lundi 29 août 2022

"Le Salon" d'Oscar Lalo

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L’histoire : Vous connaissez une personne, vous, qui a lu La Tentation de saint Antoine ? Le malentendu commence devant le bac à un euro d’une librairie de quartier. Le narrateur de cette histoire ne saurait expliquer pourquoi ce livre l’appelle, mais il tend une pièce au libraire pour que Gustave Flaubert ne fasse plus le trottoir.

Le malentendu se poursuit chez un styliste visagiste où notre héros, à la faveur d’un mauvais coup de tondeuse, se retrouve dans l’obligation de rembourser une dette colossale. Sans un sou dans le portefeuille, mais persuadé du trésor que contient son livre de poche, il propose de faire salon littéraire dans ledit salon de coiffure.

Le Salon est l’histoire inclassable et enchanteresse d’un éveil à la vie par le biais de la littérature, sur fond de relation triangulaire entre un coiffeur autodidacte, un libraire au grand cœur, et un adolescent… de trente-neuf ans.

La critique Mr K : Très belle découverte que cet ouvrage que j’ai dévoré en une journée avec un plaisir intense. Le Salon est le premier ouvrage que je lis d’Oscar Lalo et je dois avouer que je suis totalement tombé sous le charme du style de l’écrivain avec de surcroît une histoire qui, sous ses aspects simples, cache des trésors de sagesse et de partage, nous emmenant sur les rivages si enrichissants du récit initiatique.

Ce récit est avant tout une histoire de rencontre. Trois personnes que le hasard va se faire croiser et qui, par leurs échanges, vont évoluer chacun à leur manière avec en sous-texte la littérature au sens noble du terme dans ce qu’elle peut apporter à chacun d’entre nous que l’on soit esthète ou béotien. Un vieux garçon entretenu par son père, un libraire taciturne et généreux et un coiffeur autodidacte se partagent donc la vedette d’une histoire qui prend peu à peu de l’ampleur et donne beaucoup à réfléchir sur nous, nos lectures et le sens de la vie.

Le narrateur de 39 ans vit donc chez son père, n’a jamais connu le loup et clairement vit entretenu par son géniteur. Il garde au fond de lui une fêlure terrible : la mort de sa mère lorsqu’il avait quatorze ans. En rentrant chez lui, un soir il achète un livre dans un bac à un euro d’une librairie de quartier tenu par Florimond, un libraire vivant dans sa grotte de livres, plutôt farouche au premier abord. Ce livre, La Tentation de Saint Antoine de Gustave Flaubert, va être sa porte d’entrée pour redécouvrir les vertus de la lecture. Peu après, le même jour, suite à une errance non contrôlée dans un salon de coiffure du voisinage, il se retrouve avec une ardoise salée et va devoir la rembourser en tenant salon littéraire à l’assistance. Le narrateur s’est laissé emporté par son élan et le voila bien ennuyé à l’idée de devoir discourir sur Flaubert.

Derrière cette histoire à priori banale avec un petit côté cocasse (le narrateur est quand même bien à côté de ses pompes), se profile un vrai récit initiatique. Toute cette série de rencontres et d’actes va faire sortir le narrateur de sa pseudo zone de confort qui s’avère très vite être un refuge, une fuite en avant face aux difficultés et au passé. Sortir de son cocon familial en s’installant ailleurs, trouver un travail (qui s’offre à lui comme par enchantement sans avoir d’ailleurs besoin de traverser la rue), s’ouvrir aux autres et le tout par le truchement de la littérature : voila ce qui attend notre éternel célibataire qui jusque là se complet dans le binge-watching et vit par procuration. On se prend d’affection pour ce presque quadragénaire qui finit par se découvrir. Il est touchant par bien des façons, son détachement mais aussi sa défiance envers lui-même.

Le personnage de Florimond va débloquer la situation. Il est sans conteste mon protagoniste préféré de l’ouvrage, son aspect bougon d’ours mal léché qui va se révéler posséder un cœur en or est assez délectable par ses remarques et son état d’esprit. Libraire indépendant, amateur de poésie orientale, il va dispenser au fil des rencontres puis d’une collaboration plus proche des éléments de sagesse à notre narrateur en pleine quête de soi. La littérature pour ceux qui la pratique assidûment (pour ne pas dire exclusivement, je me compte dans le lot) apporte toutes les solutions que l’on peut rencontrer dans la vie car la littérature, c’est la vie. La transmission des valeurs, les expériences réussies ou ratées, les mots qui touchent, les mots qui heurtent, Florimond va lui apprendre à lire vraiment, à aimer sans comprendre pourquoi et au final lui ouvrir la voie des possibles. La relation entre les deux hommes est très intéressante à suivre dans ses développements, une sorte de tango enflammé car les débuts sont rudes jusqu’à la reconnaissance mutuelle.

Enfin, il y a Fabrice, coiffeur de génie lui aussi en panne sèche à sa manière. La rencontre avec le narrateur sous forme de quiproquo va elle aussi porter ses fruits et apporter à chacun d’entre eux vérités et bienfaits dans la construction de soi. Dommage que cela ne soit pas davantage poussé, je trouve que ce rapport souffre de la comparaison avec le lien Narrateur / Florimond. Fabrice passe donc au second plan et aurait mérité à mes yeux plus d’attention même si le fait de garder une part de mystère plaira sans doute à certains lecteurs.

