dimanche 29 mai 2022

"Texto" de Dmitry Glukhovsky

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L’histoire : Novembre 2016. Ilya rentre à Moscou après sept années de détention dans la zone – une de ces régions de Sibérie peu peuplées où la Russie installe des camps pénitentiaires –, bien décidé à tourner la page et à reprendre une vie normale.

À peine arrivé, il est confronté à la mort de sa mère, à une fin de non-recevoir de la femme qu’il aimait et à un monde qu’il ne reconnaît plus. La nuit même de son retour, l’esprit embrumé par l’alcool et la rage chevillée au corps, il tue l’officier de la brigade des stups véreux qui, sept ans plus tôt, l’avait piégé par simple mesquinerie. Ce faisant, il récupère son téléphone portable dont il a mémorisé le code de déverrouillage.

Le lendemain, prenant conscience de la portée de son acte, et ne se donnant que quelques jours à vivre, il n’a qu’une idée en tête : rassembler assez d’argent pour offrir une sépulture décente à sa mère. Une seule solution pour repousser l’échéance de sa mort : piocher dans le téléphone volé les bribes de la vie du policier pour faire croire à tous ses contacts qu’il est toujours en vie.

Commence alors pour Ilya une partie d’échecs simultanée : il n’a pas le droit à l’erreur contre chacun de ses "adversaires", en plus de jouer contre la montre.

Commence aussi une plongée dans les tréfonds de l’âme de celui qu’il hait, mais dont il doit assumer l’identité tant bien que mal, et avec qui il finit par se confondre.

La critique de Mr K : Chronique d’un beau cadeau de Noël offert par ma chère et tendre et que j’ai enfin lu malgré mon impatience au moment de sa réception. Il faut dire que j’adore Dmitry Glukhovsky, un écrivain russe au talent incroyable et à l’engagement sans ambiguïté contre le tyran qui dirige son pays. Il est surtout connu pour sa trilogie Metro qui est excellente mais je dois avouer que ma préférence va vers le sublime FUTUR.E et l’étrange et sinueux Sumerski. C’est d’ailleurs vers ce dernier que lorgne Texto, le dernier roman de l’auteur que je n’avais pas lu.

Je dirais tout d’abord que cet ouvrage est à part dans la bibliographie de l’auteur. Moins branché anticipation et fantastique, on rentre ici dans un récit intimiste complètement branque où Ilya le héros récupère le smartphone de sa victime et va se faire passer pour lui. À priori basique, l’intrigue n’est en fait qu’un prétexte pour disséquer la personnalité d’Ilya, explorer son passé et sa psyché pour le moins torturée. On pense immédiatement à Dostoïevski et notamment le fabuleux Crime et Châtiment qui m’avait laissé sur les genoux. Il ne se passe finalement pas grand chose, l’action est resserrée sur quelques jours mais en explorant le passé du propriétaire de son smartphone, en essayant de se substituer à lui, Ilya va de découvertes en découvertes, la culpabilité peu à peu l’envahit et l’entraîne vers une fin logique et imparable. Brillant !

Glukhovski est un orfèvre en terme de caractérisation des personnages. Que ce soit pour Ilya ou sa victime mais aussi tous les protagonistes qui gravitent autour d’eux, il façonne des êtres complexes, ambivalents, profondément humains. Il nous installe dans un faux rythme lent qui peut exploser du jour au lendemain en faveur d’une révélation faite en bout de ligne ou de paragraphe. Il faut se garder des idées toutes faites, des hypothèses que l’on peut élaborer, l’auteur s’amuse à nous tromper, nous diriger vers de fausses certitudes qu’il renverse avec un plaisir certain au fil de cette lecture très dense.

C’est le mot pour décrire une lecture pas forcément évidente au premier abord. Il faut se donner les moyens de pénétrer l’univers d’Ilya, de goûter au charme de cette écriture pleine qui prend son temps. L’action ne démarre vraiment qu’en milieu de volume, Glukhovsky prenant le temps d’installer une ambiance, un personnage. Cela en a découragé plus d’un mais vu mon goût pour cet auteur, je savais que la suite me rendrait au centuple l’effort consenti. Car dès lors qu’on passe le cap, on est entraîné dans un parcours pour le moins chaotique et incertain. Vivant une vie par procuration , Ilya commence à perdre pied, mélangeant sa vie et celle de l’autre, définissant de moins en moins bien le réel du fantasmé avec en fond une culpabilité qui l’envahit peu à peu sans espoir de rédemption ou presque.

En filigrane, l’auteur nous offre un tableau peu reluisant de la Russie actuelle avec l’évocation de mœurs et de pratiques anti-démocratiques comme le musellement des gêneurs, une police aux ordres, des condamnations iniques, une vision parfois paranoïaque du monde qui se traduit si tragiquement en ce moment en Ukraine. Le regard est ici lucide et sans concession, donnant lieu à une lecture éclairante, passionnante et parfois choquante. C’est à l’image de toutes les émotions que ce roman procure entre lumière et obscurité avec une humanité qui se débat comme elle peut et au final des destinées effilochées et vouées à disparaître. Ce n’est donc pas le plus optimiste des livres...

Comme dit précédemment, on retrouve toute la maestria de l’auteur, sa langue unique, son sens du récit même si ici il se réduit souvent aux émotions ressenties d’Ilya et sa prise de connaissance du passé de sa victime via son smartphone. Le rythme est lent (trop diront certains), moi je l’ai trouvé parfait et idéal pour appréhender au mieux personnages et tenants et aboutissants de cette intrigue profondément intime et humaine à la fois. Une sacrée expérience donc, qui divisera sans doute davantage que les œuvres suscitées de l’auteur mais qui pour ma part, m’a ravi et enthousiasmé.

