamien. Directeur de l'agence Vietnam-Press, Truong Buu Khanh fréquente le palais de l'Indépendance où il fait office d'interprète auprès du président Ngô Dinh Diêm, chef d'un régime autoritaire pris dans ses contradictions, entre nationalisme, rejet du passé colonial, influence chrétienne et antimarxisme virulent.

Fasciné par l'armement lourd débarqué des gros porteurs US, par la multiplication des attentats et des coups d'État, Marcelino pose un regard d'enfant sur cette guerre en train de naître qui ressemble à un jeu, une si jolie petite guerre d'une forme inconnue, où l'opinion mondiale prendra toute sa part.

La critique de Mr K : Très belle découverte que ce roman graphique emprunté à la médiathèque du coin. Avec Une si jolie petite guerre de Marcelino Truong, on plonge dans les souvenirs familiaux de l’auteur et on découvre une période de la guerre du Vietnam à travers les yeux de l’enfant qu’il était. C’est frais et passionnant, l’ouvrage se dévore littéralement.

Marcelino est le troisième enfant d’un couple mixte, son papa est vietnamien et sa maman française. Le paternel est traducteur pour la diplomatie vietnamienne et est en poste à Washington DC quand son président le mute au pays en pleine insurrection communiste. Voilà la petite famille qui débarque à Saïgon et découvre un pays en plein chamboulement. Le nord communiste d’Ho Chi Minh, le sud libéral sous la coupe du président Diem conseillé en sous-main par les américains.

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Chacun dans la cellule familial réagit à sa façon. Les enfants ne comprennent pas vraiment ce qui se passe, leur innocence et leur insouciance les protège d’un certain nombre de réalités terribles mais au fil des événements se déroulant entre 1961 et 1963 (quand le conflit se durcit), ils vont peu à peu prendre conscience des choses. Le père lui reste stoïque, calme. Il ne croit pas en l’escalade, il garde un sang-froid à toute épreuve même s’il s’inquiète beaucoup pour Yvette, sa femme. Maniaco-dépressive, le pays et les affres qu’il traverse la touche fortement, elle ne supporte plus grand chose et les crises se succèdent. Le ménage tient mais c’est rude et les enfants le ressentent. L’équilibre instable est très bien rendu, tout en subtilité et l’on s’attache très vite à eux.

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Les scénettes familiales alternent avec des points historiques très bien imbriqués. Ils sont nombreux mais pas du tout rébarbatifs. Loin des poncifs et de la propagande occidentale ou orientale, c’est mesuré, attaché aux faits et donne à voir les méandres méconnus des mécanismes en jeu. L'influence des deux grands sur les deux partis en présence, les destructions et les morts inutiles, les armes terrifiantes employées (le fameux agent orange), le ressenti des populations, les bouleversements quotidiens et les différentes phases du conflit nous sont relatés de manière claire et historiquement imparables.

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Les émotions sont nombreuses, variées et assez puissantes. On a la boule au ventre par moment, on rit aussi parfois face aux réactions des gamins et à cette nostalgie qui imprègne tendrement ces pages. En sous-texte, c’est aussi une belle réflexion sur l’idéal qu’il soit communiste ou catholique avec son lot d’espoirs et de désillusions... Vraiment cette œuvre est d’une profondeur incroyable et l’on tourne les pages sans s’en rendre compte avec un crayonné simple et cependant très évocateur. Un ouvrage qui dans son genre s’impose comme une belle référence. Laissez-vous tenter !


jeudi 24 novembre 2022

"La Schismatrice +" de Bruce Sterling

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L’histoire : Dans une humanité déracinée, peuplant le système so­laire de gigantesques stations orbitales, écartelée entre les tenants de l'évolution par la technologie et ceux de la manipulation génétique, Abélard Lindsay, jeune diplo­mate issu de la République corporative circumlunaire de Mare Serenitatis, tente de trouver son chemin. Fils d'aristocrate, il doit apprendre à survivre, à choisir son camp. Mais au moment où l'homme évolue, cesse d'exister en tant que tel pour se scinder en espèces nou­velles, il croit enfin comprendre son destin : réconcilier Mécas et Morphos autour d'un projet grandiose, la terraformation des mondes...

La critique de Mr K : Grosse déception que cette lecture d’un ouvrage pourtant culte réédité cet été à l’occasion de la rentrée littéraire. Pour beaucoup, La Schismatrice de Bruce Sterling est un livre incontournable, un ouvrage fondateur du cyberpunk en littérature. Agrémenté ici de nouvelles se déroulant dans le même univers, j’ai été perdu assez vite et ce malgré d’indéniables qualités d’écriture. Sans doute ce genre annexe de la SF n’est pas fait pour moi...

Dans un futur éloigné, les hommes ont essaimé l’univers et l’espèce en elle-même a drôlement évolué. Certains membres se sont améliorés technologiquement parlant, d’autres sont le fruit de manipulations génétiques. Deux courants que tout semble opposer et qui créent régulièrement des tensions voire des conflits de grande importance. On a donc affaire aux post-humains en deux déclinaisons bien différentes donnant le tournis dans les implications et applications qui sont données à lire ici.

Au cœur de l’intrigue, on retrouve Abélard, un jeune diplomate déchu que l’on envoie sur une colonie isolée suite à un incident le mettant en cause. Éloigné de tout ce qu’il connaît, fuyant sans cesse d’un point à un autre, voulant innover pour briser les règles, il sera amené à vivre nombre d’aventures qui le place au centre de l’échiquier global. Ses actes pourraient même avoir une incidence sur l’ordre des choses et même changer le visage de l’humanité... rien que cela !

