mercredi 27 avril 2022

"Gung Ho" de Benjamin Von Eckartsberg et Thomas Von Kummant

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L’histoire : Dans un futur proche, la "plaie blanche" a presque complètement décimé l’humanité, et la civilisation n’est plus qu’un doux souvenir. L’Europe toute entière est devenue une zone de danger, où la survie n’est plus possible qu’à l’intérieur de villes ou de villages fortifiés. Les règles sont importantes dans la zone de danger. Même un enfant sait cela. Jusqu’à ce qu’il devienne adolescent...

La critique de Mr K : Chronique d’une pentalogie d’anticipation aujourd’hui avec ce prêt de l’ami Franck. Pour le coup, la série de Benjamin Von Eckartsberg et Thomas Von Kummant ne m’a pas totalement convaincu. Certes, ça se lit tout seul mais le scénario est ultra-convenu et je n’ai pas adhéré au parti pris esthétique pour la représentation graphique des personnages. Je vous en dis un peu plus.

Zack et Archer, deux orphelins remuants débarquent à Fort Apache, un village retranché au bord d’un lac. Le temps est à la guerre, un conflit contre une menace sourde et insidieuse : la plaie blanche. Elle a décimé l’humanité, fait chuter le monde civilisé et les groupes humains se sont réfugiés dans des cités / villages forteresses où ils se terrent et survivent. Tout au niveau de l’organisation est bien huilé et organisé, les relations hiérarchiques bien installées et tout semble bien fonctionner dans la mesure où l’on est dans un univers post-apocalyptique. Le ver est cependant dans le fruit même avant l’arrivée des deux adolescents. Des tensions existent, des profiteurs agissent dans l’ombre, la menace du fléau est contenue mais à quel prix ! Comme des chiens dans un jeu de quilles, les deux ados rebelles vont faire exploser le fragile équilibre qui régnait sur Fort Apache et provoquer une mini-révolution.

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Pendant les deux premiers tomes, on en apprend peu sur le mystérieux fléau (ne cherchez pas, je n’en dirai pas plus -sic-), les auteurs s’attardent beaucoup sur les personnages principaux et notamment les plus jeunes. Car ne vous y trompez pas, cette saga se concentre surtout sur les adolescents et leur soif de liberté emprisonnée par les adultes au nom de la sacro-sainte sécurité. Plutôt bien menée au départ, j’ai trouvé que l’entreprise se révélait au final pas très fine, colportant des clichés superficiels notamment en matière d’obsession et de sexe (je précise que je suis loin d’être prude). J’ai aussi été beaucoup dérangé par la caractérisation des personnages féminins. Soit elles aguichent, soit ce sont des victimes, soit ce sont de formidables guerrières... Et puis, elles sont toutes super bien foutues, hypersexualisées par moments... Mouais, c’est sans doute une BD destinée aux ados décérébrés justement... Pour le coup, je ne me suis donc pas vraiment attaché à eux (sauf un peu à Zack), je trouvais qu’on avait affaire vraiment à des archétypes sans saveur, la chair est triste parfois. Je pense que nos jeunes méritent mieux que cela, qu’on leur propose davantage de finesse psychologique. Dans le genre en version littérature, Sa majesté des mouches de William Golding est décidément intouchable.

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L’aspect Walking dead / survival est bien rendu par contre. Certes on navigue là encore dans du déjà lu et vu, je n’ai jamais été surpris (sauf la forme de la fameuse menace) mais on se prend au jeu avec plaisir. Technique de survie, rondes, rationnement, réunions et affrontements, la tension est bien là avec suffisamment de mystères sur la personnalité des adultes responsables (la cheffe, le formateur de combat, l’épicier etc.). C’est assez jubilatoire de voir qu’un malheureux grain de sable peut tout faire exploser, les failles deviennent béantes et le final est bien ficelé malgré là encore un manque d’originalité. Les scènes des passages obligés impriment leur marque durablement, on frémit pas mal à certains moments et les pages se tournent toutes seules. N’attendez pas par contre toutes les réponses, les auteurs restent assez nébuleux sur le background, le pourquoi et le comment.

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Mais finalement ce n’est pas le manque d’originalité et les images d’Epinal qui m’ont le plus gêné dans cette lecture, il y a un choix esthétique qui ne m’a pas du tout plu. Autant les dessins sont globalement novateurs, colorés et proposent des décors et des scènes d’action parfois à couper le souffle, autant la représentation des personnages est catastrophique. On sent le travail par ordinateur, tout cela manque d’humanité, c’est lisse, creux et certaines cases donnent à voir des humanoïdes non expressifs. Plutôt gênant quand on traite de la révolte, de la guerre des générations et des sentiments ambivalents de l’adolescence entre Eros et Thanatos.

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Voilà, ce fut une lecture sympa mais sans plus. Sans originalité et sans réelle saveur, l’expérience se révèle décevante mais assez efficace en terme de détente-neurones. Avis aux amateurs.


lundi 25 avril 2022

"Château de cartes" de Miguel Szymanski

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L’histoire : Au Portugal, tout est négociable. Même une agression.

Marcelo Silva, ayant quitté le journalisme et l'Allemagne où il était correspondant, est de retour au Portugal.

Pour lutter contre la corruption de l'élite financière et politique qui a mené son pays au bord de la ruine, il a choisi "le glaive à la lame affûtée plutôt que la plume rouillée". Nommé à la tête d'une brigade spécialisée, le voilà aussitôt confronté à la disparition d'un millionnaire lié à un énorme scandale sur le point d'éclater. Pendant dix jours, il va parcourir Lisbonne inondée de touristes à la recherche du banquier déchu.