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Metro 2033
- Metro 2034
- Metro 2035
- Sumerki
- FUTU.RE

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jeudi 26 mai 2022

"Le Voyage de Marcel Grob" de Philippe Collin et Sébastien Goethals

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L’histoire : 11 octobre 2009. Marcel Grob, un vieil homme de 83 ans, se retrouve devant un juge qui l'interroge sur sa vie. Et plus particulièrement sur le 28 juin 1944, jour où ce jeune Alsacien rejoint la Waffen SS et est intégré dans la 16e division Reichsführer, trois mois après le débarquement allié en Normandie. Marcel se rappelle avec émotion de ce jour fatidique où, comme 10 000 de ses camarades Alsaciens, il fût embrigadé de force dans la SS. Non, il n'était pas volontaire pour se battre mais il n'avait pas le choix, il était pris au piège.

Mais pour le juge qui instruit son affaire, il va falloir convaincre le tribunal qu'il n'a pas été un criminel nazi. Alors, Marcel Grob va devoir se replonger dans ses douloureux souvenirs, ceux d’un "malgré nous", kidnappé en 1944, forcé d'aller combattre en Italie, au sein d'une des plus sinistres division SS. Un voyage qui l'amènera à Marzabotto, au bout de l'enfer...

La critique de Mr K : Encore un bel emprunt au CDI de mon établissement que Le Voyage de Marcel Grob de Philippe Collin et Sébastien Goethals. Récit intime, récit historique, récit policier se confondent dans cette traque de la vérité qui s’écartent des chemins balisés pour livrer un être humain dans toute sa complexité et ses contradictions. Un voyage passionnant et terrifiant à la fois.

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L’ouvrage revient donc sur un aspect méconnu de la Seconde Guerre mondiale, l’enrôlement quasi forcé de certains alsaciens dans la SS. Certes, un certain nombre d’entre eux se sont révélés volontaires et voyaient d’un bon œil l’occasion d’aller casser du communiste. Mais beaucoup, ont du céder au chantage et aux menaces. Voulant éviter le pire à leurs proches restés au pays, ils vont rejoindre les légions noires et assister à ou commettre des atrocités.

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Marcel Grob fait parti de ces jeunes alsaciens que le destin a marqué. Le récit commence dans le bureau d’un juge d’instruction qui le questionne sur son passé. Il semble persuadé que Marcel a été un collaborateur zélé des nazis. Celui-ci s’indigne et va devoir convoquer tous ses souvenirs pour convaincre son interlocuteur de son innocence. Commence alors le déroulé des événements avec au départ la fuite du village puis l’incorporation subie et les premières expériences traumatisantes.

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La lecture alterne donc présent et passé, entre scènes d’interrogatoires et souvenirs égrainés par Marcel. On passe aisément de l’un à l’autre dans une mécanique infernale, redoutable qui fait son effet. Peu à peu la lumière se fait malgré des zones d’ombres qui resteront et empêcheront le lecteur de se faire une opinion totalement sûre sur le personnage principal pétri de contradictions qu’il ne maîtrise d’ailleurs pas forcément.

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Les dessins loin d’être révolutionnaires servent très bien le récit, ils s’effacent au profit du texte (assez dense d’ailleurs) et le mettent en valeur. Une belle expérience de lecture au service de l’Histoire que cette bande dessinée qui explore à merveille une époque difficile de notre pays. Les amateurs ne doivent pas passer à côté.

mardi 24 mai 2022

"Vierge jurée" de Rene Karabash

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L’histoire : Ostaïnitsa – vierge jurée : femme qui fait serment de virginité et commence à mener une vie d’homme dans des sociétés patriarcales au nord de l’Albanie, au Kosovo, en Macédoine, en Serbie, au Monténégro, en Croatie, en Bosnie – ces contrées où règne encore le Kanun. Un changement de genre constitutionnellement admis par un serment qui, une fois prononcé, permet à la femme d’acquérir tous les droits d’un homme. De nos jours, il ne reste que quelques vierges jurées.

Bekia est devenue Matia. Elle a décidé d’être une vierge jurée après avoir été violée par l’idiot du village la veille de ses noces : son époux, découvrant qu’elle n’était pas "pure" aurait le droit de la tuer. Elle renonce à la femme en elle, et par cet acte, elle entache l’honneur de celui qu’elle devait épouser et engage ainsi sa famille dans l’une de ces vendettas qui font partie du quotidien des habitants de ces contrées...

La critique de Mr K : Un OLNI (Objet Littéraire Non Identifié) au programme de la chronique du jour au Capharnaüm éclairé. Vierge jurée de Rene Karabash, une auteure bulgare aux multiples facettes (traductrice, romancière, poétesse et même actrice à ses heures perdues) nous propose un récit hors-norme littéraire, une voix singulière et marquante qui provoque émotions et réflexions mêlées avec un plaisir renouvelé à chaque court chapitre, chaque page voire chaque phrase. Je vais tenter de vous expliquer le pourquoi du comment.

Violée la veille de son mariage ce qui entache définitivement son honneur et l’a rend impure (vive la patriarcat...), Bekia décide de devenir une vierge jurée, de mener une vie d’homme comme le lui permet le Kanun, droit coutumier médiéval ayant encore cours dans certains régions d’Albanie. Elle échappe du coup à un sort funeste mais le détourne vers un des membres mâles de sa famille, la vendetta sanglante étant une pratique récurrente et ancrée dans les esprits.