Sur le papier, ce roman était fait pour moi avec une dimension space opéra qui me parle puisque je suis amateur du genre. Mais voila, trop d'ellipses entre les différentes parties ont fait que j’ai eu du mal à saisir les différents tenants et aboutissants. Je me suis raccroché à ce que j’ai pu, j’ai essayé de faire les liens qui s’imposent mais globalement en fin de lecture, j’avais l’impression d’être totalement passé à côté.  Beaucoup de frustration donc, surtout que les questions soulevées ici ou là étaient porteuses de sens, on est dans la métaphysique pure et c’est le genre de questionnements qui nous assaillent déjà quand on s’intéresse à la recherche actuelle en matière de sciences appliquées à l'homme et autre. Du coup je suis sorti agacé de cette lecture...

Pourtant, l’écriture est plutôt plaisante, ça se lit bien, il y a quelques passages plus difficiles notamment lors d’évocations techniques mais franchement c'est fluide. Certaines descriptions vous transportent littéralement, des dialogues entre personnages font mouche mais il manque ce supplément d’âme aux personnages pour vraiment accrocher le lecteur, notamment Abélard qui m’a finalement laissé de marbre. Plutôt dommage pour un protagoniste qui a son importance...

Non vraiment, sans doute que La Schismatrice n’était pas fait pour moi malgré son aura et cette nouvelle édition somptueuses (la qualité du papier, la couverture sublime, les ajouts de nouvelles). Je détonne sans doute avec cet avis mi-figue mi-raisin et je vous conseille vivement d’aller lire ceux de confrères plus aguerris et amateurs de cyberpunk, ils y ont sans doute vu des choses qui m’ont échappé. Pour ma part, cette lecture aura été ma dernière incursion dans le genre. Un coup dans l’eau.

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mardi 22 novembre 2022

"Par petits bouts" de Weronika Gogola

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L’histoire: Les meilleures histoires sont celles que l'on raconte petit à petit, par fragments, un menu morceau à la fois. On se souvient d'une anecdote, et de cette mémoire naissent les plus beaux des récits. C'est comme se poser avec un ami et engager une conversation sur soi, sur son enfance à la campagne, maman, et surtout papa, les oncles, les tantes, les cousins... Dans ces moments-là, il s'agit d'expliquer ce qu'il y a de plus simple, sans prétention, ni pathos, ni honte. Le premier incendie auquel on a assisté avec avidité, la perte d'un être cher qui nous prépare à d'autres départs, les papillons morts auxquels on organise les plus belles des funérailles, faire pipi debout, les bruits et les animaux de la campagne, les petits boulots, et l'idée que maman pourrait tout à fait être Sting, si seulement elle en avait envie.

La critique de Mr K : Direction la Pologne avec le dernier ouvrage sorti aux éditions Tropismes (anciennement Belleville éditions) avec Par petits bouts de Weronika Gogola. Dans cet ouvrage au charme envoûtant, l’auteure nous invite à partager les souvenirs épars d’une gamine qui s’interroge sur tout et sur elle. C’est beau, léger et profond à la fois et totalement addictif.

L’ouvrage débute sur un poème composé de douze strophes décomptant douze heures correspondant à des impressions et des formules imagées lorgnant vers la philosophie et le mysticisme. Chacune de ces "heures" vont correspondre ensuite à un chapitre relatant un moment ou une période vécue par la narratrice. On démarre fort avec des vers touchants au possible, très évocateurs et porteurs de sens, faisant écho au vécu de chacun.

Par une narration à la première personne immersive à souhait, la narratrice nous raconte alors des bribes de son enfance qui de prime abord semblent quelque peu désordonnées et suivant les aléas de ses pensées. Elle nous parle de la nature, des sensations qu’elle éprouve, des grenouilles, du son des grillons à la nuit tombée, des chèvres du village, du bruit du vent et son souffle sur le visage, des conneries avec la cousine un peu plus âgée et des copains. C’est frais, on partage toutes ses émotions. Puis, de plus en plus c’est la famille qui occupe l'espace avec des figures incontournables d’adultes tous plus divers les uns que les autres, inspirant des sentiments variés avec en sous-texte un rapport idéalisé avec le père.

C’est une véritable plongée dans un univers familial cohérent dans lequel on entre par la petite porte de la vision d’une gamine. Ses doutes et aspirations, ses émotions intimes nous sont livrés sans artificialité dans une langue simple, épurée et poétique qui touche en plein cœur. On s’y retrouve beaucoup à l’occasion, on ressent des choses que l’on pensait oubliées à l’occasion d’événements particuliers comme un repas de famille, des échanges parfois musclés ou encore l’épreuve de la mort d’un proche et la notion de deuil. Et puis, au cœur de tout cela, c’est les apprentissages de la jeune fille qui transpirent de ces pages, l’évolution vers l’adolescence, la prise de conscience de son corps, la construction de soi aussi au sens large.

Le tout baigne dans la culture polonaise, à commencer par la culture catholique omniprésente, au cœur des us et coutumes et des traditions avec aussi ses nombreux interdits et tabous. On croise aussi nombre de termes du cru explicités en bas de page et prolongeant l’immersion, nous faisant découvrir la gastronomie, les lieux, les habitudes et aussi à l’occasion l’Histoire de ce pays méconnu. J’ai aimé cette propension de l’auteure à vouloir transmettre sa culture sans en faire trop étalage et en nourrissant son récit de ces éléments. Le résultat est bluffant pour ne pas dire passionnant.