Naviguant entre filles de bonne famille et politiciens corrompus, hommes de main et réseaux de prostitution, Marcelo nous emmène dans un voyage au-delà des apparences et révèle ce qui se cache derrière la vitrine de la "ville aux mœurs douces".

La critique de Mr K: Balade littéraire portugaise aujourd’hui avec ce roman policier servi bien noir de chez Agullo. Dans Château de cartes de Miguel Szymanski, nous explorons les arcanes de la lutte contre la corruption et les crimes des cols blancs aux côté d’un enquêteur pas tout à fait comme les autres qui emporte l’adhésion dès ses premiers pas. Ce fut une belle lecture aussi plaisante que passionnante.

Journaliste d’investigation exilé professionnellement en Allemagne, Marcelo Silva revient au Portugal chargé d’une mission très importante. En effet, de par son passé, il est devenu un spécialiste des questions concernant la corruption des élites financières et politiques, le voila bombardé chef d’un nouveau service qui se concentrera sur le sujet. Dans le domaine, son pays est très concerné, l’appauvrissement préoccupant du Portugal étant pour une bonne partie lié aux malversations, mauvaises habitudes et trains de vie dispendieux du pouvoir sur les deniers publics. Le roman démarre le week-end avant sa prise de fonction.

Marcelo n’a pas le temps de prendre ses marques qu’un événement va précipiter les choses : l’enlèvement de Cardoma, un banquier au centre des affaires politiques. Il doit le retrouver avant les autres chiens lâchés après lui car le disparu connaît du monde, possède des fonds quasi inépuisables et peut surtout compromettre des gens très puissants qui voient d’un très mauvais œil la menace planée au dessus de leurs têtes. Passé les cinquante premières pages qui permettent de se familiariser avec chacun, les lieux emblématiques de l’histoire, l’action démarre vite et fort avec un enquêteur qui va tomber de Charybde en Scylla.

Tout bon roman policier se doit d’avoir un protagoniste principal charismatique et c’est le cas ici avec un Marcelo séduisant et complexe. Pas forcément très athlétique, il possède un sang froid à toute épreuve, un sens de l’humour caustique (avec une bonne dose d’autodérision). De bars en restaurants en passant par des lieux plus interlopes, il mène son enquête (non officielle) à son rythme et fait preuve d’une sagacité parfois confondante. Nouvelles rencontres, pressions de toutes sortes, vieux amis qui refont surface permettent de mettre en lumière un homme décidé, d’un certain standing (je pense à ses tenues, son rythme de vie de manière générale, ses poches remplies de biffetons), on aime traîner avec lui et sa désinvolture apparente. À noter aussi son charme certain sur la gente féminine, ni macho ni romantique, un style bien à lui, naturel, coulant avec des scènes d’approche et de tentation bien ficelées (oserais-je dire, bien troussées ?).

On navigue dans des milieux peu ragoûtants. Le crime organisé et la prostitution certes mais surtout les coulisses du pouvoir et de l’argent. Là où la vie humaine s’achète ou se vend sans aucun scrupule et où l’intérêt public n’est que des mots, une façade cachant des manigances et des manipulations à grande échelle. Les révélations finissent par pleuvoir et je peux vous dire que c’est loin d’être réjouissant surtout quand on sait que l’auteur lui-même est journaliste et bien renseigné sur certains faits réels. Loin de l’image d’Epinal d’un Portugal ensoleillé, à l’art de vivre et à la tranquillité souvent évoqués, on passe de l’autre côté du miroir et ce n’est pas joli joli. Le portrait est saisissant, inquiétant même. Pour autant, l’auteur ne livre pas que cela, il revient par des scénettes habilement disséminées ici ou là sur des choses du quotidien, des fraternités, des relations uniques, sur la beauté et l’âme noble authentique de son pays.

L’écriture elle aussi est accrocheuse. Exigeante et accessible à la fois, elle évoque à merveille lieux et personnages tout en maintenant un rythme soutenu au suspens incroyable. Les cinquante dernières pages sont un modèle du genre et la conclusion sans appel. Il semblerait que cet ouvrage soit le premier d’une série avec le même personnage principal, ça promet pour la suite !

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samedi 23 avril 2022

"Vivre en Macronie" tomes 1 à 4 d'Allan Barte

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Le contenu : En Marche... et En Images ! L'élection d'Emmanuel Macron a vu arriver dans le paysage politique français de nouvelles personnalités ainsi que le retour de quelques anciennes têtes. La Start-up Nation, le Nouveau Monde de Macron, ne fait pas l'unanimité au sein de la population française : Président des riches, petits mots qui choquent, entourage proche des multinationales, majorité parlementaire marchant au pas...

La critique de Mr K : Je suis un grand amateur de dessins de presse et de caricatures. L’art de se gausser du monde est tout ce qu'il nous reste quand on estime que tout va mal et que la marche de notre société va dans le mauvais sens. J’ai débuté mes lectures dans le genre avec Plantu quand j’ai découvert un de ses ouvrages au CDI de mon lycée quand j’étais ado. Avec le temps, je me suis tourné vers des dessins plus engagés encore, plus borderline, cyniques. Dans ce domaine, Allan Barte est depuis maintenant quatre ans mon préféré avec son trait épuré mais sa vision des choses qui me touche et dans laquelle je me reconnais totalement. Inutile de vous dire que si vous êtes un fervent macroniste, vous pouvez passer de suite votre chemin car cette série met à mal (à juste titre) la crédibilité et la pratique du pouvoir de notre "cher" Président.