Le sang est omniprésent dans cet ouvrage, le sang perdu de l’hymen doit être remplacé par le sang d’un membre de la famille car une femme n’a pas vraiment de droits dans ce système misogyne qui la rend coupable de ce qu’elle subit. Prisonnière de son identité, de son corps quelque part, elle se transforme en homme pour échapper aux lois iniques qui régissent la communauté. Lois passéistes qui tendent à disparaître au fil des décennies et qui sont ici particulièrement dénoncées et questionnées avec finesse. On a parfois l’impression de se retrouver en pleine pièce cornélienne avec des rites et des mœurs qui semblent totalement en décalage avec notre époque...

C’est donc l’histoire d’une femme mais aussi de sa famille que nous apprenons à connaître à travers ses réflexions, régressions et mises en exergue de certains moments clefs de son existence. C’est par exemple le père qui voulait un fils et qui a eu une fille qui lui ressemble beaucoup d’ailleurs dans son caractère, sa manière d’agir. Un frère qui s’enfuit pour échapper à la vendetta et qui cherche à tout prix à contacter sa sœur "métamorphosée". L’identité familiale est aussi au cœur du récit et s’entrechoque avec l’identité de l’héroïne, la décision de Bekia va remettre en question pas mal de choses considérées comme acquises et va provoquer un drame irréparable.

La trame en soi est plutôt simple mais c’est la narration qui chamboule tout. Elle est totalement éclatée, tout sauf linéaire et donc malaisée à saisir. Il faut un temps d’adaptation face aux changements de points de vue, de sexes, une temporalité mixée à la Pulp Fiction et des points de vue qui s’alternent sans prévenir. Et pourtant, on s’y fait, on n’arrive plus à relâcher cet ouvrage atypique où la forme déstructurée (y compris dans la gestion des dialogues, des formes du discours, de la syntaxe élémentaire, la ponctuation étrange parfois...) donne une forme d’oralité à l’ensemble, un côté imprécatoire avec son lot de litanies, de répétitions et de retours sur l’action qui plongent le lecteur dans l’univers si particulier de l’héroïne.

Voilà donc un roman qui détone dans le milieu littéraire, une œuvre différente qui dérange les habitudes et propose un voyage intime à nul autre pareil, une quête de liberté dont je me souviendrai longtemps.

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dimanche 22 mai 2022

Acquisitions printanières SF et fantasy

Au fil du printemps, Nelfe et moi avons récoltés quelques nouveaux livres prometteurs lors de passages à Emmaüs ou dans des boîtes à livres de la région. Tellement de titres nous ont tenté pendant cette période que je vais être obligé de rédiger deux postes différents les concernant. J'ai décidé de vous présenter aujourd'hui les ouvrages orientés SF et fantasy, des romans prometteurs et qui vont rejoindre ma PAL. Voyez plutôt.

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Ils ne sont pas beaux ? Certains répondent à des attentes que je nourrissais depuis déjà pas mal d'années, d'autres sont de pures découvertes. Je suis assez compulsif comme lecteur, je lis de tout mais je dois avouer que ces genres de l'imaginaire me procurent un plaisir bien particulier et certains titres vont frapper fort je pense. La revue en détail commence maintenant !

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- Les Artefacts du pouvoir de Maggie Furey. Cette tétralogie de fantasy sera une de mes lectures de l'été, période idéale pour se plonger dans un cycle de ce type. Je ne connaissais pas du tout l'auteure avant de tomber inopinément sur ce lot complet et les premiers avis que j'ai pu compulser sur le net m'ont convaincu de m'en porter acquéreur. Une jeune orpheline de père va voir sa vie bouleversée à l'annonce de pouvoirs qu'elle ne maîtrise pas encore. Elle va intégrer une académie de magie et devenir une puissante magicienne qui partira à la quête de quatre artefacts légendaires. Le pitch plutôt classique cache à priori un récit dense et enlevé. Tout ce que j'aime !

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- Le Nez de Cléopâtre de Robert Silverberg. Un auteur qu'on ne présente plus et auquel je ne peux jamais résister quand je croise un ouvrage de lui que je n'ai pas lu. Six nouvelles ici font la part belle au détournement de l'Histoire, des uchronies compilées dans ce volume avec des idées de base bien tripantes : l'Empire romain qui se maintient et s'élargit face aux invasions barbares, Socrate rencontrant Pizarre dans un monde parallèle, la Peste noire de 1348 qui emporte les 3/4 de l'Europe occidentale... Avec Robert Silverberg, je suis sûr de n'être jamais déçu, hâte de lire cet ouvrage !

- La Brigade de l’œil de Guillaume Guéraud. 2037, la Loi Bradbury interdit toutes les images depuis 20 ans sur le territoire américain car elles sont considérées comme nocives et peuvent rendre fou selon la propagande qui matraque la population. Une brigade spécialisée (donnant son nom au livre) traque les terroristes opposés à cette dictature. Un résumé qui fait froid dans le dos pour un roman plébiscité par beaucoup et que je vais pouvoir enfin lire après en avoir beaucoup entendu parlé, notamment lors de diverses conférences aux Utopiales.

- Chiens de guerre d'Adrian Tchaikovsky. Rex est un bon chien. C'est un biomorphe, un animal génétiquement modifié, lourdement armé et doté d'une voix synthétique créée pour distiller la peur. Rex obéit aux ordres du maître qui lui désigne les ennemis. Mais qui sont-ils réellement ? Se pourrait-il que le maître outrepasse ses droits ? Et si le maître n'était plus là ? Ça fleure bon le récit hardboiled révélateur des dérives du pouvoir et de la disparition de toute éthique dans les recherches en biotechnologie. Typiquement le genre d'ouvrage qui propose un récit prennant et source de réflexion. Miam miam !

