L’histoire : Il y a Kowalski, dit Kol, Betty, licenciée de l imprimerie où elle travaillait. Dylan, prof d'anglais et poète. Les jumelles Dorith et Muriel, pour qui la vie est une fête permanente. L'Enfant-Loup, coureur et bagarreur. Suzana, infirmière en psychiatrie. Rousseau, beau gosse et prof d'économie. Hurel, industriel, lecteur de Marx et de Kropotkine. Ils sont chômeurs, syndiqués, certains exilés, tous ont été des travailleurs. Pas des "cocos", ni des militants. Des hommes et des femmes en colère, qui décident de régler leur compte à cette société où l’autorité du succès prime sur celle du talent. Des samouraïs, des mercenaires, une redoutable fraternité constituée en Brigade du rire.
Leur projet ubuesque et génial tient à la fois de la supercherie que de la farce grotesque : kidnapper et faire travailler Pierre Ramut, l'éditorialiste vedette de Valeurs françaises, et, dans un bunker transformé en atelier, l'installer devant une perceuse à colonne pour faire des trous dans du dularium. Forcé de travailler selon ce qu'il prescrit dans ses papiers hebdomadaires, semaine de 48h, salaire de 20% inférieur au SMIC, productivité maximum, travail le dimanche , Ramut saura désormais de quoi il parle...
La critique de Mr K : Aujourd’hui chronique d’un ouvrage de Gérard Mordillat qui traînait depuis trop longtemps dans ma PAL. J’aime beaucoup cet auteur à la verve enveloppante qui ne m’a pratiquement jamais déçu (son dernier en date était un ton en dessous) et La Brigade du rire promettait beaucoup après lecture de la quatrième de couverture. La lecture fut très addictive, gouleyante à souhait et idéalement équilibrée entre rires et larmes.
La fameuse brigade regroupe d’anciens camarades d’une équipe de handball qui a connu de sacrés beaux succès il y a plusieurs décennies. Eux plus quelques unes de leurs proches se retrouvent bien des années après et, lors d’une soirée particulièrement bien arrosée, décident de passer à l’action. La conduite du monde les désespère et ils comptent bien marquer le coup. Ils enlèvent donc le penseur / éditorialiste néo-libéral fascisant Ramut et décident de lui appliquer son propre programme économique qui pointe du doigt la pseudo fainéantise du peuple et veut accentuer le pouvoir patronal. Il ne sera pas déçu et va connaître une expérience pour le moins éprouvante...
L’ouvrage propose une galerie de personnages tous plus truculents et ciselés les uns que les autres. Que ce soit d’un bord ou de l’autre car l’on suit aussi les proches de Ramut, les personnages sont comme d’habitude très bien croqués et quasiment tous attachants sauf certains personnages appartenant à la sphère du pouvoir médiatique qui se révèlent particulièrement méprisables et méprisants. On croise donc un patron d’entreprise marxisant, un professeur d’anglais poète, un garagiste coureur de jupon, un néo-chômeur révolté, un distributeur de films, un professeur d’économie, deux sœurs particulièrement délurées, une infirmière psychiatrique, une veuve inconsolable, un second couteau de l’édition aux dents longues ou encore d’autres personnages secondaires qui prennent tous leur importance au fil du déroulement de l’intrigue. Malgré ce nombre élevé de protagonistes, on ne se perd jamais et chaque élément du puzzle s’emboîte parfaitement avec les autres pour former une trame dense et riche en rebondissements.
On se prend très vite au jeu et l’on se plaît à côtoyer cette bande de joyeux drilles à la détermination féroce. L’histoire de l’enlèvement et de la séquestration est un prétexte pour explorer ces vies cabossées, très différentes les unes des autres où les peines de cœur, côtoient les difficultés professionnelles et les aléas de la vie. C’est aussi de grands moments de partage et de communion, des discussions à bâtons rompus pour refaire le monde, de beaux moments d’amitié et des passions charnelles dévorantes et inspirantes. Le champ d’investigation social est donc très vaste, provocant de multiples émotions chez le lecteur prit en otage de ces destinées bien souvent marquantes. Tout s’entremêle joyeusement, des liens apparaissent que l’on aurait pas vu venir et l’on se délecte de cette toile d’araignée littéraire savamment construite et très maline par moments.
On retrouve bien évidemment l’aspect engagé de l’auteur qui n’y va pas avec le dos de la cuillère une fois de plus avec une peinture acérée de notre monde. Les méfaits du néo-libéralisme à tout crin ne sont plus à prouver mais ses rouages profonds, ses motivations premières sont exposées ici avec clarté et une ironie cinglante. L’argent roi, le pouvoir des médias, l’endoctrinement des masses, l’appauvrissement intellectuel qui va de pair avec la recherche de la soumission du plus grand nombre font terriblement écho avec notre époque actuelle entre les complotistes allumés et les tenants du pouvoir à l’aplomb déconcertant et cynique. C’est juste, parfois jusqu’au-boutiste comme un bon coup de pied au derrière. Ça fait du bien !
C’est donc un très bon crû que ce Mordillat aussi rafraîchissant qu’engagé en faveur du peuple, des femmes et de la quête d’égalité qui nous fait tellement défaut de nos jours. À lire absolument.
Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Les vivants et les morts
- Ces femmes là
- La Tour abolie
- Des Roses noires