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Le principe est simple, un volume par année de quinquennat d’Emmanuel Macron. Allan Barte réalise un dessin par jour en lien avec l’actualité de l’homme en marche ou parfois sur l’ordre mondial. Dans le cadre de l’édition des différents volumes, il a donc fait des choix, le nombre de pages est limité et ne permet pas de tout mettre. Pour celles et ceux qui voudraient d’ailleurs compléter cet aperçu, je ne saurais que trop vous conseiller de le suivre sur IG ou Facebook où il publie ses productions au jour le jour. On est ici dans le domaine de la lutte dessinée, quasiment je trouve dans le Devoir de mémoire tant dans le domaine médiatique on trie les informations, on passe sous silence nombre d’éléments et que ces dessins permettent de dresser un portrait sans fard et mettant peu à peu en lien des événements, phrases et décisions politiques disparates qui finissent par trouver une cohérence des plus inquiétantes.

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Je considère qu’Emmanuel Macron est dangereux pour la République, il la vend, la dévoie et la mène vers une forme de fascisme larvé où nos libertés sont réduites. Certaines ONG n’ont-elles pas dit que notre démocratie à la française était défaillante ? Le libéralisme à tout crin, le pouvoir descendant, la condescendance de cet ex banquier envers les plus fragiles qui n’hésite pas à cliver, à jeter en pâture des boucs émissaires (chômeurs, anticapitalistes, opposants...) sont ici livrés dans toute leur vérité à partir de faits avérés et d’événements accumulés tout au long de quatre ans de pouvoir. Depuis sa prise de pouvoir (un sacré candidat sans programme tout de même si ce n’est de dynamiter les vieux partis) à la crise du COVID, Allan Barte remonte le temps et rappelle à notre mémoire les affres du chefs de l’État et de la Nation.

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Il s’en est passé des choses en quatre ans et il est bon de se rafraîchir la mémoire. La moyenne de souvenir d’un électeur lambda est de huit mois, cela fait bien les affaires de certains. Ce qui est sûr c’est que derrière l’homme qui disait vouloir incarner une autre politique, un autre monde, on retrouve des rouages et pratiques bien connues, des accointances avec des intérêts autres que la Nation avec notamment le démantèlement des services publics au nom du sacro-saint Dieu argent et équilibre budgétaire (l’excuse idéale et faussée). Gravite autour ses âmes damnées dont les ministres Blanquer, Castaner (puis Darmanin) Le Maire, N’Diaye, Péricot, Buzin, Véran, Philippe et consort qui conjuguent cynisme, incompétences et sens de la mission dans une optique libérale dans sa dimension la plus délétère en terme de vivre ensemble et de soutien aux plus vulnérables.

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Ce modèle de société, tout français se disant de gauche (je parle là évidemment de tous ceux qui ne sont pas au PS largement siphonné par Macron) ne peut l’accepter et a souffert durant ce quinquennat. Par ces dessins jubilatoires, engagés, dérangeants, crispants, énervants, drôles et affligeants, Allan Barte réveille nos velléités de combat, de mobilisation. Ce monde macroniste n’est pas le nôtre, ce n’est que la poursuite de politiques déjà existantes mais multipliées par cent. Prédominance du nucléaire, enrichissement des plus riches, paupérisation des plus fragiles, mépris de classe affiché, répression parfois violente des contestations (allez-voir le Mur jaune), traitement inhumain des migrants à Calais (même le Tsar Cozy n’a pas fait pire, c'est dire...), rationalisation de la formation professionnelle avec la mise en place de programmes vides des sens pour former de bons travailleurs décérébrés, l’affaiblissement des hôpitaux. Sans parler des scandales tels que celui autour d’Alexandre Benalla, les cabinets conseils US ou la gestion à géométrie variable de la pandémie... Autant de sujets clefs qui sont traités avec justesse et un humour ravageur par un dessinateur vraiment unique et sans concession.

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Il faut lire Allan Barte pour se remémorer ce qu’a été le quinquennat Macron, entretenir la flamme d’un monde meilleur et plus fraternel. Je vous quitterai aujourd’hui avec une citation (une fois n’est pas coutume) à méditer, des mots d’Albert Camus tristement prémonitoires en cette veille de second tour à vomir : Le fascisme, c’est le mépris. Inversement, toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. Ça fait froid dans le dos, non?

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vendredi 22 avril 2022

"Cabane" de Millie Duyé

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L’histoire : Le passage de l’enfance à l’âge adulte d’une petite fille, plus "sanglier" que biche, qui construit des cabanes pour survivre à un monde où l’amour n’est pas infaillible. Elle y abrite ses tribus, sauf lorsque ça dérive comme un radeau après les tempêtes des premières passions amoureuses.

La critique de Mr K : Étrange et passionnante lecture que celle que je vais vous présenter aujourd’hui. Cabane de Millie Duyé ne ressemble à aucun autre livre que j’ai pu lire, il s’apparente en cela à un OLNI et cela se devine déjà dès la couverture qui est superbe dans son genre et suscite d’emblée des interrogations et nourrit les attendus de lectures les plus farfelues. Pour qui aime les écritures novatrices, obscures et transcendantes à la fois, les personnages inoubliables et perchés, ce roman est fait pour vous. On se régale, on se délecte, on se nourrit d’un récit qui part dans tous les sens mais propose un parcours de personnage assez unique et un renouvellement de la langue vraiment bluffant. Je vais tenter d’en dire plus même si l’exercice sera compliqué...

De l’enfance à l’adolescence en passant par le début de l’âge adulte, l’auteure nous convie à faire la connaissance d’une héroïne pas tout à fait comme les autres. Fille de parents séparés, elle est écartelée entre ces deux géniteurs, passant d'une maison à une autre sans trop comprendre et savoir pourquoi. C’est tellement dur à comprendre un adulte... Alors, elle élabore des cabanes, des lieux de refuges, des repères pour naviguer dans une vie bien tumultueuse ou du moins perçue comme telle. Chimériques, métaphoriques mais aussi parfois bien réelles, ces constructions l’aident à passer les étapes de son existence, la rassurent et parfois précipitent les événements. Après les affres de l’enfance avec le détachement nécessaire de ses parents, elle va rentrer dans les temps de la passion et de l’amour et mettre de plus en plus à mal les édifices qu’elle a pu ériger.