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- L’holocauste de James Gunn. Dans une société imaginaire, les savants sont condamnés à mort car trop longtemps les peuples ont été soumis au pouvoir de la science. Ils exigent désormais leur liberté même au prix de la barbarie. Le héros était jadis un scientifique admiré, il est désormais un fugitif. Un road movie qui s'annonce sous les meilleurs hospices pour un auteur que je vais découvrir avec cet ouvrage lourd de promesses. Wait and read.

- Voici l'homme de Michael Moorcock. Là encore au auteur que j'adule et un ouvrage qui m'avait jusque là échappé. Un homme du XXème siècle remonte le temps jusqu'en l'an 28 pour chercher le Christ et assister à sa crucifixion. Il finit par rencontrer Jean-Baptiste qui semble entendre le nom de Jésus-Christ pour la première fois ! Le postulat est terrible et je pense qu'on peut compter sur Moorcock pour nous livrer un récit hors norme.

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- Tous les pièges de la terre de Clifford Simak. Encore un auteur que j'affectionne pour un recueil de nouvelles alternant SF, suspens policier et contes fantastiques que je vais découvrir. Des nounous qui élèvent leurs jeunes pousses en s'appropriant leur jeunesse comme salaire, l'alcool des extraterrestres qui révèle le malheur des autres et conduit à l'ivresse, un robot piégé par la sensibilité humaine, la publicité comme tranquillisant parfait d'une guerre inter-planétaire... autant de présentations qui m'ont fait craquer pour un livre qui lui aussi promet beaucoup. Simak va encore frapper je crois.

- Thin Air de Richard Morgan. Un one-shot de l'auteur de la trilogie littéraire Altered Carbon (dont j'ai lu le premier tome qui s'est révélé enthousiasmant). Véritable machine à tuer bourrée d'implants en tout genre, Hakan Veil est un agent de sécurité haut de gamme qui se voit confier une mission, à priori anodine, de protection. Tout va basculer avec des révélations mettant à jour un nid d'intrigues et de meurtres. Action, thriller et cyberpunk sont au menu d'un roman prometteur comme jamais, vu la patte de cet écrivain, je vais passer un bon moment.

De bien belles acquisitions qui vont alourdir encore un peu plus les rayonnages de ma PAL et qui vont faire mon bonheur dans les semaines et mois à venir. RDV ici même pour les futures chroniques qui les concerneront. Haut les cœurs lecteurs !

jeudi 19 mai 2022

"Conquistador" Intégrale de Jean Dufaux et Philippe Xavier

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L’histoire : Tenochtitlan, an 1520. Ils cherchaient le trésor des Aztèques... Ils ignoraient que Le Gardien veillait.

La critique de Mr K : Chronique d’une lecture sympathique à défaut d’être originale aujourd’hui avec cette tétralogie empruntée au CDI de mon établissement pour les vacances de Pâques. Conquistador de Jean Dufaux et Philippe Xavier est une saga en quatre volume qui se lit d’une traite avec un plaisir certain. Cependant, il lui manque un supplément d’âme et une complexité pour qu’elle soit vraiment mémorable. Je m’en explique maintenant...

L’action se déroule dans les années 1520 lors des premières expéditions espagnoles dans le nouveau monde et notamment avec Cortés en territoire aztèque. Il est déjà sur place à Tenochtitlan depuis quelque temps, a noué des relations ambiguës avec l’empereur Moctezuma entre relations amicales et supériorité pseudo divine. Au début du premier volume, il se prépare à repartir à Veracruz pour affronter l’expédition punitive menée par Panfilo de Narvaez. Le royaume d’Espagne considère en effet que Cortés s’enrichit sur le dos de la couronne et veut y mettre un terme. Le général Cortés charge en parallèle un petite groupe de fidèles d’aller repérer et voler une partie du trésor aztèque. Ce qu’ils font non sans causer des dégâts et provoquer une malédiction qui va commencer à les décimer les uns après les autres...

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L’aspect aventure de la série est très bien mené. Les amateurs d’Indiana Jones seront ravis à commencer par moi. C’est très rythmé, on mélange allégrement Histoire et fantastique avec des passages bien mystiques qui apportent un plus indéniable. De l’action, un peu d’humour (en marge cependant), des jeux de pouvoirs tendus aux renversements nombreux, de la séduction aussi et une belle histoire d’amour en second plan offrent au final un récit aux multiples ramifications qui mène à un ultime volume bien déjanté qui renverse pas mal de certitudes chez les personnages. Certes, on est rarement surpris, les auteurs usent de pas mal de clichés vus et revus mais on se laisse capter sans souci.

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Le point faible réside cependant dans les personnages. Je les ai trouvé un peu trop caricaturaux avec une psyché plus que limitée. Clairement, par moment, on a l’impression qu’on s’adresse à des enfants malgré des scènes bien choc. Convenus, simplistes parfois, on ne s’attache pas vraiment à eux, notamment les protagonistes principaux. Ou alors, certains disparaissent trop vite ! Je pense au moine amateur de Peyolt qui a des visions des plus space ! Autres clichés, les hommes musclés, forts et robustes et des femmes au corps de rêve, toutes très bien foutues et pour beaucoup passives. Un brin macho, me direz-vous ? Oui et non car certains personnages féminin s’avèrent forts et résistants mais là encore on tombe dans du déjà-vu et du caricatural.

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Si la BD se résumait à cela, je ne serai pas allé jusqu’au bout. Heureusement, la contextualisation est impeccable, au niveau historique et reconstitution, on n'est pas loin de la perfection (malgré des exagérations dans l’évocation des rites aztèques). On est vraiment plongé dans l’époque, dans les lieux avec ces heurts entre deux civilisations aux modes de vie et de pensée radicalement opposés. Le choc est brusque et très bien retranscrit. L’aspect esthétique est vraiment bluffant notamment dans les scènes de descriptions ou d’attente, dans les vieilles cités aztèques, dans la jungle sombre et profonde avec ses ruines cachées et ses cascades ensorcelantes. Les scènes d’affrontement sont aussi très réussies avec un dynamisme qui ne se dément jamais et des couleurs qui explosent les rétines pour le plus grand bonheur du lecteur.