Le Salon se lit très (trop?) vite. La langue simple et accessible se déguste sans effort avec un certain émerveillement devant ce qu’elle dégage comme musicalité et comme porteuse de sens. Enveloppé et happé par le récit, le lecteur n’a d’autre choix que de tourner inexorablement les pages jusqu’à la fin, pris par un récit rythmé, dense et évocateur. Une belle expérience de lecture que je vous invite à découvrir à votre tour.


vendredi 26 août 2022

"Nouvelle mère" de Cécile Doherty-Bigara

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Le contenu : Que restera-t-il de ces premières années où je suis devenue mère ?

Je ne veux pas les oublier. Ces premières années, ces cicatrices dans mon cœur, le début de l’apprentissage. J’étais bien là. Ça s’est vraiment passé. J’aime cette femme, celle qui a traversé tout ça. Elle mérite tout sauf l’oubli. Elle mérite que tout le monde regarde. Que tout le monde sache.

La critique Nelfesque : "Nouvelle mère" est un ouvrage que j'ai lu il y a plus d'un an. Au printemps 2021. Oui ça date... Pour autant je m'en souviens encore très bien aujourd'hui et il me semble important qu'il en reste une trace ici. Pour donner de la visibilité à un livre qui peut aider de nombreuses mères et de nombreuses personnes de leur entourage à comprendre ce qui se passe en elles, ce qui se joue. Ce témoignage est libérateur, il nous unit les unes aux autres et délie les langues (preuve en est les nombreux échanges provoqués par ma publication Instagram de l'époque où spontanément de nombreuses femmes sont venues m'encourager, me porter (Merci encore à elles. Nous sommes une chaîne. Nous sommes une.)). Aujourd'hui encore, cet ouvrage de Cécile Doherty-Bigara est dans le tiroir de ma table de chevet et il m'arrive d'en relire certains passages qui me reboostent par leur bienveillance et ces mots si justes.

Il ne s'agit pas ici d'un guide, d'un bouquin de coaching ou d'une recette miracle. Tant mieux, j'ai tendance à m'éloigner de ce type d'ouvrage. C'est un partage de cœur à cœur. Un baume à passer sur les blessures psychologiques. Des mots qui se posent sur nos maux, nous relèvent et nous aident à avancer. Un pas après l'autre.

Au moment de lire ce livre, ce n'était pas simple pour moi, psychologiquement parlant (et physiquement non plus). Ma fille avait 10 mois, perçait sa première dent, les nuits pouvaient être épouvantables. Jouer à pile ou face chaque soir n'aide pas vraiment à se reposer. Le moral en prend un coup. Bref, j'avais connu mieux (mais aussi pire... ceux qui me suivent ailleurs le savent) !

C'était donc le moment "idéal" pour commencer "Nouvelle mère". Un témoignage libérateur et féministe sur la maternité, c'est ce qu'il me fallait ! Parce que ce n'est pas facile d'être jeune maman, ce n'est pas facile de changer. Quand on n'aime pas se plaindre, on ravale tout cela mais il faut le dire : on en chie grave ! J'ai aujourd'hui 40 ans, j'ai eu ma louloute assez tard, ça joue aussi mais pas seulement. Il y a des bons moments et il y en a des moins bons. Il faut savoir le dire. Le dire pour que ça s'entende, pour que ça rentre dans la tête de tout le monde et aussi dans celles des jeunes mères qui pensent devoir être parfaites. Moi la première, avant de l'être, je n'avais pas conscience que la maternité pouvait avoir de telles répercussions "invisibles"...

Par son témoignage, Cécile Doherty-Bigara pose une nouvelle pierre à l'édifice de la connaissance de soi, de la connaissance de l'autre. Elle nous fait part des changements qui ont eu lieu en elle lors de sa maternité naissante. Comment elle a perçu ce qui l'entourait, comment elle s'est mise en retrait pour donner le meilleur à son enfant, comment elle s'est oubliée. En partageant cela elle se questionne également sur les raisons de cette nouvelle vision de la vie, d'elle-même et des autres. Qu'attendons-nous réellement de notre entourage ? Quelle place nous laissons-nous à ce moment-là ? Quelle place nous laisse la société, qu'attend-elle de nous et pourquoi ? Quel poids pèse sur nos épaules ? Sommes-nous réellement en train de vivre tout ce qui nous entoure ou nous mettons-nous en mode survie ? Toutes ces questions nous font réfléchir et l'éclairage de l'auteure est une véritable lueur apaisante qui au fil du temps gagne en intensité.

Il m'a fallu du temps pour avoir une vie "en dehors" de ma fille (encore aujourd'hui j'ai du mal mais ça a évolué). A l'époque de cette lecture, je n'en avais plus, à part gérer ma fille (et ses dents)... La lecture ? Cette passion qui m'animait jusque là était, elle aussi, reléguée au second (voire 3ème, 4ème, 5ème) plan. Pour autant, j'ai senti que cette lecture là était essentielle. Comme un aimant... Je me suis plongée dans ces pages et ce fut une grande bouffée d'oxygène.

La grossesse et l'enfantement est un passage bouleversant de nos vies de femme. Même celles qui ont eu un accouchement "de rêve" font face à un chamboulement psychique avec la maternité. Il est important de garder en tête, lorsque l'on a une nouvelle mère dans notre entourage ou lorsqu'on en est une nous-même, que ce tsunami d'émotions et de changements dans le corps et au fond de l'âme n'est pas sans conséquences sur la façon d'être, de ressentir les choses et de les vivre. Les injonctions n'ont pas leur place ici, la bienveillance est plus que jamais de mise pour assurer le bien-être ou la sauvegarde des jeunes mamans. Car oui, bien que cela puisse paraître étonnant, on peut couler face à cet évènement de la vie. Il faut arrêter de véhiculer cette légende urbaine de la grossesse épanouie, de l'accouchement amnésique et de la maternité sans turbulences... Ce n'est pas aider les futures mères et celles qui le sont déjà !