Lire cet ouvrage c’est avant tout accepter de lâcher prise. Très vite, le récit prend plusieurs dimensions, une profondeur quasi insondable (ou presque) qui nécessite que nous-même nous acceptions une perte de repère totale. L’exercice peut déconcerter mais se révèle très immersif et renversant. C’est un livre avant tout sur la découverte de soi, de ses envies, de ses limites. Un roman sur le rapport unique entre parents et enfants avec des passages sublimes qui prennent à la gorge, retournent les tripes et nous laissent pantelants au moment de refermer l’ouvrage. On accompagne ce voyage intérieur avec un mélange de fascination, d’étonnement et souvent beaucoup d’émotions diverses et parfois contradictoires. Entre ombre et lumière, la construction de soi est longue, ardue et met à l’épreuve la protagoniste comme le lecteur.

L’écriture est hors-norme. Abordable mais d’une richesse incroyable, on se prend à relire certains passages pour renouveler une expérience, une émotion. C’est une poésie brute, enveloppante, confondante de virtuosité simple, ce texte est très moderne, déstabilisant mais aussi diablement séduisant. Aussi fascinant que sa couverture, cet ouvrage est superbe. La langue poétique nous conte une jeune fille à nulle autre pareille dont l'introspection profonde nous chahute et nous interroge, nous perd et nous retrouve, nous angoisse et nous console. Magnifique et inoubliable !

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mercredi 20 avril 2022

"Je suis le rêve des autres" de Christian Chavassieux

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L’histoire : À cause d'un rêve extraordinaire, un jeune garçon porte les espoirs de son village : il pourrait devenir un messager des esprits. Pour accomplir sa destinée, il doit se rendre jusqu’au lieu de sa possible consécration. Accompagné d’un vieil homme, ancien mercenaire au passé trouble, ils vont entreprendre un voyage à travers des contrées fabuleuses, fait de rencontres qui les rapprocheront dans la réalisation de leurs quêtes individuelles : l’accomplissement d’un destin non désiré pour le garçon et la possibilité ultime de rédemption pour le vieil homme.

La critique de Mr K : Chronique d’un livre merveilleux aujourd’hui, une lecture vraiment à part qui m’a immédiatement séduit et m’a relâché dans un état proche du Nirvana. Je suis le rêve des autres de Christian Chavassieux est un ouvrage hors norme, se situant à la confluence du récit initiatique, de la fable et du récit onirique. Enrobé dans une langue subtile et délicate, voila une expérience que je ne suis pas prêt d’oublier.

Un jeune garçon de neuf ans (Malou) fait une nuit un rêve étrange, tellement étrange et révélateur que la population décide de l’envoyer à l’autre bout du continent pour être testé. En effet, ce songe pourrait être la preuve qu’il est spécial, qu’il pourrait communiquer avec les esprits, devenir un "reliant", un personnage essentiel de la communauté. Pour l’accompagner dans ce périple, un vieil homme est désigné (Foladj). On devine son passé trouble et chargé d’expérience. Ces deux-là partent alors sur les routes et vivront des expériences qui les feront progresser chacun à leur manière et dans leur existence.

On se prend tout de suite d’affection pour les deux compagnons de route. Il y a très vite entre eux un lien spécial, une douceur, un rapport quasi filial qui prend aux tripes. La jeune âme est ingénue, portée par son destin potentiel et s’ouvre au monde en partant de son village. Il est constamment partagé entre sa soif inextinguible de découverte et la sourde angoisse qui résonne en lui : est-il un élu ? Son tuteur de voyage est au crépuscule de sa vie (mais toujours vigoureux), sa tâche est de veiller sur Malou, de l’écouter et de le conseiller avec cette question rituelle tous les soirs "Qu'as tu appris aujourd'hui ?". Patient, doux et attentif, il lui sera d’un grand secours. Foladj en parallèle lutte avec ses démons intérieurs, cet ancien guerrier n’assume toujours pas certains choix qui le tourmentent toujours. En protégeant Malou, en le guidant, il semble vouloir se racheter une conscience et combattre la culpabilité qui le ronge. Le voyage prend donc une dimension spirituelle fortement marquée.

L’importance n’est pas le but à atteindre mais la route qui y mène. Ce roman pourrait se résumer à ça. Un chapitre pour lancer l’histoire, un autre pour la dénouer à la toute fin. Le reste n’est que le récit des errances, partages, difficultés rencontrées au cours du chemin. Chaque petit événement, échange de paroles conduit à la réflexion des personnages (mais aussi du lecteur), leurs interactions prennent des allures de leçons universelles. Un repas au coin du feu, une altercation avec des inconnus, la maladie et le sommeil, l’appréhension du futur et le poids du passé sont autant de thématiques traitées avec finesse, douceur et une grande humanité. Sans compter les évocations de la Nature qui font souvent écho aux sentiments intérieurs des personnages et contribuent à l’envol du lecteur vers des contrées lointaines et proches à la fois.

Le tout est magnifié par une écriture à la fois accessible et poétique. On se laisse prendre par surprise dans un voyage littéraire d’une beauté rare, aux images marquantes et au rythme qui ne se dément jamais. Inventif dans sa forme, transcendant son sujet classique, Je suis le rêve des autres est un livre inoubliable que je ne peux que vous conseiller de découvrir à votre tour.