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On est donc ici pleinement dans un pur plaisir régressif, une lecture distrayante à défaut d’être révolutionnaire. Idéale pour passer du bon temps même si au final, elle ne restera pas dans les mémoires des bdphiles les plus exigeants. À découvrir ou non selon vos attentes dans le domaine.

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lundi 16 mai 2022

"La Guerre éternelle" de Joe Haldeman

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L’histoire : Imaginez une guerre si vaste que l'écho des batailles peut permettre plusieurs siècles à parvenir aux oreilles de ceux qui les ont ordonnées... enfin, de leurs descendants, en tout cas. Pour le soldat Mandella, membre de l'une des unités d'élite chargées de combattre les Taurans, le problème est inverse : lorsqu'il revient sur Terre après plusieurs mois de campagne, des décennies se sont écoulées. Comment continuer à vivre, quand tout ce pour quoi on s'est battu n'existe plus ?

La critique de Mr K : Encore un beau prêt de l’ami Franck avec ce roman de SF qui dépote entre action et dénonciation, un peu à la manière de Etoiles, garde à vous! de Robert Heinlein (adapté au cinéma sous le nom de Starship Troopers) mais en bien meilleur. Dans La Guerre éternelle, Joe Haldeman offre donc un récit de guerre engagé, intimiste et d’une portée incroyable. J’ai littéralement dévoré ce livre qui m’a procuré un plaisir de lecture de tous les instants.

Le roman s’attache donc à suivre le parcours du soldat William Mandella à travers quatre actes, quatre parties qui composent son existence : Soldat, Sergent-chef, Lieutenant, Commandant. On débute par son entraînement intensif après son acceptation dans une unité spéciale de combattants de l’espace. C’est le temps de la formation, des premières désillusions aussi. Dans le genre rudes, ces premières classes se posent là avec la possibilités pour certains de périr avant même d’avoir affronté son premier ennemi. Il faut s’habituer aux conditions extrêmes de l’espace, à la manipulation des équipements et armes, savoir cohabiter avec les autres, obéir sans réfléchir aux ordres donnés et accepter son rôle et sa fonction.

Puis vient le temps des combats réels avec la découverte d’une race extraterrestre (les taurans) qui semblent s’en prendre aux vaisseaux colonies des humains et que l’on doit affronter sur de multiples fronts. De batailles en batailles, de sauts temporels en sauts temporels liés au voyage spatial (effets de la relativité, le temps s’écoule plus vite sans que les voyageurs ne vieillissent physiquement) le héros évolue et ne veut qu’une chose : rentrer sur terre, à la maison et fonder une famille. Mais la surprise est de taille quand il découvre ce que le berceau de l’humanité est devenu. Il finira par repartir au combat non sans avoir un pincement au cœur et une idée derrière la tête qui aboutira dans les toutes dernières pages.

Cette lecture est mon premier contact avec cet auteur qui possède une sacrée belle plume. Lui-même gravement blessé au Vietnam, il porte sur la guerre un regard sombre. Il n’aime pas la guerre mais pour autant, il ne déteste pas l’armée et surtout pas ses composantes humaines (hommes et femmes profondément égaux dans ce roman, un axe égalitaire et féministe à sa manière très intéressant d’ailleurs). C’est pourquoi, il porte un regard très humain sur les protagonistes qui sont présents dans ce texte. Ils sont sympathiques, très charismatiques pour beaucoup mais victimes du système, de la hiérarchie et des logiques en cours dans un conflit qui dure et déforme le temps et les perceptions.

On a un bel aperçu de cette réalité hypothétique à travers le parcours de William, un jeune homme au départ plutôt naïf, idéaliste, une forme d’innocence qui embarque directement le lecteur. Le temps et l’expérience vont lui endurcir le cuir même si sa nature profonde restera la même et guidera ses actes. Il tient le coup malgré les vents contraires, les aléas du sort par sa capacité à l’empathie, à la tendresse et même à l’amour avec une relation privilégiée avec une de ses congénères, une relation douce et puissante à la fois qui emporte l’adhésion. En parallèle, les voyages spatiaux provoquent des bouleversements temporels qui éloignent le personnage de chez lui, du monde qu’il a pu connaître et même de lui-même au final. La mise en abyme est parfois terrifiante et révélatrice de bien des choses notamment en terme de nature humaine.

Pour un ouvrage de SF, on est ici dans un réalisme assez bluffant. Tout est crédible, puissamment emmené et l’ouvrage n’a pas pris une ride malgré son âge désormais avancé (il a été écrit en 1974). Au delà d’une critique de la guerre et une approche sans tabou de l’armée (il est beaucoup question du libre-arbitre des combattants notamment, des moyens de propagandes et d’embrigadements), ce livre brûlot aborde beaucoup de thèmes connexes qui trouvent échos dans le monde actuel : l’évolution de la Terre et des sociétés humaines, l’égalité des sexes, le droit des minorités sexuelles avec une inversion des valeurs assez savoureuse à un moment du récit. Non vraiment cet ouvrage a gardé toute sa force de frappe et laisse le lecteur sonné par tant d’intelligence déployé tout en ne sacrifiant jamais le rythme, l’aventure et le parcours intime de ses personnages.

La langue est percutante et embarque immédiatement le lecteur. Facile d’accès, La Guerre éternelle se lit tout seul dans un style abordable mais exigeant dans le fond, un rythme qui ne se dément jamais et un plaisir de lire assez hors norme. Un belle expérience que je vous invite à faire à votre tour et qui ne vous décevra pas.

