chasseurs d'écume

L’histoire : Jos Gloaguen, la soixantaine chenue, va représenter les intérêts des pêcheurs de Bretagne Sud au comité interministériel de la sardine. Un voisin de wagon intrigué l'interroge : il s'est toujours demandé comment un si petit poisson peut susciter autant d'émois... Comment en 1924 les grèves des Pen Sardines, ces travailleuses des conserveries, ont pu avoir un tel retentissement national ! Jos Gloaguen sait bien lui, que la sardine est le blé de l’océan, et autant une affaire de passion que de survie. Alors il remonte dans ses souvenirs, pour raconter comment il a embarqué pour la première fois en 1901, âgé de 12 ans. Comment il est tombé amoureux de la mer à peu près en même temps que de Denise Guilcher, fille d'une famille ennemie. Comme leur existence était difficile, entre l'âpreté des sorties en mer, les caprices de la sardine et l'exploitation par les patrons des conserveries...

La critique de Mr K : Belle découverte que la première tétralogie des Chasseurs d’écume de François Debois, Serge Fino et Bruno Pradelle. Empruntée au CDI de mon établissement, elle conjugue récit intimiste et destinée plus générale des Penn Sardine, habitants de Douarnenez dont le destin est inexorablement lié à la sardine, sa pêche et sa transformation. En suivant la vie de Jos Gloaguen, le lecteur va parcourir plus de cinquante ans d’histoire familiale mais aussi sociétale avec une France en pleine mutation et une vie quotidienne qui va beaucoup évoluer pour le meilleur comme pour le pire.

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Jos est fils de pêcheur, dans la famille il est de tradition d’aller à la pêche à la sardine. Cette existence est rude et exigeante mais elle est leur horizon, leur identité. Au début de notre histoire, Job est bien trop jeune pour pouvoir embarquer et devenir mousse. Alors il rêve d’expéditions lointaines et reste à quai à regarder les bateaux partir à la quête de la sardine. Nul ne questionne son destin à cette époque, il est tout tracé et on l’accepte. Sa maman veille au grain, s’occupe de son fils avec attention et amour avant son rite de passage, elle travaille à l’usine de conserverie où l’exploitation des ouvrières est le maître mot dans la société capitaliste naissante. Job lui n’a que la mer en tête et la jolie Denise au charme insaisissable qui éveille en lui des sentiments jusque là inconnus.

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Puis vient le jour de l’embarquement, l’émerveillement face aux éléments, la vie à bord, les compétences des différents membres d’équipage. C’est aussi le statut difficile du mousse, les injustices et les basses besognes. L’apprentissage du métier sera long et difficile. Tout est bouleversé lorsque le père disparaît pendant une expédition de pêche qui tourne mal à cause des éléments déchaînés. C’est le choc, le paterfamilias parti, Jos devient l’homme de la maison mais il n’a pas l’âge requis pour devenir patron de pêche. L’apprentissage devra continuer malgré tout.

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En parallèle, les auteurs s’attardent aussi sur les femmes de la communauté. Ces mères, épouses et filles qui tiennent le foyer, travaillent de plus en plus (l’industrialisation bat son plein, les conserveries fleurissent). La vie à terre complète la vie sur mer, des ponts se créent, une logique se dégage et les sentiments parfois se déchaînent. Passions et haines entre familles, amours interdits, cupidité et jalousie, les joies et les peines s’égrainent. Et puis, il y a la marche du monde qui vient bien souvent abattre les certitudes : Première Guerre mondiale, la crise de 1929, le Front populaire, la mécanisation, la raréfaction des ressources halieutiques, la modernisation des embarcations et des outils... La contextualisation historique est rigoureuse et passionnante, accompagnant merveilleusement bien les destins qui nous sont livrés.

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J’ai adoré évidemment la partie sociologique et la description de la vie des pêcheurs. Les détails pullulent sans jamais alourdir le récit, on partage vraiment leur quotidien, l’immersion est totale. Les expéditions de pêche avec le rôle de chacun, le retour sur terre et la vente de la pêche (compliquée et là aussi exploitée), les tâches d’entretien des embarcations et la vie de famille. Moi qui suis passionné d’expéditions maritimes et des milieux afférents, j’ai été comblé. C’est très bien retranscrit et l’on ressort enrichi de cette lecture qui se révèle aussi belle visuellement que riche dans son contenu. Un must dans son genre.