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lundi 18 avril 2022

"Un printemps à Tchernobyl" d'Emmanuel Lepage

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Le contenu : 26 avril 1986. À Tchernobyl, le cœur du réacteur de la centrale nucléaire commence à fondre. Un nuage chargé de radionucléides parcourt des milliers de kilomètres. Sans que personne ne le sache... et ne s’en protège. C’est la plus grande catastrophe nucléaire du XXe siècle. Qui fera des dizaines de milliers de victimes. À cette époque, Emmanuel Lepage a 19 ans. Il regarde et écoute, incrédule, les informations à la télévision. 22 ans plus tard, en avril 2008, il se rend à Tchernobyl pour rendre compte, par le texte et le dessin, de la vie des survivants et de leurs enfants sur des terres hautement contaminées. Quand il décide de partir là-bas, à la demande de l’association les Dessin’acteurs, Emmanuel a le sentiment de défier la mort. Quand il se retrouve dans le train qui le mène en Ukraine, où est située l’ancienne centrale, une question taraude son esprit : que suis-je venir faire ici ?

La critique de Mr K : Ça fait déjà plusieurs mois que j’ai dévoré cette bande-dessinée et je dois avouer que la chronique est passée à l’as. Et mon Dieu, elle ne le méritait vraiment pas, du coup je vous livre ces quelques impressions pour rendre hommage à cette superbe lecture, ce témoignage assez unique dans son genre. Un printemps à Tchernobyl d’Emmanuel Lepage nous invite à retourner sur les lieux d’un des drames industriels les plus marquants du XXème siècle, l’accident de la centrale de Tchernobyl en ex-URSS, grand accident nucléaire dont les conséquences peuvent encore se faire ressentir aujourd’hui près de quarante ans après les faits.

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Suite à une rencontre, l’auteur se voit proposer un séjour de plusieurs semaines au cœur de la zone irradiée. Après des interrogations, un contretemps majeur (des soucis physiques qui pourraient bien l’empêcher de dessiner) et des préparatifs très longs, le voila parti. Premiers contacts avec ses camarades, dépaysement culturel et linguistique, découvertes étonnantes voire terrifiantes (on s’en doute !), le voyage est loin d’être de tout repos mais il est très instructif et très intéressant.

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L’ouvrage en lui-même est magnifique sur le plan formel. Le trait et la technique de Lepage font merveille, illustrent parfaitement un propos dense et complexe. Plages de couleurs disparates qui mettent en valeur les lignes de force, personnages tantôt dynamiques / tantôt contemplatifs donnent vie à une expérience tout aussi incroyable qu’effrayante. Il en faut du courage (de la folie ?) pour oser s’aventurer dans ces espaces irradiés et la mise en forme est vraiment toute en nuance et subtilité, permettant de mettre en lumière les tenants et les aboutissants de ce séjour hors norme.

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J’ai apprécié aussi les scènes des rencontres avec les habitants du crû partagés entre fatalisme et espoir, avec des fêtes improvisées de haut vol où l’on boit et l’on discute sans filtre. On s’étonne, on rit, les dents grincent parfois face à cette menace insidieuse, invisible mais qui est dans toutes les têtes. Il y a en parallèle la découverte des lieux, des moments parfois saisissants grâce à une retranscription graphique réaliste mais non dénuée de poésie. Vieux bâtiments abandonnés, nature qui reprend ses droits donnent une ambiance, un climat très particulier au séjour du dessinateur.

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On s’interroge avec lui en sous-texte sur le nucléaire, ses risques majeurs qui peuvent bouleverser des vies voire des générations entières. Vus les déclarations des uns et des autres lors de la campagne présidentielle, le duo final infernal qui s'est imposé au premier tour, on est parti pour poursuivre dans cette voie en France et ce n’est pas pour me rassurer. L’auteur nous raconte aussi les affres de la création, le rôle du dessinateur, de l’artiste ce qui rajoute une couche au contenu déjà très riche de ce roman graphique.

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Un printemps à Tchernobyl est vraiment un ouvrage à découvrir, un témoignage unique et une vision intimiste qui marque les esprits. Un régal d’humanisme et d’intelligence.

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mercredi 13 avril 2022

"August" de Callan Wink

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L’histoire : Comme beaucoup d’adolescents, August aime les chiens et la nature. Comme beaucoup d’entre eux aussi, il vit mal la séparation de ses parents. Dans leur ferme du Michigan, il y a désormais une maison pour sa mère, une autre pour son père et sa petite amie. Le garçon se partage entre les deux, jusqu’au jour où il doit déménager avec sa mère dans le Montana.

August y tombe amoureux des paysages de l’Ouest américain, découvre le rodéo et la pêche à la mouche mais peine à se faire des amis. Après un épisode d’une rare violence, il finit par se faire embaucher dans un ranch isolé de la région. Livré à lui-même, dans un pays sonné par les attentats du 11-Septembre, il n’aura d’autre choix que de faire face aux contradictions de l’adulte qu’il est en passe de devenir.

La critique de Mr K : J’avais adoré la première parution française de Callan Wink lors de sa sortie, un recueil de nouvelles formidable (Courir au clair de lune avec un chien volé) dont je me rappelle toujours très bien alors que je l’ai lu en 2017, c’est dire le talent de l’auteur qui m’avait bluffé par sa compassion pour ses personnages et son style limpide. Il remet le couvert avec l’arrivée de son premier roman sorti en France le mois dernier : August. Roman initiatique d’un jeune homme un peu perdu, portrait de l’Amérique du début du XXème siècle, témoignage naturaliste des campagnes américaines, cet ouvrage est tout ça à la fois et bien plus encore.

August est un adolescent comme beaucoup d’autres, rien ne semble vraiment le démarquer. Il vit à la campagne entre son père et sa mère logeant dans deux maisons séparées mais sur le même terrain. Le paternel est fermier, il a un cheptel de vaches laitières. Le garçon a donc grandi dans l’ambiance ranch, aidant régulièrement son père dans les tâches quotidiennes. Il aime ça et son géniteur voudrait bien qu’il reprenne la ferme. La maman volontiers mystique ne lui met pas la pression, il fera bien ce qu’il voudra et ce trio improbable a trouvé un semblant d’équilibre.