Merci à Cécile Doherty-Bigara de diffuser cette vision des premiers mois avec un bébé. Cette réalité pour beaucoup d'entre nous. "Nouvelle mère" est un livre que tout le monde devrait lire, mères ou non, pères, grands-parents, amis... Soyez bienveillants envers vous-même et envers les autres ! Et quand le besoin s'en fait sentir, ne surtout pas hésiter à le relire pour un petit update salvateur. Sans modération.

mercredi 24 août 2022

"La Part des cendres" d'Emmanuelle Favier

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L’histoire : 1812. La jeune Sophie Rostopchine fuit Moscou, que son père, gouverneur général de la ville vient de faire incendier pour ne pas la laisser à Napoléon. Henri Beyle, qui n’est pas encore Stendhal, erre dans la ville en flammes, tandis que l’Empereur Français, humilié par cette victoire au rabais se claquemure au Kremlin. Celle qui n’est pas encore la comtesse de Ségur a dissimulé dans un coffret marqueté, pendant le long exil vers Paris, ce qui se révélera un trésor : son journal. La clef en est perdue mais il va réapparaître de loin en loin, tel un fil rouge, au cours de ces deux siècles de guerres et de pillages.

La critique de Mr K : Cet ouvrage de la rentrée littéraire avait tout pour me plaire sur le papier avec l’Histoire au centre du récit, un mystérieux coffret qui passe de main en main et une auteure à la réputation flatteuse que je découvrais avec ce titre. Mais voila, même si les qualités d’écriture sont bien là, l’érudition absolument fascinante, le plaisir de lire n’a pas été au rendez-vous. J'ai tenu à aller jusqu’au bout pour me faire un avis bien forgé, je ressors grandement déçu de cette lecture.

Tout débute avec la future comtesse de Ségur (alias Sophie Rostopchine) qui, toute jeune, a quitté son pays pour rejoindre la France. Pour éviter l’ennui et possédant déjà un goût certain pour l’écriture, elle rédige sur la route un journal qu’elle consigne sur des feuillets volants. Ils finiront par être remisés dans un coffret qui va alors passer les années et les décennies. On suit son parcours, celui des héritiers de la comtesse et l’on croise nombre de grands noms de l’histoire contemporaine qui va s’égrainer au fil des chapitres de l’époque napoléonienne à nos jours.

Force est de constater qu'Emmanuelle Favier est une virtuose dans son genre. Elle maîtrise la matière historique de fort belle manière, elle déroule notre passé commun sur deux siècles avec brio. Empires français, Révolution russe, montées des États dictatoriaux, guerres mondiales, après-guerre et tout plein d’autres aspects de notre Histoire récente sont traversés par le récit avec un souci du détail et de l’exactitude qui n’est jamais pris en défaut. On croise nombre de célébrités des mondes des arts mais aussi de la politique car au centre des préoccupations et du récit, on retrouve notre rapport à l’art, sa nécessaire sauvegarde et son aspect bien souvent politique notamment suite aux conflits quand les vainqueurs font main basse sur certaines œuvres.

L’immersion est donc totale, on arrive à se plonger dans les époques, à partager les quotidiens évoqués tout en accompagnant certains destins célèbres dont la fameuse comtesse ou Marguerite Yourcenar (que j’ai redécouvert à l’occasion). Les tensions sociales et familiales sont très bien rendues, et l’on a l’impression de voyager dans le temps grâce à la multitude de détails qui émaillent le texte, les digressions historiques et le clin d’œil assez fun de l’auteure envers le lecteur à bien des occasions, l’écriture superbe... Non vraiment, ça partait sur de bonnes bases...

Mais voila au bout de deux cents pages, on se rend compte que l’ouvrage est un vrai tour de force en terme d’érudition mais que l'on est plus en présence d'un livre d’Histoire légèrement romancé que d'un véritable roman. Les personnages sont finalement effleurés, on passe de l’un à l’autre assez rapidement et j’ai vraiment eu du mal à éprouver une réelle empathie envers eux. C’est vraiment une étrange sensation que celle de lire un ouvrage dense en terme de contenu mais vain dans sa fonction de détente. Dur dur de se raccrocher à quoi que ce soit quand la lassitude a fini par m’envahir... Je l'ai terminé mais ce fut rude.

La Part des cendres est remarquable dans le style mais finalement manque d'un fil rouge romanesque pour accrocher et embarquer irrémédiablement le lecteur. Voici un ouvrage qui divisera forcément ses lecteurs.

dimanche 21 août 2022

"Peupler la colline" de Cécilia Castelli

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L’histoire :

"Il est parti vers où ?
– Vers là...
– Tu en es sûr ?
– Non... je ne sais plus... C'est peut-être la sorcière...
– Dis-nous, Frédéric, tu as vu une dame ? Elle est venue vous parler ?
– Non, non ! Je n'ai vu personne. Moi, j'suis retourné voir les autres... Après je ne sais pas pourquoi, il n'est plus revenu. "

Ainsi disparaît le jeune Romain Poittevin lors d'une sortie scolaire sur la colline de Crussol. Et c'est le destin de tous ceux qui l'ont connu qui va s'en trouver bouleversé.

La critique de Mr K : J’avais adoré il y a deux ans ma lecture de Frères soleil de Cécilia Castelli, un ouvrage hypnotique qui m’avait fait découvrir la merveilleuse et poétique plume de son auteure. Elle revient en force pour cette rentrée littéraire 2022 avec Peupler la colline, un livre que j’ai également dévoré avec un plaisir sans borne. Un enfant perdu et c’est la vie de toute une communauté d’âme qui est chamboulée. C’est beau, profond et addictif, un grand moment de lecture.