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samedi 14 mai 2022

"Batman année un" de Frank Miller et David Mazzuchelli

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L’histoire : Quand il avait six ans, Bruce Wayne a vu ses parents se faire assassiner sous ses yeux. Après un entraînement intensif, il revient à Gotham City pour mener une guerre sans merci contre le crime... mais ce ne sera pas facile. Face à la corruption des autorités de la ville et leurs liens avec la pègre, Bruce, sous le déguisement du vigilant Batman, va forger une alliance avec un policier nouveau venu à Gotham : le lieutenant James Gordon.

La chronique de Mr K : Jusqu’au début de mon adolescence, j’étais un enfant de la bande dessinée belge, un amateur forcené d’Hergé et de son célèbre reporter à la houppe dont je lisais les albums à la lueur de ma lampe de chevet. Et puis, j’ai découvert Spiderman qui m’a ouvert les portes de l’univers des comics, un héros tourmenté à la vie bien remplie. Mais c’est le personnage de Batman qui sera le révélateur de quelque chose chez moi, un personnage atypique, sans super pouvoir et profondément sombre qui vit caché et dans ses contradictions.

C’est donc avec joie que j’empruntai ce volume au CDI de mon établissement, pensez-donc, l’alliance entre un de mes personnages préférés et un artiste que j’admire par dessus tout depuis sa série Sin City. Frank Miller range les crayons ici, se contente de la casquette de scénariste et laisse la mise en image à David Mazzuchelli. Les deux hommes font merveille et proposent un récit haletant et passionnant.

Je ne vous ferai pas l’injure de revenir sur l’histoire. Tout le monde ou presque la connaît. Bruce Wayne, fils de bourgeois, devient orphelin très jeune. Il grandit vaille que vaille grâce à l’attention de son majordome Alfred, part en voyage pendant plusieurs années pour revenir dans une Gotham City gangrenée par la corruption et le crime. Ne pouvant plus supporter cet état de fait, il se crée un alter-égo de l’ombre, un homme chauve-souris qui va faire changer la peur de camp et essayer de remettre les compteurs à zéro. Le présent ouvrage nous raconte les origines de cette métamorphoses et ses premiers pas en tant que justicier.

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Pour qui est déjà familier de l’univers de Batman, on navigue donc ici en eaux connues. Pour autant, on ne s’ennuie pas une seconde tant l’écriture de Miller fait mouche et prend des directions plus surprenantes. L’exemple le plus criant est la caractérisation de l'inspecteur Gordon que j’ai toujours trouvé un peu lisse. Ici c’est un homme borderline au niveau de son mariage, le poids de son métier pèse et il est faillible. Cela le rend plus vulnérable, plus humain, moins parfait en quelque sorte. Du coup, ce personnage qui m’indifférait auparavant notamment dans les adaptations cinématographiques de Christopher Nolan (une très bonne trilogie soit dit au passage) prend dans ce comics une toute autre dimension, une importance plus forte et colore de noir une trame déjà bien sombre.

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Pas de grands bad guys du coup dans ce volume. Les pourris ce sont les responsables politiques et les mafieux dont les accointances sont les sources du chaos à Gotham. C’est noir, très noir même et il suffit de quelques planches, scénettes pour étaler au grand jour la déliquescence de la cité. La toile d’araignée est dense, l’espoir bien maigre et d’ailleurs malgré un dénouement plutôt positif, beaucoup de boulot reste à abattre au justicier et ses alliés. Davantage qu’une aventure virevoltante, on a affaire ici à un récit initiatique doublé d’un aspect policier très développé qui donne un ton et une ambiance assez unique à ce récit où le rythme ne faiblit jamais et propose de nombreuses réflexions sur les sociétés humaines et la propension de notre espèce à se nuire à elle-même.

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Gotham City est un vrai personnage à part entière, on erre dans ses ruelles, ses lieux de pouvoir. Mécanisme du pouvoir, des résistances possibles mais aussi celles de victimes expiatoires qui endossent des responsabilités qui ne leur incombent pas, l’entité Gotham grouille de détails (parfois très discrets) qui donnent à l’ensemble une cohérence et une force rare. Le propos est intelligent, très complexe et emmène le lecteur vers des rivages insoupçonnés qui forcent l’admiration.

La mise en image est magnifique. Bien que classique dans son aspect formel (et encore certaines cases sont d’une imagination folle, privilégiant notamment le hors cadre), elle happe le lecteur et insuffle une vitalité terrible. Non vraiment ce comics vaut le détour et ravira autant les vieux de la vieilles que les nouveaux lecteurs. Un must read dans le genre !

mercredi 11 mai 2022

"Scarlett et Novak" d'Alain Damasio

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L’histoire : Novak court. Il est poursuivi et fuit pour sauver sa peau. Heureusement, il a Scarlett avec lui. Scarlett, l’intelligence artificielle de son brightphone. Celle qui connaît toute sa vie, tous ses secrets, qui le guide dans la ville, collecte chaque donnée, chaque information qui le concerne. Celle qui répond autant à ses demandes qu’aux battements de son cœur. Scarlett seule peut le mettre en sécurité. A moins que... Et si c’était elle, précisément, que pourchassaient ses deux assaillants ?

La critique de Mr K : Une nouvelle d’anticipation pour faire prendre conscience de certaines choses à nos jeunes zombies qui peuplent les couloirs de nos établissements scolaires ? Tel est le pari d’Alain Damasio avec Scarlett et Novak, très courte nouvelle qui aborde finement le sujet de l’addiction au numérique et notamment au portable. La lecture est rapide et efficace, il lui manque cependant, je trouve, un supplément d’âme pour qu’elle rentre dans le panthéon des ouvrages jeunesse incontournables.