Tout va changer, lorsque la mère d’August va dégoter un poste de bibliothécaire dans le Montana et déménage avec son fils. C’est le temps de la séparation avec le père mais aussi celui de la découverte des grands espaces préservés du Nord-Ouest des États-Unis, l’émergence de problématiques liées purement à l’adolescence, la puberté et la naissance du désir, les relations amicales, la consolidation de soi et la quête de son avenir et enfin la débrouille et le difficile envol du nid familial.

L’ouvrage est assez contemplatif, on est dans la pure tradition du roman initiatique. Le jeune homme doit devenir un homme et la route est longue. C’est environ quatre / cinq ans de la vie d’August qui nous sont contés ici avec luxe de détails et une finesse de tous les instants. Je dois avouer qu’en lui-même August n’est pas un personnage particulièrement attachant de prime abord. Très apathique, distant avec les autres, rien ne semble vraiment le toucher, tout glisse sur lui. Il traverse la vie sans vraiment se raccrocher à un rêve ou à une personne précise. Quasiment désincarné par moment, on se demande bien où il va. Tout cela n’est évidemment qu’une façade, les ressorts de cette psyché particulière seront révélés dans l’ouvrage, leur assimilation par August lui permettra d’enfin avancer et d’entrevoir un avenir possible.

En attendant, il bouge avec sa mère, termine le lycée sans poursuivre les études. Il bosse dans des fermes, réparant des clôtures et faisant la joie de ses employeurs qui reconnaissent son côté bosseur et engagé dans ce qu’il fait. Il fera ainsi des rencontres importantes entre substituts paternels, professions de foi dans l’existence, grands copains de déconne pour se tester et faire des premières expériences dont certaines traumatiques comme cette nuit de bacchanales autour d’un grand feu de joie. Et puis, il y a le sexe, l’amour, l’attirance pour quelqu’un d’autre que soi, un domaine où August est loin de tout maîtriser et qui va le marquer durablement dans sa chair et son esprit. Le personnage principal au-delà de sa simplicité apparente donne à voir une belle peinture des affres de la condition humain, de la vertu du hasard et d’un cycle infini qui se perpétue. C’est beau et simple à la fois, universel.

L’ouvrage est aussi un beau portrait de l’Amérique profonde, une Amérique choquée par les attentats du World Trade Center. Repli sur soi, complotisme mais aussi maintien des vertus américaine sont abordés avec là encore une grande justesse, une humilité et une humanité profonde. On côtoie ici les gens de rien, les anonymes, ces gens du peuple dont on cause peu, parfois méprisés mais profondément humains, miroir d’une certaine Amérique qui se situe loin des clichés trumpistes ou des modèles de réussites glorifiantes. J’ai aimé cette balade douce-amère parmi eux, une promenade souvent saisissante et poétique avec en prime une évocation régulière de la nature qui prend des accents poétiques à l’occasion. La rivière qui coule doucement et où les pêcheurs attendent LA prise de la journée, le vent dans les arbres et les coteaux, les troupeaux que l’on traie ou que l’on mène au champ, les paysages préservés du Montana et pléthore de détails immergent littéralement le lecteur, l'emportent loin dans un voyage marquant en terres transatlantiques.

Vous l’avez compris, August est un pur bonheur de lecture, un plaisir d’humanité, d’intelligence à l’écriture aussi plaisante qu’évocatrice. Les pages se tournent toutes seules et l’on ressort de cette lecture heureux. À lire !

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lundi 11 avril 2022

"On est bien arrivés" de Renaud Epstein

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L’histoire : Ces cartes postales, qu'on pouvait trouver dans les cafés, maisons de la presse ou épiceries des cités HLM racontent un monde disparu, dans lequel ces cités incarnaient la modernité urbaine et le progrès social.

La production en masse de ces cartes a accompagné la construction des grands ensembles durant les Trente Glorieuses, contribuant à forger et diffuser une image sociale valorisante de quartiers aujourd'hui stigmatisés.

Loin des représentations stéréotypées de quartiers-ghettos, mornes et criminogènes, ce livre montre la diversité du bâti, l'empreinte du paysage, et par le biais des quelques versos de cartes reproduits, un aperçu de la vie des habitants par eux-mêmes...

La critique de Mr K : J’ai débuté ma carrière de professeur en lycée professionnel dans le 93, le 9 cube comme on dit. Mes élèves venaient essentiellement des quartiers populaires, des grands ensembles entre tours et barres où l’on conjuguait solidarité forte mais aussi discrimination et mal de vivre. J’ai adoré cette expérience, forgé le professeur que je suis devenu et je n’ai jamais regretté ces cinq années intenses (avec au final la rencontre avec Nelfe comme cerise sur le gâteau !).

C’est donc avec grand plaisir que je débutai la lecture de On est bien arrivé de Renaud Epstein édité au Nouvel Attila, une maison que nous apprécions et offre toujours des ouvrages différents, à la haute valeur ajoutée entre engagement et quête artistique. Sociologue, spécialiste de la politique de la ville et des politiques urbaines, professeur à science po’ (niveau CV il se pose là), cet ouvrage est l’achèvement d’une aventure sur twitter entamée des années auparavant.