Lors d’une sortie scolaire, Romain 10 ans disparaît sans laisser de traces. Ce fait dramatique bouleverse à jamais l’existence de nombreuses personnes à commencer par ses parents, son frère et sa sœur, son institutrice ou encore son meilleur ami d’école. Par petites touches, via de courts chapitres chorales, l’auteure fait le pont entre passé et présent pour explorer avec une sensibilité à fleur de mots les psychés de ses personnages et finira par lever le voile sur le mystère enveloppant la disparition de Romain.

D’un chapitre à l’autre, on voyage donc d’une époque à une autre, d’une personne à une autre. La disparition de Romain plane sur toutes ces pages, le vide et l’absence bien sûr, une forme de deuil qui ne dit pas son nom mais aussi la vie qui doit continuer malgré tout. On suit donc la séparation des parents qui ne peuvent plus se regarder sans penser à leur fils disparu, la colère du grand frère qui culpabilise de n’avoir pas su / pu protéger son fragile petit frère, la fin de vie de Mme Drumont (l’instit), le parcours de Frédéric après la perte de son camarade de classe.

À travers tous ces personnages, leurs réactions, sentiments mêlés, Cécilia Castelli explore l’âme humaine avec une clairvoyance, une douceur, je dirai même une certaine bienveillance. Il est difficile de caractériser l’indicible et pourtant elle y arrive parfaitement. Par le biais du réalisme magique principalement, elle atténue la souffrance en jeu sans jamais l’annihiler, elle la domestique, nous la rend intelligible, douloureuse mais aussi profondément humaine. Cela donne de très belles pages où la fantasmagorie s’invite, lorgnant vers le conte et ses figures obligées, le voyage initiatique à vertu philosophique où l’on peut communier parfaitement avec la nature et certains animaux. Cela élève le roman, le porte vers des horizons insoupçonnés alors qu’au départ nous n’assistons finalement qu’à des scènes plutôt banales en famille, à l’école ou encore dans une maison médicalisée.

La figure du jeune Romain, un enfant différent qui ne coche pas toutes les cases ressort du livre, l’auteure nous en offre un portrait touchant et d’une justesse incroyable. On arrive à se mettre à sa place, on ressent son appréhension puis sa peur. Je n’en dirai pas trop pour éviter d’en dévoiler plus que de raison mais le parcours de ce personnage est particulièrement fort, on reste sur les genoux après avoir refermé cet ouvrage qui se lit vraiment trop vite... c'est l'unique défaut de l'ouvrage, on en aurait bien repris une centaine de pages supplémentaires tant on est happé par le récit.

D’une beauté à couper le souffle, un style poétique, immersif, toujours proche de son sujet sans pour autant être terre à terre, on vole littéralement de pages en pages, l’addiction est totale, les émotions diverses, toujours vraies et au final, on a pleinement conscience d’avoir pris une très très belle claque. Peupler la colline est un roman à ne louper sous aucun prétexte.

vendredi 19 août 2022

"Fille" de Camille Laurens

filleL'histoire :

FILLE, nom féminin
1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère.
2. Enfant de sexe féminin.
3. (Vieilli.) Femme non mariée.
4. Prostituée.

Laurence Barraqué grandit avec sa sœur dans les années 1960 à Rouen. "Vous avez des enfants ? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles", répond-il. Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Un garçon, c’est toujours mieux qu’une garce. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ?

La critique Nelfesque : J'ai une fille. Depuis 2 ans et demi, j'ai une fille. La place de la femme dans la société et la représentation de ce qu'est d'être une fille tous les jours, depuis l'enfance, sont des questions sur lesquelles j'ai toujours été sensible. Malgré les moeurs qui changent, les mentalités qui évoluent, les lignes qui bougent, ce sujet est toujours central... C'est pour cette raison que j'ai eu très envie de découvrir "Fille" de Camille Laurens.

Fin des années 50, très tôt Laurence comprends, à travers le langage et l'éducation de ses parents que la position des filles est inférieure à celle des garçons. Cette expérience se prolonge à l'école, au cours de danse, à la bibliothèque, partout où le langage impose la dominante du genre masculin.

Camille Laurens nous raconte ici toutes les femmes, des "filles" qui comme Laurence sont rabaissées à le rester par le poids des mots, le choix des tournures de phrase, les habitudes de langage. Ces femmes qui désirent ardemment se relever, dresser la tête et avancer fièrement malgré la société patriarcale, les convenances, les règles érigées par les hommes et les religions. Des vies réduites à peau de chagrin, aux miettes qu'on veut bien leur laisser et encore si elles se montrent reconnaissantes, arborent un joli sourire, "mouche ton nez, dis merci au monsieur". Il y a beaucoup de finesse dans ces pages mais aussi beaucoup de violence. Suivre cette femme de son enfance à son parcours de mère, avec ses claques en pleine figure, ses difficultés, ses réussites, ses soubresauts, ses tâtonnements, c'est un peu voir coucher sur papier nos propres vies de filles, de femmes. Avec toute la souffrance que cela implique. Laurence est notre mère, notre grand-mère, notre tante, notre sœur, nous-même. Nous sommes toutes la fille de quelqu'un, quelque soit notre histoire, quelque soit notre parcours. Il y a un bout de nous toutes dans ce roman.