On passe donc un très agréable moment en compagnie de Weronika Gogola qui propose un personnage très attachant, un parcours de vie très riche et une fenêtre sur son pays d’origine. Un beau dépaysement au cœur de l’humain que je vous invite à découvrir à votre tour.

dimanche 20 novembre 2022

"Transperceneige" Intégrale de Lob, Rochette et Legrand

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L’histoire : Un jour, la bombe a fini par éclater. Et toute la Terre s'est brutalement retrouvée plongée dans un éternel hiver gelé, hostile à toute forme de vie. Toute ? Pas tout à fait. Miraculeusement, une toute petite portion d'humanité a trouvé refuge in extremis dans un train révolutionnaire, le Transperceneige, mu par une fantastique machine à mouvement perpétuel que les miraculés de la catastrophe ont vite surnommé Sainte Loco.

Mais à bord du convoi, désormais dépositaire de l'ultime échantillon de l'espèce humaine sur cette planète morte, il a vite fallu apprendre à survivre. Et les hommes, comme de bien entendu, n'ont rien eu de plus pressé que d'y reproduire les bons vieux mécanismes de la stratification sociale, de l'oppression politique et du mensonge religieux...

La critique de Mr K: Chronique d’une œuvre culte de BD de science-fiction aujourd’hui avec Transperceneige de la triplette d’auteurs Lob, Rochette et Legrand. Depuis le temps que je souhaitais la lire, un séjour en médiathèque m’a donné l’occasion de pouvoir enfin découvrir cet ouvrage qui m’a beaucoup plu et qui propose une vision du futur effroyable mais totalement crédible dans les rapports sociaux qu’elle évoque.

Ça a fini par arriver, les hommes ont définitivement détraqué le climat. Après une énième guerre, il règne désormais un froid polaire sur Terre. Vous sortez et vous êtes congelé sur place en quelques minutes ! Très peu d’humains ont survécu et ceux qui l’on pu se sont réfugiés dans le Transperceneige, un train qui semble sans fin et avance inlassablement via une technologie avancée mystérieuse. Dans ce monde clos, les humains ont reproduit la hiérarchie sociale, une organisation injuste qui voit les plus pauvres entassés dans les derniers wagons, survivants comme ils peuvent dans des conditions déplorables et les détenteurs du pouvoir occuper des wagons plus avancés, proche de la Sainte Loco, vivant dans le luxe et la débauche. L’histoire démarre quand Proloff, un homme du peuple miséreux réussit à pénétrer sur le territoire des nantis et commence à remonter les wagons un par un. Tout pourrait bien basculer...

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On rentre donc dans le vif du sujet très tôt et la révolte gronde. Notre héros a des raisons d’être en colère. Peu à peu, on découvre la réalité qu’il a vécu, les combats perdus et l’iniquité de la société du Transperceneige au fil de son avancée, des rencontres qu’il peut faire. Luttes de pouvoir, manipulation des masses, exploitation, tout est révélé avec parcimonie lors de ce trajet initiatique qui aborde nombre de vicissitudes humaines. Tout est ici accentué, polarisé par l’unité de lieu et donne une force incroyable au récit initial. Proloff est très attachant, entre détermination forte et un certain détachement par moment, dépassé par une réalité qu’il soupçonnait sans vraiment pouvoir se la représenter fidèlement. Quand il va en prendre conscience, cela le mènera vers une fin étrange et logique à la fois.

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Les deux autres parties forment un diptyque et je dois avouer qu’au départ l’enthousiasme a été douché. J’ai trouvé le tome deux un peu surfait, on reproduisait plus ou moins les mêmes choses que dans le récit original, heureusement sa fin et le troisième tome redécollent, proposant une belle virée paranoïaque dans un train en roue libre où les obsessions et les désirs de chacun en matière de détention de pouvoir foutent un souk pas possible, accélérant le rythme et proposant un récit très prenant. L’ultime planche sombre au possible est un modèle du genre et fait résonner longtemps la vacuité de certains espoirs poursuivis par les protagonistes.

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L’aspect esthétique est superbe surtout celui du premier tome, les traits du premier dessinateur m’ont davantage séduit même si celui qui reprend les rênes ensuite n’est pas manchot non plus. Le noir et blanc fait remarquablement écho au sujet et renforce l’emprise de la trame sur le cerveau du lecteur. Difficile de lâcher prise dans ces conditions et même si j’ai connu un léger flottement, au final l’expérience fut vraiment très agréable. Je ne peux que vous conseiller de la tenter à votre tour.

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jeudi 17 novembre 2022

"Feu et sang" intégrale de George R. R. Martin

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L’histoire : À son zénith, Valyria était la plus grande ville du monde connu, le centre de la civilisation. Au sein de ses remparts brillants, deux fois vingt maisons rivales se disputaient le pouvoir et la gloire, à la cour et au conseil, s'élevant et chutant dans une lutte sans fin, subtile et souvent féroce, pour la domination. Les Targaryen étaient loin d'être les plus puissants seigneurs dragons, et leurs rivaux virent dans leur fuite vers Peyredragon un acte de capitulation, de poltronnerie. Mais Daenys, la fille pucelle de lord Aenar, qu'on connaîtrait désormais à jamais sous le nom de Daenys la Rêveuse, avait prédit la destruction de Valyria par le feu. Et quand survint le Fléau, douze ans plus tard, les Targaryen furent les seuls seigneurs dragons qui survécurent.