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Le concept de départ est super sympa. L’auteur s’est mis à collectionner toutes les cartes postales éditées à l’époque de l’édification des grands ensembles, une révolution architecturale et sociale débutée au début des Trente glorieuses. Il alimentait ensuite un fil twitter "Un jour, une ZUP, une carte" en postant régulièrement la dite carte. N’étant pas twittos, je n’en dirais pas plus, n’ayant jamais fait partie de cette communauté. Prolongé par des murs d’exposition, l’idée a mûri de faire un livre qui reprendrait l’expérience (en sélectionnant les cartes) et en la prolongeant avec un texte introductif revenant sur l’historique des grands ensembles en y rajoutant une analyse sociologique, politique et évidemment sociale. L’ensemble se révèle passionnant et a donné naissance à un livre de toute beauté qui se révèle captivant.

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L’ouvrage s’ouvre donc sur une introduction fort instructive. Après avoir parlé de son projet et de sa "méthodologie", Renaud Epstein revient sur la logique d’aménagement des grands ensembles avec les chantiers d’après-guerre d’un pays ravagé où le besoin de logement est criant. À cette époque, les grands ensembles incarnaient un gigantesque pas en avant, un progrès social, la possibilité d’une vie meilleure pour de nombreux déshérités. Leur uniformité, la modernité de leur architecture avec de multiples styles, la planification étatique au service du plus grand nombre était source de grandes espérances. Des décennies plus tard, ils sont devenus les symboles d’un échec social total, d’une société devenue discriminatrice et des quartiers où l’État a reculé au nom du chiffre et de la rentabilité et où les bandes et l’économie parallèle ont pris le contrôle des lieux. L’auteur ne s’attarde pas sur ce dernier point (malgré des citations bien senties dans la partie suivante), ce qui l’intéresse c’est le lancement, la typologie, l’application du plan, la sociologie des lieux et l’histoire que les cartes postales retranscrivent de manière parfois bluffante.

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Puis, s’ouvre le long défilé de cartes postales. C’est tout de même étonnant de penser qu’ils en ont tiré beaucoup sous cette forme. C’est comme si aujourd’hui on faisant la même chose avec des lotissements. Il se dégage une grande nostalgie, un côté désuet et même décalé par moment. Souvent cela donne des scènes sans vraiment de présence humaine, un côté presque rétrofuturiste. On voyage donc de région en région, de banlieue en banlieue, des lieux érigés bien souvent en pleine campagne avec dans le cadre du cliché tantôt une vache, tantôt un cheval, parfois des grands axes de communication. C’est la France de demain qui s’élève entre projets pharaoniques et déjà des vices de forme qui présagent des problèmes à venir.

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Très bien formalisé, On est bien arrivés se consulte avec grand plaisir. Les citations accolées en face des clichés font mouche bien souvent. Je pense notamment à la fameuse phrase du Tsar Cozy sur le karcher ou la formulation introductive du film La haine de Kassovitz, sans compter d’autres phrases d’architectes et autres responsables. Le livre gagne en densité, on se prend à beaucoup réfléchir et l’on ressort vraiment enrichi de cette lecture. Une belle expérience qui ravira les amateurs et les curieux.

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mercredi 6 avril 2022

"L'autre femme" de Mercedes Rosende

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L’histoire : Quadragénaire solitaire et obèse, Úrsula López vit dans le vieux centre de Montevideo. Un soir, un appel téléphonique d’un certain Germán lui réclame une rançon pour libérer... son mari.

Découvrant son homonymie avec l’épouse d'un riche homme d’affaires enlevé, Úrsula exige alors une rançon plus importante de celle-ci, qui à son tour surenchérit et lui propose de la débarrasser définitivement de son époux. Dès lors, cette célibataire insatisfaite de sa vie, affamée depuis l’enfance par des régimes inopérants, se met à tirer les ficelles et manipuler tout son monde avec un plaisir machiavélique.

La critique de Mr K : Invitation en noire aujourd’hui avec ce roman uruguayen qui dépote et sort clairement des sentiers battus. Dans L’autre femme, Mercedes Rosende nous offre une lecture totalement imprévisible, un personnage principal atypique et mémorable. Une très belle réussite dont je vais vous parler plus amplement.

L’ouvrage débute dans une cabine d’essayage d’une boutique de prêt à porter où l’on fait la connaissance d’Ursula, une traductrice urugayenne à la taille XXL. Solitaire, elle vit dans son appartement au rythme des régimes qu’elle s’impose et qui l’épuisent sans vraiment la faire maigrir. La première partie du roman se consacre beaucoup à sa caractérisation, ses pensées intimes et ses rencontres avec sa famille, ses journées de boulot pour des talk show décérébrés où elle joue un rôle dans le public entre deux traductions littéraires qu’elle laisse traîner au grand dam de sa patronne. Volontiers cynique par moment, le personnage est lucide, drôle et à la fois mélancolique. On l’aime immédiatement et la suite ne fera que confirmer cette première impression.

Très vite, en parallèle de ses pérégrinations, quelques chapitres mettent en scène l’enlèvement d’un homme. On se rend vite compte qu’il a été kidnappé par une équipe de bras cassés, en témoigne des dialogues quasi surréalistes entre la victime et ses gardiens. On rit beaucoup malgré le tragique de la situation. Les deux histoires se rejoignent lorsque les ravisseurs appellent Ursula par erreur, la prenant pour la femme de la victime et lui réclamant une rançon exorbitante. Loin de se laisser décontenancer, cette dernière va se muer en une "autre femme", se lancer dans une manipulation de haut vol et totalement bouleverser la donne. L’histoire prend alors une toute autre tournure qui ne pourra que vous surprendre.