Le jour où Laurence devient mère à son tour, elle espère un garçon. Pour éviter à un autre être qu'elle-même d'endurer tout ce cirque. C'est pourtant à une fille qu'elle va donner naissance, Alice. Un garçon "manqué" (encore une vilaine expression) que Laurence tente de canaliser, de dresser en "fille". Elle veut lui mettre des robes, faire pousser ses cheveux, lui offrir des poupées. Alice préfère les pantalons, n'aime ni les cheveux longs ni les poupées. Ressembler à un garçon, voilà ce qu'elle veut. Pouvoir être elle-même surtout. Laurence va apprendre avec elle à déconstruire son éducation, à enterrer son père misogyne et dévastateur, à se questionner sur ce qui est essentiel dans la vie. Quand la mère apprend de son enfant sur sa propre identité de femme, cela donne des passages d'une force incroyable.

Voici la vie d'une femme, confrontée à la mutation de la société française de ces 40 dernières années. Ni plus ni moins et pourtant tout. Un superbe roman servi par une écriture incroyable. Chaque jour qui passe façonne l'adulte que sera notre enfant demain. "Fille" met cela en lumière, nous fait sauter au visage l'importance et le poids de cette tâche. On ressort totalement chamboulé de cette lecture. Le genre de lecture qu'il faut prêter, transmettre, offrir. Pour que le message circule, que les mentalités évoluent, que le combat continue d'être mené. Inlassablement.

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mercredi 17 août 2022

"Le Garçon en pyjama rayé" de John Boyle

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L’histoire : Vous ne trouverez pas ici le résumé de ce livre car il est important de le découvrir sans savoir de quoi il parle. On dira simplement qu'il s'agit de l'histoire du jeune Bruno que sa curiosité va mener à une rencontre de l'autre côté d'une étrange barrière. Une de ces barrières qui séparent les hommes et qui ne devraient pas exister.

La critique de Mr K : Attention chef d’œuvre ! J’avais beaucoup entendu parler du Garçon en pyjama rayé de John Boyle, par des collègues, des élèves même mais je n’avais jusqu’à présent jamais eu l’occasion de le lire. Le tort est désormais réparé et quelle expérience de lecture ! Véritable claque à tous les niveaux, je ne m’en remettrai pas de si tôt !

Bruno est un jeune garçon allemand qui vit dans une belle maison. Il est heureux, son monde de petit garçon l’enchante et malgré une sœur bien peste à ses yeux, tout va pour le mieux pour lui. Nous sommes dans les années 40 et la guerre en cours ne semble pas avoir vraiment d’emprise sur lui. Puis un jour, son père annonce à la famille qu’ils doivent déménager, le führer lui même lui a donné une nouvelle affectation, en Pologne dans un endroit nommé hoche-vite...

Là-bas, Bruno voit toutes ses habitudes chamboulées. Il ne voit plus ses amis, la maison ne lui plaît pas et il y a cette mystérieuse barrière derrière la maison qui donne sur un endroit glauque où vivent des personnes toutes habillées de pyjamas rayés et qui ont l’air bien triste. Lors d’une de ses sessions d’exploration, Bruno va faire la rencontre de Shmuel un garçon de son âge. Il vit de l’autre côté car il est différent. Une amitié nouvelle va naître, grandir jusqu’à ce que...

John Boyle propose vraiment une approche originale d’une thématique dure et forte : les camps de concentration et la Solution finale. Tout ici est vu et perçu par un gamin de moins de dix ans qui n’a pas vraiment idée de ce qui se passe. Sa candeur et sa naïveté sont confondantes dans l’horreur contextuelle que l’on devine entre les mots et les chapitres. Derrière la vie de famille rangée et un quotidien banal, il y a les non-dits, les inquiétudes et les incompréhensions des autres membres de la famille que l’on perçoit bien mieux que Bruno lui-même.

Ce roman nous parle de l’indicible sans étalage de monstruosité, de détails sordides. L’évocation est bien plus fine, à deviner entre les lignes et cela prend aux tripes littéralement. Le point de vue adopté, le style épuré et précis, la gestion très intelligente de la narration et de sa temporalité (il y a des flashback bien sentis par moment) emportent le lecteur, le captive et l’emprisonne. La fin surprend et tétanise à la fois même si finalement, vu toutes les pièces apportées à l’édifice depuis le début, elle est logique.

Un beau et grand moment de lecture. Entre l’effroyable et le sublime il n’y a qu’un pas. Ce roman est unique et essentiel. A lire absolument !

samedi 13 août 2022

"George Sand : Non aux préjugés" d'Ysabelle Lacamp

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L’histoire : Elle n’avait pas le goût du scandale mais celui de la liberté, chevillé au corps et à sa plume. George Sand a osé porter des costumes et un nom d’homme, mener la vie sentimentale, littéraire et politique de son choix. Un affront aux préjugés du XIXe siècle et un personnage incontournable pour évoquer l’émancipation des femmes.

La critique de Mr K : Avec cet ouvrage d’Ysabelle Lacamp, je découvrais mon premier titre de la collection Ils ont dit Non des éditions Actes Sud junior. Emprunté au CDI de mon bahut en compagnie d’un autre titre dont je vous parlerai plus tard, j’ai passé un bon moment de lecture, redécouvert George Sand et apprécié la mise en évidence de son combat contre la conformité et pour la liberté.