Amateur de jogging, Novak court tous les jours. Il suit ses progrès quotidiennement grâce à son brightphone et Scarlett son IA personnelle qui l’encourage, le renseigne, l’oriente dans tous les domaines de son quotidien via une conduction osseuse. On n’arrête pas le progrès, plus besoin d’écouteurs ! L’histoire débute sur une course poursuite, Novak est suivi par deux individus. Le jeune homme compte sur son IA pour l’aider à se tirer de ce mauvais pas mais sans succès, la vie a aussi ses lois physiques. Dépouillé de son brightphone, de tout ce qui fait son identité, comment va réagir Novak ?

L’ouvrage se lit en vingt minutes maximum, autant vous dire que le texte est court et se doit d’être incisif. C’est une belle réussite à ce niveau là, le niveau d’intensité ne baisse jamais, on est littéralement pris par l’histoire et on ne peut fermer l’ouvrage qu’arrivé à la fin. Damasio maîtrise très bien le genre de la nouvelle, lui l’écrivain aux pavés sait aussi rentrer dans la caractérisation par l’économie de mots et Novak est "saisi" avec simplicité et profondeur. Il est la prolongation de notre jeunesse actuelle qui passe tellement de temps devant les écrans, visitant le monde à travers eux, se créant des amitiés, des réseaux qui forgent leur identité. C’est flippant mais c’est ainsi. Dans l’époque légèrement futuriste que nous propose Damasio, on passe systématiquement par son brightphone pour tout et n’importe quoi, on vit notre existence à travers lui. Tout cela nous est révélé par petites touches, des détails anodins de prime abord mais qui s’accumulant les uns aux autres donnent une vision inquiétante du futur.

Quid de l’humanité, de son empathie envers les autres, envers notre planète ? Il ne semble pas en rester grand-chose et le dernier acte livrera bien des vérités à un Novak changé pour longtemps. L’auteur rajoute en postface un poème type slam ("Une vie à caresser une vitre") qui assène des vérités terribles sur l’évolution de notre espèce, notre addiction au numérique accentuant notre nombrilisme, narcissisme larvé, l’individualisme, le culte de l’apparence et l’apathie. Le changement se sent déjà depuis quelques années avec mes promotions successives de 3PM, le phénomène prend de plus en plus d’ampleur, une prise de conscience de tous me semble essentielle. Ce livre y contribuera à sa manière.

Je reste cependant mesuré dans mon enthousiasme car tout Dalmasio qu’il soit, l’auteur ne fait pas franchement preuve d’originalité. Au final, on n’est jamais surpris, tout est cousu de fil blanc et certains passages m’ont paru un peu moralisateur. Or, on sait comment réagi un rétif face à une leçon de ce type, il fait le contraire ou du moins s’y oppose. Bon, je ne boude pas pour autant mon plaisir, l’ouvrage est frais, bien fichu et reste important à faire partager. Je serai curieux d’avoir vos propres retours d’expériences.

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lundi 9 mai 2022

"Le Septième homme et autres récits" de Haruki Murakami, Jean-Christophe Deveney et PMGL

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L’histoire : Les histoires de Murakami ont une saveur unique, que ses millions de lecteurs dans le monde reconnaissent instantanément... entre réalisme social et romantisme fantastique, dans les interstices du Japon contemporain. Un crapaud géant décide de sauver Tokyo d'un tremblement de terre avec l'aide d'un banal salaryman, une jeune serveuse de vingt ans peut exaucer un seul et unique vœu...

La critique de Mr K : Chronique d’un très beau cadeau d’anniversaire de l’ami Franck aujourd’hui avec Le Septième homme et autres récits de Haruki Murakami, Jean Christophe Deveney et PMGL. Je suis un grand amateur de cet écrivain japonais dont j’ai lu et adoré une bonne partie de la bibliographie. J’aime son écriture poétique, son évocation douce et profonde de l’existence humaine, sa culture musicale et filmographique ainsi que son côté "barré" mêlant quotidien et éléments fantastiques. Vous comprenez donc ma légère appréhension à l’idée de le découvrir adapté en BD. C’est un peu la mode en ce moment et je ne suis pas forcément un amateur du procédé... Finalement, cet ouvrage ne m’a pas déçu bien au contraire ! Il m’a beaucoup plu et j’ai trouvé textes et dessins en complète adéquation.

Jean-Christophe Deveney et PMGL s’attaquent donc dans ce recueil à neuf nouvelles du maître dont une bonne moitié que je connaissais déjà via ma lecture des œuvres originelles. Je ne reviendrai pas sur le résumé de chacune, vous vous ferez votre idée en feuilletant l’ouvrage. Sachez qu’on retrouve toutes les obsessions et thématiques chères à l’auteur avec le don d’ubiquité, les perceptions mouvantes et évolutives de chacun et du moment de la journée, les habitudes ancrées qui rythment le quotidien et qui une fois modifiées bouleversent l’existence irrémédiablement, la force des rêves et des espérances qui peuvent faire basculer une vie, brouillent les limites entre le rêve et la vie bien réelle que nous passons sur Terre.