L'autre femme se lit vraiment tout seul grâce tout d’abord à un style direct et flamboyant, chaque page réservant son lot de surprises, de circonvolutions tordues et de personnages aux motivations pour le moins étranges. Scène de frottis vaginal éprouvant pour l’héroïne avec un médecin froid et distant (ma scène favorite), barbecue de famille où flottent les méduses (un vrai bal de faux culs), souvenirs d’enfance révélant les failles d’Ursula, dialogues à bâtons rompus entre une victime et un kidnappeur aux petits soins totalement dépassé par ce qui se passe, négociations hasardeuses où les rapports de force sont changeants et plein d’autres situations / scènes font de ce roman un ensemble délirant mais profondément humain avec au centre une femme que tout pourrait mettre à terre mais qui se rebiffe, lutte à sa manière (contre elle-même, beaucoup) et finit par se révéler à elle-même.

C’est noir, très noir même. L’humour pince sans rire, la vie humaine qui semble constamment au bord de la falaise dans une Uruguay plus vraie que nature avec de belles tranches de vie populaire sont au rendez-vous d’un roman à la saveur épicée et à haut concentré littéraire. Le portrait d’Ursula est édifiant entre duplicité, subjectivité et construction / (re)construction de soi. Un pur bonheur, une balle en plein cœur, une expérience unique que je ne peux que vous conseiller.

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mardi 5 avril 2022

"Le vertige de la peur" de Linwood Barclay

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L’histoire : En chute libre.

Lundi, 8 heures. Plusieurs employés de Cromwell Entertainment empruntent un ascenseur pour rejoindre leurs bureaux situés aux 33e et 37e étages d'un gratte-ciel new-yorkais. Curieusement, la cabine ne s'arrête pas et poursuit sa montée. Avant de lâcher.

Un accident mécanique, tragique et banal. Mais le lendemain, un drame similaire se produit dans un autre building du quartier. Puis un autre le mercredi. La panique s'installe dans Big Apple. Qui peut bien menacer la ville la plus verticale du monde ?

Alors que la population n'ose plus sortir de chez elle, que les services de maintenance sont saturés, que la Bourse dégringole, deux flics désabusés et une journaliste tenace vont s'engager dans une course contre la montre pour résoudre ces affaires avant l'inauguration de la plus grande tour résidentielle de Manhattan, prévue pour la fin de la semaine...

La critique de Mr K : Chronique d’un thriller bien sympathique aujourd’hui avec le dernier né de Linwood Barclay, un auteur que j’aime fréquenter et qui s’avère toujours efficace dans son genre. Dans Le vertige de la peur, on se retrouve plongé dans une ville de New York totalement sous tension pour 500 pages de pur plaisir régressif où différentes trajectoires vont finir par se rejoindre et livrer des vérités pas si bonnes que cela à dire. OK c’est classique mais qu’est-ce que c’est bon !

La ville qui ne dort jamais a une bonne raison de plus de le faire... Un cinglé semble aimer que des ascenseurs tombent en chute libre avec des êtres humains à l’intérieur. Une fois, ça arrive. Deux fois, c’est une coïncidence tragique. Trois fois, le doute n’est plus permis, quelqu’un est caché derrière ces actes horribles et la panique va grandissante dans les médias et la population. Surtout qu’on signale aussi des explosions suspectes de taxis, qu’on a retrouvé un cadavre d’ascensoriste atrocement mutilé et que le maire de la ville semble totalement à la ramasse... Deux flics quelque peu désabusés et une journaliste d’investigation ne seront pas de trop pour mener une enquête par définition compliquée. Il y a plus de 50 000 ascenseurs à New York et le responsable des attentats semble très doué pour effacer ses traces...

On est clairement dans un chemin balisé avec cet ouvrage. Les surprises scénaristiques sont savamment dosées, la technique de narration éprouvée. La lecture est donc confortable et même si en soi, Linwood Barclay ne révolutionne pas le genre, il l’entretient à merveille et donne à lire une histoire addictive qui ne laisse aucune chance au lecteur de s’échapper. Le croisement des points de vue distille à merveille les révélations liées à des personnages torturés par leur passé et une psyché parfois borderline. Ainsi, j’ai beaucoup aimé le personnage du flic sous ventoline, aux idéaux intacts mais à la foi vacillante envers sa fonction, sa collègue qui doit conjuguer vie perso et enquête retorse, la journaliste quant à elle doit de front mener son métier et gérer la crise qui couve depuis si longtemps avec la fille qu’elle a abandonné à la naissance pour privilégier sa carrière. On s’attache beaucoup à eux, ils ont du corps, une âme bien remplie et l’on tremble bien souvent pour eux.

L’auteur suit aussi de près le maire de New York qui offre une personnalité bien plus complexe qu’elle n'y paraît au départ. Il y a le responsable sûr de lui (enfin pas pour longtemps...), l’animal politique expert en rouages communicationnels et électoraux et l’homme qui se cache derrière le costume bien taillé qui va révéler fêlures et souvenirs du passé qu’il aurait bien voulu effacer. Ses conseillers ne sont pas en reste notamment son fils qui vit dans son ombre et qui ne souhaite qu’une chose : se faire aimer et respecter. Et toujours en arrière plan, cette menace insidieuse, cette sécurité perdue et l’idée que tout peut arriver à n’importe quel moment...  L’acte final sera sans équivoque, terrible et logique à la fois, n’épargnant personne et laissant le lecteur sur son séant.

L’intrigue est bien ficelée, l’enquête tortueuse et les éléments apportés à priori sans liens les uns avec les autres. Lu et relu certes mais diablement efficace surtout que l’écrivain s’y entend pour alterner phases descriptives édifiantes sur le comportement des masses et confrontations parfois rudes entre les protagonistes. On finit le livre sans s’en rendre compte, bercé par une langue percutante, maligne et franchement saisissante par moment (les scènes dans les ascenseurs justement sont bien flippantes).

Les amateurs de thrillers et de page-turners peuvent foncer, ils ne seront pas déçus. On passe un bon moment et on en redemanderait presque !

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Cette nuit-là
- Crains le pire
- Les Voisins d'à côté
- Du bruit dans la nuit

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