L’auteure remonte donc le temps et nous raconte Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil alias la future George Sand via des moments clefs de sa vie. Son enfance avec déjà un caractère bien trempé, l’admiration qu’elle voue à sa grand-mère (une femme libre déjà à sa façon de réagir et de faire) puis son mariage avec ses espérances et très vite des désillusions. La position de la femme est un carcan à ses yeux, l’amour s’effiloche vite entre elle et son Casimir de mari, impossible pour autant de divorcer à l’époque. Un accord va être trouvé et voila la jeune femme libre de rejoindre la capitale pour enfin vivre l’existence qu’elle souhaite : écrire, publier, fréquenter les milieux artistiques et bohèmes, aimer et être aimée selon son bon plaisir.

En 70 pages à peine, Ysabelle Lacamp nous peint toute une existence dans sa complexité tout en réussissant à contextualiser comme il faut de manière abordable et plaisante. Les préjugés ont pignon sur rue et sont même des règles morales acceptées par le plus grand nombre. Porter le pantalon et des vêtements d’homme, fumer le cigare, vivre de sa plume loin de tout contrôle patriarcal, multiplier les conquêtes masculines voire féminines... autant d’actes qui choquent la bonne morale de l’époque mais dont notre héroïne n’a cure, vivant comme une épicurienne et surtout comme une femme libre.

Mais ce dont on ne se rappelle pas souvent et qui est aussi mis en exergue dans ce court ouvrage, c’est l’artiste essentiel que fut George Sand qui a écrit 70 romans, 40 pièces de théâtre, 40 000 lettres, des centaines d’articles et d’essais politiques. Elle a connu beaucoup de succès, a fréquenté les plus grands, s’est même révélée être l’égérie de la révolution de 1848 trop tôt torpillée par le retour des Bonaparte au pouvoir. Une incontournable figure donc que l’on ne fréquente pas assez dans nos lectures, moi le premier.

Malgré des débuts un peu nébuleux en terme stylistique, l’ouvrage prend toute sa valeur dès les vingt premières pages passées. L’ensemble se lit vite, bien et avec un plaisir certain. George Sand nous apparaît comme vivante, brillante et rebelle comme ses biographies plus poussées nous l’ont déjà fait connaître. Ce livre est donc très intéressant et à conseiller aux jeunes lecteurs pour leur faire découvrir une figure à part de notre patrimonial culturel et leur mettre un peu de plomb dans la tête tant les préjugés combattus par George Sand ont encore la vie dure.

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mercredi 10 août 2022

"Suzette ou le grand amour" de Fabien Toulmé

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L’histoire : Veuve depuis peu, Suzette repense à Francesco, son premier amour, perdu de vue il y a 60 ans. Sa petite-fille Noémie l'invite alors à partir à sa recherche. Sur la route de l'Italie, les deux femmes vont, du haut de leurs générations et de leurs expériences respectives, échanger sur la vie de couple, l'engagement et les histoires qui durent... Et s'il n'y avait pas d'âge pour vivre le grand amour ?

La critique de Mr K : Après le superbe triptyque de L’Odyssée d’Hakim, il me tardait de recroiser la route de Fabien Toulmé, un auteur au trait épuré et au discours qui me parle dans ses engagements et ses prises de position. Avec Suzette ou le grand amour, il propose un récit plus intimiste, une histoire touchante au possible qui m’a littéralement conquis avec un focus sur l’amour, ses raisons et déraisons, l’âge et la famille. Une vraie et grande réussite dont je vais maintenant vous parler plus en détail.

Suzette vient donc de perdre son mari après des décennies de mariage. Elle a 80 ans, sa vie est plus derrière elle mais pourtant elle reste dynamique et volontaire surtout qu’elle entretient un lien privilégié avec sa petite fille Noémie. Suite à la disparition du grand-père, ce lien se développe encore davantage et Suzette se laisse aller aux confidences. Noémie se rend compte qu’elle n’avait qu’une vision et connaissance parcellaire de la vie de sa grand-mère. Ainsi, son mariage était plus de raison que d’amour, son pépé était du genre volage et finalement Suzette n’en était pas vraiment amoureuse. Mais voila, autre époque, autres mœurs, on ne ne sépare pas quand on est marié, on doit regarder ailleurs, serrer les dents, c’est dans l’ordre des choses.

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Puis vient le moment où elle confie à sa petite fille qu’elle a connu un véritable grand amour quand elle était très jeune, à peine majeure et qu’elle avait été engagée le temps d’un été comme jeune fille au pair dans une famille d’aristocrates italiens vivant dans une belle villa à la campagne. Véritable coup de foudre partagé avec Francesco, le hasard s’est voulu cruel (comme bien souvent) et les deux tourtereaux ont été séparés à jamais. Noémie y voit un signe que ce souvenir ressurgisse après la mort du mari de Suzette et décide de l’entraîner dans une quête d’un amour perdu. Elles partent toutes les deux en Italie sur les traces de Francesco, l’occasion de vivre une expérience unique et d’approfondir encore leur relation.

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Cela ne vous étonnera pas vu ce léger résumé, ce récit est rempli d‘émotions contradictoires et complexes à l’image d’une vie humaine. Le personnage de Suzette émeut profondément. Elle se dévoile avec pudeur au fil de ses entrevues avec Noémie. Les débuts sont plutôt banals, Suzette reste sur la défensive, le poids de sa vie est lourd, les habitudes tenaces. On ne se livre pas facilement quand on a vécu dans le déni voir le mensonge toute sa vie. L’alchimie est parfaite entre elle et sa petite fille, ces deux-là se complètent très bien, se comprennent et donnent à lire de purs moments de bonheur et de partage, avec un soupçon d’humour, de nostalgie et de tristesse par moment.

