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Le Capharnaüm Éclairé
11 avril 2022

"On est bien arrivés" de Renaud Epstein

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L’histoire : Ces cartes postales, qu'on pouvait trouver dans les cafés, maisons de la presse ou épiceries des cités HLM racontent un monde disparu, dans lequel ces cités incarnaient la modernité urbaine et le progrès social.

La production en masse de ces cartes a accompagné la construction des grands ensembles durant les Trente Glorieuses, contribuant à forger et diffuser une image sociale valorisante de quartiers aujourd'hui stigmatisés.

Loin des représentations stéréotypées de quartiers-ghettos, mornes et criminogènes, ce livre montre la diversité du bâti, l'empreinte du paysage, et par le biais des quelques versos de cartes reproduits, un aperçu de la vie des habitants par eux-mêmes...

La critique de Mr K : J’ai débuté ma carrière de professeur en lycée professionnel dans le 93, le 9 cube comme on dit. Mes élèves venaient essentiellement des quartiers populaires, des grands ensembles entre tours et barres où l’on conjuguait solidarité forte mais aussi discrimination et mal de vivre. J’ai adoré cette expérience, forgé le professeur que je suis devenu et je n’ai jamais regretté ces cinq années intenses (avec au final la rencontre avec Nelfe comme cerise sur le gâteau !).

C’est donc avec grand plaisir que je débutai la lecture de On est bien arrivé de Renaud Epstein édité au Nouvel Attila, une maison que nous apprécions et offre toujours des ouvrages différents, à la haute valeur ajoutée entre engagement et quête artistique. Sociologue, spécialiste de la politique de la ville et des politiques urbaines, professeur à science po’ (niveau CV il se pose là), cet ouvrage est l’achèvement d’une aventure sur twitter entamée des années auparavant.

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Le concept de départ est super sympa. L’auteur s’est mis à collectionner toutes les cartes postales éditées à l’époque de l’édification des grands ensembles, une révolution architecturale et sociale débutée au début des Trente glorieuses. Il alimentait ensuite un fil twitter "Un jour, une ZUP, une carte" en postant régulièrement la dite carte. N’étant pas twittos, je n’en dirais pas plus, n’ayant jamais fait partie de cette communauté. Prolongé par des murs d’exposition, l’idée a mûri de faire un livre qui reprendrait l’expérience (en sélectionnant les cartes) et en la prolongeant avec un texte introductif revenant sur l’historique des grands ensembles en y rajoutant une analyse sociologique, politique et évidemment sociale. L’ensemble se révèle passionnant et a donné naissance à un livre de toute beauté qui se révèle captivant.

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L’ouvrage s’ouvre donc sur une introduction fort instructive. Après avoir parlé de son projet et de sa "méthodologie", Renaud Epstein revient sur la logique d’aménagement des grands ensembles avec les chantiers d’après-guerre d’un pays ravagé où le besoin de logement est criant. À cette époque, les grands ensembles incarnaient un gigantesque pas en avant, un progrès social, la possibilité d’une vie meilleure pour de nombreux déshérités. Leur uniformité, la modernité de leur architecture avec de multiples styles, la planification étatique au service du plus grand nombre était source de grandes espérances. Des décennies plus tard, ils sont devenus les symboles d’un échec social total, d’une société devenue discriminatrice et des quartiers où l’État a reculé au nom du chiffre et de la rentabilité et où les bandes et l’économie parallèle ont pris le contrôle des lieux. L’auteur ne s’attarde pas sur ce dernier point (malgré des citations bien senties dans la partie suivante), ce qui l’intéresse c’est le lancement, la typologie, l’application du plan, la sociologie des lieux et l’histoire que les cartes postales retranscrivent de manière parfois bluffante.

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Puis, s’ouvre le long défilé de cartes postales. C’est tout de même étonnant de penser qu’ils en ont tiré beaucoup sous cette forme. C’est comme si aujourd’hui on faisant la même chose avec des lotissements. Il se dégage une grande nostalgie, un côté désuet et même décalé par moment. Souvent cela donne des scènes sans vraiment de présence humaine, un côté presque rétrofuturiste. On voyage donc de région en région, de banlieue en banlieue, des lieux érigés bien souvent en pleine campagne avec dans le cadre du cliché tantôt une vache, tantôt un cheval, parfois des grands axes de communication. C’est la France de demain qui s’élève entre projets pharaoniques et déjà des vices de forme qui présagent des problèmes à venir.

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Très bien formalisé, On est bien arrivés se consulte avec grand plaisir. Les citations accolées en face des clichés font mouche bien souvent. Je pense notamment à la fameuse phrase du Tsar Cozy sur le karcher ou la formulation introductive du film La haine de Kassovitz, sans compter d’autres phrases d’architectes et autres responsables. Le livre gagne en densité, on se prend à beaucoup réfléchir et l’on ressort vraiment enrichi de cette lecture. Une belle expérience qui ravira les amateurs et les curieux.

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