La critique de Mr K : "Faute de grives, on mange des merles" est la maxime qui s’applique à cette lecture époustouflante qui ne doit cependant pas cacher que George R. R. Martin se fait furieusement attendre pour clôturer sa saga culte du Trône de fer, en espérant qu’il le fasse de fort belle manière et pas de façon convenue et bâclée comme ce fut le cas pour la version télévisée. Feu et sang qui raconte l’unification des sept royaumes de Westeros sous la bannière des Targaryens en est une sorte de préquelle, se déroulant plusieurs siècles avant les événements de Game of thrones. Sous la forme de chroniques à la mode médiévale (on pense forcément à Froissart, un auteur culte étudié à la fac en long, en large et en travers pour ma part) avec des dragons et un soupçon de magie en sus, on passe un extraordinaire moment (long de plus de 900 pages tout de même !) et on retrouve tout le talent du bonhomme avec le plaisir de découvrir l’origine de beaucoup d’éléments qui ont leur importance dans l’œuvre sus-citée.

Écrit donc à la manière d’une chronique historique, s’interrogeant souvent sur les sources disponibles, mêlant ressenti, hagiographie et écrits plus apocryphes voire tendancieux (les textes de Champignon, un nain bouffon de profession écrivain à ses heures perdues), tout débute par la fin de la mythique Valyria et l’exil sur l’île de Peyredragon des Targaryens, famille noble aux membres à la chevelure argentée et aux yeux mauves qui ont l'avantage certain de maîtriser des dragons. Oui oui, ça peut surprendre au départ! Cette île fait partie d’un continent, Westeros, où cohabitent sept royaumes qui se font la guerre depuis des générations et des générations. Rien ne semble pouvoir atténuer ces querelles et cesser les hostilités, et pourtant...

Sous l’impulsion d’Aegon Ier dit le conquérant, les Targaryens vont réussir à unifier tout ce petit monde à force de guerres, de tractations et de marchés. Le plus dur sera ensuite de faire fructifier cette réussite, développer Westeros et conserver cette unité autour de la figure du roi Targaryen et de ses successeurs. L’auteur déroule alors les événements sur trois / quatre générations qui vont devoir tout faire pour conserver l’héritage de leur illustre ancêtre. Ce ne sera pas une mince affaire et l’on peut compter sur l’imagination folle de George R. R. Martin pour leur donner du fil à retordre !

La saga Game of thrones avait donné le ton auparavant avec son lot de coups fourrés, de trahisons, d’atrocités commises au nom de la raison d’État ou d’intérêts familiaux et / ou personnels. On n’est pas en reste ici avec des personnages qu’on n’oubliera pas de sitôt à commencer par les Targaryens qui sont au centre de tout et qui compilent puissance terrifiante avec leurs dragons, une tendance à l’inceste fort poussé pour conserver la pureté de leur sang (à l’instar des anciens pharaons d’Égypte, frères et sœurs se marient entre eux) et une tendance à l’hybris et la folie que ne renieraient pas ceux que l’on croise plus tard dans la saga du Trône de fer. Ça défouraille sec, ça ne s’encombre pas de la morale élémentaire et l’on assiste à beaucoup de scènes rudes, éprouvantes même parfois. Personne n’est à l’abri dans ces pages, ne vous attachez pas trop aux personnages, certains disparaissent très vite ou même après des cinquantaine de page, fauchés par les circonstances ou un événement survenu de nulle part et qu’on n’a pas pu anticiper.

Et si il n’y avait qu’eux...Tous les protagonistes sont plus affreux et machiavéliques les uns que les autres. Les plus respectueux et gentils sont souvent leurs premières victimes. J’avoue que mon côté sadique a été pleinement satisfait. Les mœurs de l’époque sont dures aussi, on meurt jeune, les épidémies sont une réalité assez courante. Ce moyen-âge fantasmé est très réaliste si on enlève les dragons et les pointes de fantastique que l’on peut croiser ici ou là, j’ai adoré cette immersion et franchement on ne s’ennuie pas une seule seconde, les 900 pages se lisent très facilement et avec un plaisir renouvelé. Surtout qu’on en apprend beaucoup sur les origines de Westeros, sur certains lieux et leur toponymie, certaines lignées familiales, les brouilles en jeu, le développement du pays notamment les routes royales, l’urbanisme et la montée en puissance de Port-Réal notamment. Je me suis un peu retrouvé comme sur les bancs de la faculté sauf qu’on étudie là un monde imaginaire. Passionnant, dépaysant et furieusement addictif.

Je pourrais discourir des heures sur cette intégrale mais je vais arrêter là. C’est un pur bijou qu’il faut absolument lire si on est fan de Game of Thrones et de fantasy. Les historiens peuvent s’y coller aussi tant la démarche détone et impressionne. Un pur bonheur dans une version magnifique avec son lot de cartes (j’adore), un arbre généalogique et des illustrations régulières tout du long du récit. Une lecture ultime !

Lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
Chanson pour Lya
Le trône de fer, intégrale 1
Le trône de fer, intégrale 2
Le trône de fer, intégrale 3
Le trône de fer, intégrale 4
Le trône de fer, Le bûcher d'un roi, volume 13
Le trône de fer, Les dragons de Meereen, volume 14
Le trône de fer, Une Danse avec les dragons, volume 15
- Dragon de glace

- L'Agonie de la lumière
- L'Oeuf de dragon


mardi 15 novembre 2022

"La Révolte au coeur" de Maïa Brami

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L’histoire : Un été incandescent dans la vie de la future Gisèle Halimi.