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On se plaît aussi à les suivre ensuite dans leur périple transalpin avec les affreux doutes qui assaillent Suzette, ses angoisses à l’idée de revoir Francesco et les films qu’elle se monte toute seule sur son futur ressenti, son physique. La montée en tension est palpable, jouant sur plusieurs tableaux émotionnels et procure un plaisir de lecture qui prolonge idéalement le portrait à rallonge proposé avant. Le récit va s’emballer et proposer une fin des plus plaisantes et s’inscrivant totalement dans la logique des faits et ressentis abordés jusque là. En parallèle c’est l’occasion pour Noémie d’éprouver son amour avec son compagnon avec qui elle vient de s’installer et avec lequel il y a un peu de friture sur la ligne. On fait donc le va et vient entre ce que vit sa grand-mère et elle, les réflexions de l’une faisant écho sur l’autre, lui faisant prendre conscience de certaines choses et la faisant évoluer à son tour. L’échange est parfois rude, les révélation difficiles à admettre mais l’évolution de chacun est à ce prix.

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Feuilleter l’ouvrage est aussi un vrai plaisir pour les yeux, le style de Fabien Toulmé fait merveille et est en totale adéquation avec son sujet. La simplicité des traits n’empêche pas, bien au contraire, l’expression de sentiments, des temps morts, des incompréhensions. On se laisse donc délicatement porté par les planches, le rythme lent et les échanges verbaux bien souvent délectables. Un très beau moment d’humanité que je vous invite à découvrir au plus vite si ce n’est déjà fait.

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lundi 8 août 2022

"Le miroir de Satan" de Graham Masterton

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L’histoire : Martin Williams, un scénariste, fait l'acquisition d'un miroir ayant appartenu à Boofuls, enfant-star d' Hollywood, assassiné en 1939 dans des circonstances aussi tragiques que mystérieuses. Les miroirs, c'est bien connu, peuvent être des portes sur d'autres mondes. Celui-là est une porte sur l'enfer, sur un "Hollywood à l'envers" où sous ses dehors de petit garçon angélique, Boofuls va se révéler la plus diabolique des créatures...

La critique de Mr K : Un bon plaisir régressif au programme d'aujourd'hui avec un Graham Masterton exhumé de ma PAL, un auteur que j’aime tout particulièrement lire en été, le genre épouvante convenant parfaitement à cette période d’accalmie au niveau taf et au climat surchauffé. Quoi de mieux donc qu’un ouvrage traitant de l’enfer et du Diable avec Le miroir de Satan, une variation très libre autour de l’œuvre de Lewis Carroll. J’y allais avec confiance vu la belle surprise que s’était révélé être Le Portrait du mal qui lui partait sur les pas d’Oscar Wilde. Ce fut ici une lecture très plaisante, addictive et très agréable malgré une fin quelque peu abrupte.

Être scénariste est loin d’être une sinécure. Loin d’être riche, Martin Williams vivote dans un Hollywood où la richesse semble à portée de main. Il ne s’en plaint pas pour autant, il vit pleinement sa vie de célibataire, multiplie les conquêtes et réalise quelques percées dans le marché des séries à succès comme l’Agence tout risque. Il a un projet secret, une marotte : celle de réaliser une comédie musicale sur un enfant-star assassiné violemment par sa grand-mère en 1939. Par un hasard surprenant, il se retrouve avec la possibilité d’acquérir des meubles lui ayant appartenu. Il jette son dévolu (il n’a en fait les moyens que pour ça) sur un grand miroir surmonté d’une figurine grimaçante et l’installe chez lui.

C’est bien connu, les miroirs capturent une partie de votre âme quand vous vous contemplez dedans, certains disent même qu’ils sont un lieu de passage vers d’autres mondes ou dimensions. Martin va l’apprendre très vite à ses dépens. Il commence par y voir des choses qui ne devraient pas y être et bientôt des échanges vont s’avérer possibles. Le simple fait surnaturel et inquiétant va devenir terriblement angoissant avec de premières apparitions glaçantes et des morts violentes qui s’accumulent autour de lui. L’enfant disparu semble avoir survécu et vivre de l’autre côté. Que se passerait-il s’il réussissait à traverser le miroir et à venir dans notre monde ? Le lecteur et le héros prit de panique ne vont pas tarder à le savoir !

Ce qu’il y a de bien avec cet auteur, c’est que ce n’est pas un tâcheron comme on en trouve un peu trop souvent dans le genre. Le style est étudié, fourni et pour autant très accessible et évocateur de scènes délirantes et effrayantes. Masterton s’y entend pour nous mettre les chocottes et il y est arrivé plus d’une fois avec moi avec cette lecture, je peux vous dire que je regardais différemment mon reflet dans le miroir de la salle de bain. On passe dans ce roman de moments calmes à de brusques accélérations narratives qui mettent mal à l’aise, la bienséance n’étant pas dans ces pages bien au contraire. Satan ne fait pas dans la dentelle et dans la morale première, il se déchaîne ici.

L’aspect fantastique est très bien rendu, insidieux et pernicieux, il baigne les pages d’une atmosphère glauque. On n’est pas déçu par cette immersion poisseuse, très progressive et qui voit les certitudes du héros fortement ébranlées. Les faisceaux de présomptions tournent vite aux révélations incroyables. A la moitié de l’ouvrage, on se rend compte que la simple histoire de revenant et d'objet possédé vire en quelque chose de bien plus important et que le sort du monde tel qu’on le connaît est en jeu. Surtout que les esprits finissent par se déchaîner et donnent lieu à des scènes bien gores dont l’auteur a le secret. Ça gicle bien, c’est bien sadique par moment, perso j’adhère et j’adore. Un bon Masterton recèle forcément des passages bien salés, et l’on n’est pas déçu sur ce plan là non plus !

