"Corniche Kennedy" de Maylis de Kerangal
L’histoire : Les petits cons de la corniche. La bande. On ne sait les nommer autrement. Leur corps est incisif, leur âge dilaté entre treize et dix-sept, et c'est un seul et même âge, celui de la conquête : on détourne la joue du baiser maternel, on crache dans la soupe, on déserte la maison.
Le temps d'un été, quelques adolescents désœuvrés défient les lois de la gravitation en plongeant le long de la corniche Kennedy. Derrière ses jumelles, un commissaire, chargé de la surveillance de cette zone du littoral, les observe. Entre tolérance zéro et goût de l'interdit, les choses vont s'envenimer...
La critique de Mr K : Découverte de Maylis de Kerangal aujourd’hui avec ma chronique de Corniche Kennedy, lu cet été dans le cadre de mes préparations de cours pour mes Terminales BAC pro qui doivent étudier une œuvre intégrale en rapport avec le jeu. Effectivement l’ouvrage vaut le coup par son style d’écriture (trop difficile pour mes élèves par contre) et son évocation de l’adolescence. Cependant un traitement du dénouement un peu facile et trop léger à mon goût a gâché un peu ma lecture...
La corniche qui donne son nom à l'ouvrage est un spot prisé par les adolescents pour se retrouver. On y cause, fume, drague, s’embrouille et surtout, on y trouve trois promontoires qui permettent de plonger dans la Méditerranée à des degrés divers de dangerosité et d’adrénaline. On fait donc la connaissance d’Eddy, Mario et les autres qui vivent pleinement leur adolescence entre provocations, grande camaraderie et flirt avec les limites notamment judiciaires, la police étant sur les dents pour empêcher les jeunes de se livrer à leurs jeux dangereux. Un jour la bande voit s’incruster une jeune fille, Suzanne. Suite à un premier contact plutôt rugueux (un vol de portable et un saut imposé pour régler la dette), elle fait son trou et son arrivée va bouleverser quelque peu les forces en présence.
En parallèle, on suit le quotidien de Sylvestre, le chef de la brigade littorale qui alterne enquêtes sur les milieux mafieux opérant sur Marseille entre prostitution et trafic de drogue et ses observations à la jumelle des jeunes qui déconnent sur la corniche. Bientôt, il va devoir sévir, les petits cons abusent or nul n’est sensé ignorer la loi et sa hiérarchie lui met une grosse pression. Il faut du chiffre. On le sent entre-deux dans cette affaire, l’ordre des priorités lui échappe mais bon, c’est son boulot et il doit appliquer les ordres. Les deux lignes narratives vont forcément se croiser et ça va faire des étincelles.
La grande force du roman dans son contenu est l’évocation de l’adolescence. C’est très réaliste, crû mais complètement fidèle à ce que je peux en percevoir au quotidien au taf. Tantôt attachants, souvent agaçants (et encore je ne les ai pas à la maison), cet âge est très bien décrit avec subtilité, nuance et une affection certaine. Combats de coqs avec son lot d’insultes, de chambrage et d’affrontements divers, l’amitié dans son exclusivité et son jusqu’auboutisme, les tentations multiples et les expérimentations, le refus de l’ordre établi, le besoin d’intégration dans le groupe quitte à faire de belles conneries, les hormones et le désir sexuel... autant de thématiques essentielles à cet âge que l’auteure aborde vraiment avec intelligence.
J’ai bien aimé aussi les parties mettant en scène le flic un peu sur le retour qui se révèle assez borderline avec sa consommation prononcée d’alcool, les clopes qu’il enchaîne constamment et son rapport ambigu avec une prévenue qui fragilise sa position. Faussement monolithique et froid, j’ai aimé ce personnage pour sa fragilité cachée, sa sensibilité émoussée par le travail, l’expérience et les rapports de force qu’induisent son métier. Le métier de policier est lui aussi bien retranscrit avec des passages bien hard quand on aborde la mafia et ses pratiques, notamment le parcours d’une jeune femme devenue prostituée et prisonnière de son mac. C’est édifiant, écœurant et bouleversant.
L’écriture est sublime quant à elle. Très poétique, déstructurée avec des phrases très longues ou les différentes propositions se répondent et s’entrechoquent, le voyage littéraire est grisant. Peut-être trop complexe pour des lecteurs novices comme mes élèves d’enseignement professionnel, ils risqueraient de s’y perdre et de perdre patience face à l’érudition de certains termes. Par contre, à voix haute, la lecture est terrible et je n’ai pu m’empêcher d’ailleurs d’en lire des passages à ma Nelfe adorée. Un bémol de taille quand même, la fin elliptique que j’ai trouvé facile, comme si l’auteure en avait assez d’écrire ce roman ou n’avait plus d’idée... J’aime les fins ouvertes quand elles se justifient, ici j’ai trouvé cela abrupt et manquant de construction. Vraiment dommage, je suis ressorti de la lecture un peu frustré.
Reste cependant que Corniche Kennedy est un ouvrage addictif, très très bien écrit avec des personnages qui ont du corps et du cœur.