Juillet 1945. Chaque matin, sous un soleil brûlant, Gisèle piétine devant la Résidence générale de Tunis, déterminée à obtenir le papier qui lui donnera des ailes : un ordre de mission avec Paris pour horizon. Car Gisèle veut étudier à la Sorbonne et devenir avocate. Elle veut lutter contre l'injustice, elle veut se battre pour le droit des femmes - deux combats qui s'enracinent dans son enfance.

Face à la mer, l'été de ses 18 ans, Gisèle navigue dans ses souvenirs, le regard tourné vers l'avenir.

La critique de Mr K : Très belle lecture à nouveau dans la collection Litt’ d’Albin Michel, une collection qui s’adresse à un public plus jeune et dans laquelle j’avais beaucoup aimé Alice, 15 ans, résistante de Sophie Carquain. Dans La Révolte au cœur, Maïa Brami s’attaque à une figure majeure du combat des femmes, Gisèle Halimi ni plus ni moins, une femme disparue récemment (2020 déjà) et que j’admire au plus haut point. Cet ouvrage revient sur un moment clef de sa jeunesse, lorsqu’elle s’apprête à réaliser son rêve, partir pour Paris pour étudier le droit, devenir avocate pour pouvoir combattre les injustices.

C’est que Gisèle a déjà une forte personnalité dès son plus jeune âge. Brillante, persévérante et engagée, elle sait depuis petite qu’elle veut devenir avocate avec un e comme elle le dit souvent. Dans le milieu juif tunisien de l’époque, les filles ne sont pas vouées à faire de longues études et à s’émanciper. Bien au contraire, elles restent dans l’ombre du père, pater familias tout puissant (quoique dans ce domaine, le paternel est ici plus progressiste qu’il n’en a l’air), les filles doivent se marier, but ultime d’une existence où la famille, les enfants, la descendance sont au cœur des projets de la communauté. Gisèle n’en a cure, elle veut exister pour elle-même et ne se retrouve pas dans ce projet de vie tout tracé qu’elle trouve avilissant et passéiste.

En cela, elle s’oppose constamment et assez violemment à sa mère qui s’apparente à la tradition, l’icône que l’on doit renverser pour se révéler à soi (voir chronique sur À l’est d’Eden de Steinbeck). Cela donne des scènes fortes, très émouvantes, remuantes, où la jeune fille à l’esprit vif se heurte frontalement aux attentes de son milieu social qui ne correspond pas à sa quête d’épanouissement personnel, à ses convictions profondes. Dès sa jeunesse et plus particulièrement son adolescence et son existence de jeune adulte, la vie de Gisèle Halimi fut un combat. C’est très bien retranscrit ici avec une finesse et une justesse des mots qui font écho aux romans autobiographiques d’Halimi dont s’est inspirée l’auteure en imaginant les scènes d’interactions familiales qui nous sont ici proposées.

J’ai aimé suivre la lente maturation de la femme en devenir à travers les stratagèmes déployés pour pouvoir lire des livres en cachette, les échanges de haute volée avec sa mère et leurs rapports complexes, la relation unique qu’elle noue avec son père partagé entre deux mondes (la tradition et l’émergence de la femme libérée), les scénettes du quotidien, les petites incartades culturelles et sociales qui permettent de mieux saisir les protagonistes et le contexte particulier de l’époque (la colonisation française, la fin de la guerre et les américains, les rituels sociétaux notamment). C’est bien simple, l’immersion est totale, l’addiction quasi immédiate avec un style accessible et exigeant à la fois.

On s’attache immédiatement à cette jeune Gisèle qui fait bouger les lignes dès son plus jeune âge et qui va faire progresser la lutte féministe bien plus tard. Cette évocation des racines de ses combat est vraiment remarquable sans pour autant tomber dans la démonstration factice ou lénifiante. On est ici dans l’humain, l’intrinsèque, la volonté pure. Cette lecture fut vraiment très plaisante, envoûtante et finalement très enthousiasmante. Une vraie et grande réussite qu’il faut partager, discuter et faire découvrir aux jeunes générations car comme chacun sait, le combat doit continuer tant la cause des femmes mérite qu’on l’entretienne et qu’on la perpétue.

dimanche 13 novembre 2022

"Jean Jaurès : non à la guerre" de Didier Daeninckx

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L’histoire : Toujours votre société violente et chaotique même quand elle est en état d'apparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l'orage. Messieurs, il n'y a qu'un moyen d'abolir enfin la guerre entre les peuples, c'est d'abolir la guerre entre les individus, c'est d'abolir la guerre économique, le désordre de la société présente, c'est de substituer à la lutte universelle sur les champs de bataille, un régime de concorde sociale et d'unité.

La critique de Mr K : Nouvelle incursion dans la collection jeunesse "Ils ont dit non" de chez Actes Sud Junior avec ce Jean Jaurès de Didier Daeninckx, un auteur qu’on ne présente plus et que nous aimons beaucoup au Capharnaüm éclairé. Cet écrivain engagé était fait pour raconter Jaurès tant il s’est fait écho à travers ses œuvres des luttes sociales et des combats contre l’injustice. Le résultat est très intéressant, bien écrit et assez pédagogique pour pouvoir accrocher de jeunes lecteurs en quête de connaissances sur ce grand homme disparu trop tôt.