En filigrane, on lit aussi une bonne critique bien senti du système hollywoodien, de la logique de succès et d’échec avec son lot d’âmes perdus et de laissés pour compte capables de tout pour réussir. Le milieu est bien pourri par l’argent, la quête de pouvoir et la volonté de n’en laisser aucune miette. Typiquement le genre d’enfer sur terre idéal pour faire germer un mal plus profond. L’auteur s’en donne donc à cœur joie et la jubilation est là encore totale. Un petit bémol, la résolution arrive tardivement et aurait mérité davantage de développement. Ce n’est pas bâclé pour autant, tout a une explication mais le climax installé aurait mérité d’être détruit de manière moins rapide et plus prolongé. Mais c’est un menu défaut je vous rassure.

Très bonne lecture donc que je ne peux que conseiller à tous les amateurs de frissons, d’ambiance de fin du monde et de paranoïa galopante. C’est efficace, bien mené et l’on n’est pas déçu.

Egalement lus et chroniqués de Masterton au Capharnaüm éclairé :
Le Portrait du mal
Magie des neiges
Apparition
La Cinquième sorcière
- Le Jour J du jugement
- Le Trône de Satan
- Le Sphinx
- Magie maya

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vendredi 5 août 2022

"Pax et le petit soldat" de Sara Pennypacker

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L’histoire : La guerre est imminente. Lorsque le père de Peter s'engage dans l'armée, il oblige son fils à abandonner Pax, le renard qu'il a élevé depuis le plus jeune âge et envoie le garçon vivre chez son grand-père à cinq cent kilomètres de là. Mais Peter s'enfuit à la recherche de son renard.

Pendant ce temps, Pax affronte seul les dangers d'une nature sauvage et se trouve confronté à ceux de son espèce.

La critique de Mr K : Très très belle lecture que cet ouvrage qui m’a été prêté (ainsi que sa suite) par la professeur documentaliste de l’établissement. Pax et le petit soldat de Sara Pennypacker est un petit bijou, une pépite à mettre entre toutes les mains, une ode à l’amour, la fraternité et la compréhension entre les espèces. Et tout cela avec une écriture ensorcelante et un ton jamais lénifiant. Le tour de force est impressionnant et le roman rentre directement à mes yeux dans les classiques de sa catégorie.

Pax et Peter sont inséparables et s’aiment profondément. Pax le renard a été sauvé par Peter dès son plus jeune âge. Devenu un animal apprivoisé, il prend au sérieux son rôle de compagnon et de protecteur. Peter a grandi et est désormais aux portes de l’adolescence, le lien indéfectible avec Pax semble incassable mais le sort va être cruel. Une guerre éclate et le paternel de Peter va s’engager dans l’armée. Il doit confier son fils à son grand-père et il l’oblige à abandonner Pax dans la forêt. L’ouvrage démarre sur cet instant déchirant et va s’attacher ensuite, en alternant les deux points de vue des deux protagonistes principaux, à suivre leur parcours respectifs avec comme objectif de se retrouver. Les embûches vont être nombreuses et les deux amis vont évoluer et mûrir chacun de leur côté. Plus rien ne sera jamais comme avant...

Peter se retrouve donc chez un grand-père renfrogné et avec qui il n’a pas de véritables atomes crochus. Il décide très vite de partir sans prévenir et de rejoindre Pax là où il l’a laissé. Il ne peut se passer de son ami. Au cours de son périple, il va rencontrer Vela, une vieille dame vivant seule et isolée de tous dans la forêt. Suite à un accident, il va devoir rester chez elle un peu plus longtemps que prévu. Ce sera l’occasion pour lui de découvrir beaucoup de choses sur lui et le monde. Pax en parallèle se retrouve plongé dans la nature sauvage, il va se confronter à sa dure réalité, il n’est plus dans un milieu qu’il connaît et il doit tout apprendre. Il fera des rencontres déterminantes, vivra des expériences parfois très difficiles. Ces deux-là à distance vont donc expérimenter la vie et apprendre à se connaître pour aborder leur vie future.

Ce récit initiatique est très bien ficelé et d’une force évocatrice rare. En fait chaque chapitre, paragraphe peut être vu comme un événement ou une réflexion qui forge l’individu. Très métaphysique tout en restant en permanence accessible, c’est l’histoire de la vie qui nous est contée ici avec une simplicité, une clarté et une beauté de tous les instants. Que ce soit pour Peter ou Pax, leur parcours intérieur est très bien rendu, leur évolution est décrite avec justesse et tendresse. Connaître ses limites, savoir se transcender pour révéler sa vraie nature, écouter, comprendre et surtout progresser autant d’incontournables d’une existence que les jeunes lecteurs découvriront avec plaisir avec le style fluide et poétique d’une auteure vraiment douée qui sait s’adresser aux plus jeunes (et aux autres aussi !) sans les prendre pour des imbéciles. C’est louable et très réussi.

En filigrane, le contexte est terrible avec une guerre menaçante qui n’épargne personne. La tension est bien rendue, les peurs, l’inconnu mais aussi les destructions émaillent une histoire qui tourne parfois au tragique mais où émerge malgré tout de l’espoir et de l’optimisme avec nos deux héros qui ne baissent jamais les bras malgré l’adversité. Plaidoyer anti-guerre fin, une histoire pleine de sens et de subtilité, un portrait émouvant d’un lien enfant / animal, des illustrations magiques qui illustrent à merveille le livre font de Pax et le petit soldat une œuvre unique et essentielle qu’il vous faut découvrir au plus vite.

Posté par Mr K à 16:21 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
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