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L’onirisme est donc de mise, la mise en abîme, l’exploration des tenants et aboutissants d’une existence humaine à travers des portraits finalement très réalistes (à part l’histoire du crapaud géant qui est un peu hors norme) avec des protagonistes crédibles, souvent proches de nous, auxquels on peut s’identifier. Rien ne nous est épargné en terme de condition humaine dans ses joies et ses peines, cette quête de soi et de sa place dans la société. Ce sont des vies saisies au vol qui virent souvent à l’étrange, à l’irrationnel voire au fantastique / au fantasme sur un ou deux récits qui mettent à mal les éléments communément acceptés de tous. On s’attache très fortement à ces personnages qui se révèlent complexes, jamais d’une seule teinte. Il y a de la beauté et de la laideur chez chacun d’entre eux et cela leur donne une densité, un charisme de tous les instants. On s’interroge sur l’âme humaine, ses aspirations mais on se laisse prendre, emporter par la langue, le graphisme et l’univers si particulier d’un auteur qui trouve un bon prolongement dans ce volume.

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Les choix esthétiques divisent la toile, j’ai tout lu sur les dessins et les couleurs. C’est sûr qu’au premier abord, ce ne sont pas les belles planches de BD que j’ai pu lire. C’est sombre, parfois géométrique (en tout cas très anguleux), assez brut. Mais au fil de la lecture, on se rend compte que cela convient parfaitement au dessein poursuivi par les auteurs : dessiner du Murakami tout en respectant son univers et sa poésie. L’étrangeté des traits et de la technique employée traduit merveilleusement bien l’esprit Murakami, les chemins de traverses, les tromperies sensuelles, les corps déglingués ou du moins sujets au temps qui passe et les surprises nombreuses que nous réservent ces récits hypnotiques et existentiels.

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Cet ouvrage présente donc de très belles adaptations de nouvelles de Murakami. Le défi était de taille mais la singularité et la poésie du maître sont très bien retranscrites. Les amateurs ne doivent pas passer à côté, on est transporté et littéralement envoûté. On en redemanderait presque.

samedi 7 mai 2022

"Les femmes du North End" de Katherena Vermette

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L’histoire : Une nuit, un drame vient ébranler la communauté du North End. C'est à travers l'histoire de ces femmes autochtone au Canada, leur résilience et leur histoire personnelle, que les événements menant à cette nuit sont retracés.

La critique de Mr K : C’est une superbe lecture que je vais vous présenter aujourd’hui avec Les femmes de North End de Katherena Vermette, jeune auteure aux racines amérindiennes qui livre ici un premier roman tout en subtilité et puissance évocatrice. Un récit de famille, un récit de femme, un récit du quotidien bousculé par l’innommable et la résilience qui doit en résulter pour réussir à continuer sa vie malgré tout. Brillant !

L’ouvrage débute par un arbre généalogique s’étendant sur quatre générations, très utile quand on sait que chaque chapitre sera un point de vue différent correspondant à plusieurs femmes de la famille, de l’arrière grand-mère à la petite-fille. Stella ouvre le bal. Cette mère célibataire est réveillée en pleine nuit par les pleurs de son nourrisson, elle monte à l’étage et essaie de le calmer. Elle assiste alors par la fenêtre à une agression particulièrement violente où trois personnes s'en prennent à une autre. Tout le monde finit par s’enfuir y compris la victime, ne reste que des traces de sang assez importantes qui témoignent de la barbarie en œuvre. On apprend très vite que la victime est de la famille de Stella mais qu’elle ne l’a pas reconnu sur le moment.

L’auteure égraine alors les tranches de vie d’autres membres féminins de la famille. Chacune vit une existence complexe à sa manière, devant conjuguer vie personnelle parfois brinquebalante et vie professionnelle, veiller sur les autres et tenter de garder du temps pour soi. Pas évident quand la vie ne vous fait pas de cadeaux et que le sort frappe. On dit que c’est dans l’adversité que l’on se renforce et c’est ce qui va se passer ici. Les femmes veillent les unes sur les autres, telles les louves d’une meute et face à la violence qui a frappé l’une d’entre elles, elles vont faire bloc. Certaines vont renouer un contact, des échanges depuis longtemps rompus par les aléas de la vie.

En parallèle, deux autres points de vue se rajoutent (toujours des personnage de la communauté amérindienne) : un jeune métis inspecteur de police qui doit se faire une place dans ce monde de Blancs et qui va se retrouver sur l’affaire évoquée ci-dessus et une jeune fille complètement paumée que rien ne semble raccrocher de prime abord au reste du récit (terrible figure tragique que celle de Phoenix, c’est son nom). Bien que déconnectés de la "tribu" des femmes de North End, ils vont à leur manière apporter leur pierre à l’édifice du récit entre horreur et abnégation, plongée infernale et quête de rédemption. Il se dégage de cet ensemble, un portrait sans fard de l’humanité dans tout ce qu’elle a de contradictoire, de beau, de raisonné mais aussi de pulsionnel et d’effrayant parfois. L’histoire prend vraiment aux tripes et au cœur.

La caractérisation des personnages est un modèle du genre. C’est bien simple, on se prend d’affection pour tous, même les plus borderlines (et il y en a !). Psychologie fine mêlant histoires de famille, non-dits, actes manqués, relations fusionnelles délétères, ces hommes disparus ou partis trop tôt, les liens de maternité, la souffrance d’être soi, la construction de soi quand on est ado, l’identité amérindienne et le racisme parfois ordinaire qu’ils subissent... autant de thématiques et bien plus encore qui sont abordées, mélangées créant une trame dense, passionnante et maîtrisée de bout en bout. Je suis toujours bluffé et admiratif de ces jeunes auteurs capables de construire / déconstruire avec une telle maestria sans jamais se perdre en route ou tomber dans la facilité et les effets de manche.

Ce roman choral est absolument sublime, il explore les souffrances et les espérances avec une justesse de tous les instants. L'écriture est ensorcelante et les destinées contées prenantes comme jamais. Cette lecture s’est révélée être un véritable et immense coup de cœur pour ma part. Vous savez ce qu’il vous reste à faire !