Deux poilus français se retrouvent coincés en plein no man’s land et font connaissance en attendant la suite des événements. Très vite, on apprend que l’un d’entre eux est Louis Jaurès, le fils de Jean Jaurès, assassiné le 31 juillet 1914 par un déséquilibré influencé par les appels aux meurtres édités régulièrement par des journaux d’extrême droite. Pour avoir défendu l’idée de la Paix, il passait pour un traître pour toute une partie de l’opinion, lui le défendeur des opprimés et le pourfendeur de l’injustice sous toutes ses formes. Le dialogue s’instaure donc entre les deux soldats qui nous parlent indirectement de leur guerre mais aussi de l’illustre homme, de son impact sur leurs existences respectives.

Louis Jaurès et Gaston Lallemand – sic – vivent l’enfer. Rien ne nous est épargné du fracas de la mitraille et des bombardements, des mutilations de guerre et de l’ambiance de fin du monde que vivent au quotidien les poilus dans leurs tranchées. Leur expérience illustre à merveille les propos tenus par Jaurès sur les horreurs de la guerre, le retour à l’état de brutes des humains et la destruction de la vie au sens large. La lecture de quelques courriers égarés lors d’une explosion donne à voir l’état d’esprit désastreux des troupes, littéralement sous le choc face à cette grande boucherie de 14 comme on l’a aussi surnommée.

Et puis, les deux hommes évoquent Jaurès. L’un le père, l’autre l’homme de conviction qui l’a parfois guidé de loin. On en apprend pas mal sur lui notamment sur ses engagements anti-guerre. Je connaissais bien l’aspect lutte sociale (Carmaux notamment) et l’aventure journalistique de l’Humanité, moins ses prises de positions en faveur de la paix mais aussi des arméniens et de tous les peuples opprimés dans le monde, ses voyages, ses rencontres, les menaces dont il a été victime avant sa mort. L’ensemble de ces faits sont malicieusement glissés à travers les discussions et échanges de Gaston et Louis.

L’écriture simple et accessible facilite l’évocation de ce grand homme, la rend vivante et profondément humaine. Tous ses combats sont toujours d’actualité notamment en ces temps plus que troubles, cet ouvrage est vraiment à conseiller pour éclairer nos jeunes sur certains mécanisme du monde et sur d’autres voies possibles. Un petit bijou à sa manière.

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Lumière noire
- Nazis dans le métro
- Métropolice
- Main courante et autres lieux

- La Prisonnière du Djebel

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mardi 8 novembre 2022

"Le Chant d'Haïganouch" de Ian Manook

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L’histoire : On leur avait promis une terre qu’ils ne quitteraient plus. Et c’est à un nouvel exil qu’ils sont contraints... ?

Ils en rêvaient : reconstruire leur pays et leur histoire. Comme des milliers d’Arméniens, Agop, répondant à l’appel de Staline, du Parti Communiste français et des principales organisations arméniennes de France, quitte sa famille et embarque en 1947 à bord du Rossia dans le port de Marseille. Mais au bout du voyage, c’est l’enfer soviétique qu’il découvre et non la terre promise.

Sur les bords du lac Baïkal, Haïganouch, une poétesse aveugle, séparée de sa sœur lors du génocide de 1915, aujourd’hui traquée par la police politique, affronte, elle aussi, les tourments de l’Histoire.

Des camps de travail d’Erevan aux goulags d’Iakoutsk, leurs routes se croiseront plus d’une fois, au fil d’une odyssée où la peur rencontre l’espoir, le courage et l’entraide. Agop et Haïganouch parviendront-ils à vaincre, une fois de plus, les ennemis de la liberté, pour s’enfuir et retrouver ceux qu’ils aiment ?

La critique de Mr K : Très belle lecture que cette fresque familiale aussi prenante qu’enrichissante sur le sort peu enviable du peuple arménien à travers un XXème siècle qui ne les a pas épargnés, loin de là. Dans Le Chant d’Haïganouch, Ian Manook propose un récit polyphonique entre destins contrariés, évocation sans fard de l’URSS, moments de joie et à travers tout cela, la force de résistance d’un peuple malmené par l’Histoire. Addictif !

Ainsi, on suit le parcours d’un arménien séduit par la promesse de Staline d’accueillir les membres de la diaspora dans une République soviétique arménienne qui n’attend qu’eux. Il découvrira l’enfer soviétique... Agop s’est laissé bercer d’illusion, lui dont la famille a déjà connu le terrible génocide arménien perpétré par la Turquie à leur encontre à partir de 1915 et qui croit dur comme fer qu’il peut aller en Arménie, s’installer puis faire venir sa petite famille. Très vite, il va voir l’envers du décor, il perd sa nationalité française, devient soviétique de fait et est enfermé dans son nouveau "pays". C’est le début d’une longue descente aux enfers qui le verra envoyé en camp de travail, puis au goulag dans un pays où la liberté n’existe tout simplement pas et où tous ont peur d’une mort suspendue aux décisions iniques des hommes de pouvoir, à commencer par Staline et son âme damnée Beria. En parallèle, on suit les affres de sa famille restée en France, qui vivent dans l’incertitude et guettent la moindre nouvelle.

D’autres chapitres mettent en scène Haïganouch, une poétesse aveugle, d’origine arménienne elle aussi, qui est poursuivie par la police politique soviétique en URSS. Elle y a refait sa vie suite au traumatisme lié à sa séparation d’avec sa famille victime du génocide. Son histoire démarre avec l’exécution sommaire de son mari et son viol en début d’ouvrage, un passage terrifiant. Elle va tout mettre en œuvre pour retrouver son fils perdu (déporté lui aussi) et va rencontrer divers personnes qui vont l’aider dans son périple qui très vite se mue en un récit quasi initiatique avec la nécessaire métamorphose de tout être détruit pour dépasser sa peine et réussir à survivre. L’auteur ne nous épargne pas là non plus et son destin est passionnant quoique douloureux.

Ian Manook nous plonge vraiment dans l’URSS stalinienne. Sans exagération, ni manichéisme, il décrit avec justesse le fonctionnement de cette dictature qui a enfermé littéralement ses citoyens et a fait des millions de morts. C’est la peur qui domine tout, la peur de mourir de faim, la peur du froid, la peur de l’occident, la peur de se faire dénoncer, la peur de se faire arrêter, la peur de mourir ou de faire mourir sa famille car le chantage est l’une des armes favorite du régime. Les pages transpirent de ce sentiment aliénant qui change les vertueux en fourbes et amène la méfiance dans le cœur de tous. Tous les personnages sont traités avec humanité et complexité, y compris chez les êtres les plus vils. Cela renforce le roman, lui donne un aspect réaliste qui prend aux tripes et donne à voir les vicissitudes des humains. Le devoir, le pouvoir, l’amour, la haine, l’amitié, la famille, le tout perturbé et perverti par un régime qui nie toute moralité et humanité.

On passe vraiment par tous les états, les espoirs se succèdent aux crises, aux remises en question, à la perte de repères. L’écriture limpide, fluide, donne vie à tout cela avec maestria, distillant un charme fou à cette histoire pourtant terrible. Ian Manook est un excellent conteur d’histoire, un écrivain engagé soucieux de l’exactitude historique, un maître de la plume que je découvre plus intime ici vu qu’il s’inspire de ce que sa propre famille a pu vivre. Une très belle expérience, éprouvante et enivrante à la fois. À lire absolument !

dimanche 6 novembre 2022

"L'Âme de l'Amérique" de Sylvie Brieu

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L’histoire : Terre d’aventures et de liberté, l’Ouest américain fascine avec ses grands espaces, les traditions de ses tribus emblématiques, son mythe éternel du cow-boy. C’est le lieu où l’Amérique a forgé sa légende. Une légende ravivée par le cinéma, la télévision, la littérature, et dont le Montana offre la quintessence.

Des Rocheuses aux Grandes Plaines, des coulisses du parc de Yellowstone à celles du champ de bataille de Little Bighorn, Sylvie Brieu, grand reporter et écrivaine, nous entraîne dans un road-trip captivant à la rencontre d’Indiens, de champions de rodéo, d’auteurs, d’artistes et de spécialistes de la faune sauvage. Leur amour inconditionnel pour un environnement exceptionnel, aujourd’hui menacé, nourrit leur sens très profond de la communauté et leur résistance.

Loin des clichés d’une nation individualiste, de truculentes personnalités s'unissent dans des alliances redoutables pour dessiner un "Nouvel Âge environnemental". L’avenir des Etats-Unis se jouerait-il dans les marges ?

La critique de Mr K : Une lecture différente aujourd’hui avec un ouvrage documentaire écrit par une journaliste française que l’Amérique fascine depuis l’enfance. Dans L’âme de l’Amérique, Sylvie Brieu nous invite à plonger dans ce pays incontournable qui nourrit les fantasmes, les caricatures mais aussi les rêves les plus fous. À travers ses observations, ses rencontres et échanges, elle nous propose un voyage ébouriffant, d’une richesse inouïe et offre par là même une lecture riche de sens et de plaisir. Quel beau voyage !

C’est donc au Montana que nous posons nos valises pendant plus de 350 pages, un des États les plus vastes des États-Unis (le 4ème plus grand pour être exact) mais aussi un des moins peuplés. À nous les grands espaces avec les montagnes sauvages, les rivières fugueuses et les parcs naturels préservés dont le célèbre Yellowstone. Cela donne dans cet ouvrage de belles pages contemplatives, où l’on observe la faune et la flore au plus près, des descriptions qui procurent une évasion immédiate, une envie de décoller et de partir outre-atlantique pour suivre les pas de l’auteure. C’est d’ailleurs un de mes rêves de voyage et j’espère que ça pourra se réaliser. On retrouve cette aura majestueuse et fascinante qui m’avait tant marquée lors de mes visionnage de Jeremiah Johnson ou encore Et au milieu coule une rivière.

Cet ouvrage aborde aussi la question douloureuse des amérindiens, des cicatrices encore à vif du génocide dont ils ont été victimes par des blancs sans scrupules et sûrs de leur supériorité. Le Montana est chargé de cette Histoire et leurs descendants sont toujours à la marge, parqués dans des réserves, assommés par le chômage, la misère et les ravages de l’alcool et des drogues. Pour autant cet ouvrage ne nous livre pas une version pessimiste, il surfe plus sur les initiatives mises en place pour lutter contre cet état de fait, contre les magnats de l’énergie qui par leurs appétits capitalistes démesurés pourraient mettre en danger les hommes et les écosystèmes. On croise quelques unes de ses figures de résistance qui forcent le respect et représentent vraiment l’Amérique dans son combat pour la liberté.

On est donc bien loin des idées reçues et du miroir déformant que renvoient les médias sur les USA en 2022. Certes c’est un pays fracturé par l’expérience Trump, par les tensions raciales vieilles de plusieurs décennies mais c’est aussi une perle naturelle et une terre d’entraide et de combats nobles. L'Âme de l'Amérique résume tout cela à travers un road-trip passionnant, mêlant ressenti personnel et travail journalistique sans faille. Une belle expérience de lecture que je vous convie à tenter à votre tour.

jeudi 3 novembre 2022

"Le Pays au-delà des mers" de Christina Baker Kline

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L’histoire : Pour avoir naïvement cru aux promesses d’amour de son employeur, Evangeline, jeune gouvernante anglaise, a été accusée de vol et condamnée à la déportation. Sur le navire qui l’emmène en terre australe, elle pense à ce que sera sa vie dans le "pays au-delà des mers", qu’on dit si inhospitalier, peuplé d’indigènes et de renégats. Elle pense aussi à l’enfant qu’elle porte : saura-t-elle le protéger ? Pourra-t-elle s’appuyer sur la débrouillarde Hazel avec qui elle a noué une forte amitié lors de la traversée ?

Au même moment, sur l’île Flinders, au large de l’Australie, Mathinna, une orpheline aborigène, est elle aussi retenue prisonnière. Arrachée à sa tribu, la petite a été adoptée par le gouverneur et son épouse, qui entendent bien la civiliser à tout prix.

Ces trois femmes l’ignorent encore, mais leur sort est inextricablement lié. Sur ces terres soumises à la folie des hommes, elles auront besoin de toutes leurs forces, de tout leur courage pour survivre et se frayer un chemin vers la liberté.

La critique de Mr K : Très belle lecture que Le Pays au-delà des mers de Christina Baker Kline. Fresque intime et historique, on se prend immédiatement au jeu, on s’attache aux différents personnages et l’on passe vraiment un très bon moment.

Evangeline est une jeune gouvernante toute fraîchement émoulue de sa campagne anglaise. Fille de pasteur, elle a reçu une éducation classique et exerce son rôle de préceptrice dans une famille aisée de Londres. Candide face aux promesses du fils de la maison, elle se retrouve ensuite victime d’une machination qui la voit condamnée à la "transportation" pour un vol supposé. Cette déportation vers les terres australes de la couronne anglaise était monnaie courante à l’époque, on exilait ainsi les indésirables que l’on ne voulait plus voir sur le territoire métropolitain.

Après des semaines très éprouvantes dans les prisons du royaume, la voila embarquée sur un navire rempli de convicts (nom donné aux prisonnières de droits communs que l’on envoyait à l’autre bout du monde), elle y rencontrera Hazel avec qui elle va créer un lien très spécial (je n’en dis pas plus pour ne pas dévoiler l’intrigue qui prend un virage surprenant en milieu de lecture). En parallèle, on suit aussi le destin aussi peu enviable de Mathinna, une jeune aborigène qu’un riche couple d’anglais a pour lubie de "civiliser" et qui se retrouve déracinée loin des siens. Comme bien souvent, tous ces personnages ne semblent avoir de liens mais l’histoire dénouée va remédier à cela et proposer trois destins forts et inextricablement liés.

Ce roman dégage d’abord une force romanesque peu commune. On se fait embarquer dès le premier chapitre par ces destins pour le moins contrariés. Que les temps sont durs pour les parias et surtout pour les femmes ! Ainsi Mathinna, Evangeline et Hazel connaissent une véritable descente aux enfers. Rien ne nous est épargné pour les deux premières avec des scènes bouleversantes qui prennent à la gorge. Je me souviendrais longtemps de la mise en accusation d’Evangeline puis de son séjour en prison entre promiscuité, violence, incurie des gardes et l’attente insoutenable du jugement qui sera d’ailleurs lapidaire. Tout aussi violents sont l’extraction de Mathinna de sa tribu et sa "rééducation". Le racisme rejoint le machisme, l’absence d’empathie et d’humanité de nombres hommes et femmes détenteurs d’un pouvoir inique qui écrase et opprime.

La critique est ici féroce de la colonisation tout d’abord et du mépris du genre humain sur lequel elle est bâtie. L’acculturation mais aussi la répression sont fort justement décrits au détour des destins que l’on croise, la veulerie des uns et la connerie raciste des autres se vivent au quotidien par des victimes enfermées dans des clichés et des carcans idéologiques partagés par le plus grand nombre. Nos héroïnes sont bien peu de choses et on le leur rappelle bien souvent mais elles tiennent, elles se raccrochent à quelqu’un, à quelque chose, un idéal, une lueur d’espoir même si c’est extrêmement difficile vu les situations qu’elles doivent traverser. Un événement bouleverse la donne à mi-récit et m’a littéralement bluffé en terme de risque narratif. J’adore être surpris, je dois avouer que je suis resté scotché à mon canapé.

L’époque est donc très bien rendue, les personnages sont complexes. L’ensemble est cohérent, crédible et provoque une addiction terrible. Impossible de lâcher ce roman tant on est happé par l’histoire et que l’on veut absolument en connaître le dénouement. L’écriture accompagne le récit à merveille, simple, concise et enveloppante, la lecture se fait toute seule et avec un plaisir qui ne se dément jamais. Le Pays au-delà des mers est vraiment un bel ouvrage que je vous invite à découvrir au plus vite.