mardi 1 mars 2022

"Le Gosse" de Véronique Olmi

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L’histoire : Joseph vit heureux entre sa mère, plumassière, sa grand-mère qui perd gentiment la boule, les copains du foot et les gens du faubourg. Mais la vie va se charger de faire voler en éclat son innocence et sa joie. De la Petite Roquette à la colonie pénitentiaire de Mettray – là même où Jean Genet fut enfermé –, l’enfance de Joseph sera une enfance saccagée.

La critique de Mr K : Quel bel ouvrage que celui-ci, aussi puissant que touchant. Véronique Olmi avec Le Gosse nous propose un voyage effroyable en compagnie d’un orphelin placé en Institution après la Première Guerre mondiale. C’est l’occasion pour l’auteure d’aborder un sujet douloureux de notre Histoire, une page de honte concernant les traitements inhumains qui étaient réservés à ces pauvres enfants que la vie n’avait déjà pas gâté au départ. Édifiant !

Joseph est un petit titi parisien de sept ans quand débute son histoire. Il vit chichement mais heureux avec sa mère Colette et sa grand-mère dans un quartier populaire de la capitale. Il a des copains, aime beaucoup l’école. Orphelin de père, sa mère ne s’est pas "enterré" pour autant comme s’était souvent le cas en cette époque d’après-guerre qui a vu beaucoup d’hommes périr au combat ou malades de la grippe espagnole. Colette bien que triste a décidé de continuer à vivre. Elle travaille dur mais elle va régulièrement danser et fréquente des hommes ce qui n’est pas vraiment du goût de la morale ambiante. La maman de Joseph meurt lors d’un avortement clandestin qui tourne mal et voila le petit laissé à sa grand-mère qui yoyote de plus en plus. La situation deviendra plus tenable au bout de quelques temps, la grand-mère est envoyée à l’hospice et Joseph devient un enfant de l’Assistance publique. Placé dans une famille nourricière, puis dans une prison pour jeunes et une colonie pénitentiaire, il va devoir affronter le monde cruel des adultes, l’injustice, la violence et devra forger l’adulte en devenir qu’il est.

Le portrait de notre société est féroce, l’époque est rude et les inégalités criantes. À commencer par le sort des femmes. Elles étaient cantonnées au rôle d’épouses et de mères, étaient soumises à la pression sociale et aux qu'en-dira-t-on ( la figure des veuves éternelles, les relations hommes/femmes codifiées...), qui travaillent durement dans des métiers manuels difficiles et stéréotypés dans les castes inférieures. Elles sont les matrices de la Nation. Faire des enfants c’est soutenir le pays, le relancer après une Première Guerre mondiale qui a laissé le pays exsangue. Alors imaginez, quand on apprend que Colette a décidé de se débarrasser d’un enfant non désiré, sa mort est accueillie comme un châtiment divin. Le personnage de Colette avec son amour immodéré pour la vie, les hommes, son fils est le contrepoint du rôle pré-déterminé que l’on veut donner aux femmes, elle est un souffle de liberté, une brise de légèreté dans la vie de son fils. Un souffle éphémère qui malheureusement s’éteint vite.

Le cocon de Joseph est alors brisé, l’amour, la chaleur, la notion de foyer disparaissent et laissent peu à peu place à un être désincarné, comme absent de lui-même. Il se fabrique une carapace, une défense contre le monde qui ne semble plus vouloir de lui, le blessant durablement. Confronté aux rouages de l’administration, il se retrouve vite en Picardie dans le milieu paysan chez une famille qui accueille des enfants de l’Assistance uniquement pour l’argent. L’expérience est éprouvante, c’est le début de la descente aux enfers qui commence par des mauvais traitements, la faim qui le tenaille et ne le quittera plus pendant de nombreuses années. Puis, c’est la prison, avec l’incurie des gardiens dont un sacré pervers qui se repaît de son malheur et de son chagrin. C’est aussi un regard échangé avec un autre condamné, quelqu’un qu’il retrouvera plus tard lorsqu’il arrivera à Mettray, une colonie pénitentiaire agricole pour jeunes gens qui se sont soit disant mal conduits. Un système concentrationnaire extrême où beaucoup ne survivent pas, les autres en ressortent cassés et "redressés", chair à canon pour l’armée française et / ou travailleurs soumis à l’autorité.

Ses passages sont proprement hallucinants, se dire que ce genre de pratiques existaient, cautionnées par la République (vous savez l’égalité, les Droits de l’Homme et tout le toutim...) avec l’aval de populations alentours qui régulièrement pour toucher une prime partaient à la chasse aux enfants qui tentaient de s’évader... C’est écœurant, remarquablement mis en mot par une auteure qui prend volontiers des accents hugoliens dans la forme et le fond, autant vous dire que l’ensemble est marquant, lumineux et d’une clarté militante de bon aloi. On suit le quotidien de Joseph, sa lente mue, ses difficultés, les horreurs qu’il peut à l’occasion subir mais aussi ces petits moments d’espoir, avec la rencontre avec Aymé ou encore la découverte de la musique qui va peu à peu prendre de plus en plus de place dans sa vie. C’est une bien maigre consolation que ces petites joies arrachées à une vie de servage et d’avilissement mais c’est là-dessus qu’il va rebondir pour s’en sortir.

Il finira par sortir de ce système mais à quel prix ? Commence alors une nécessaire reconstruction intime qui ne se fera pas sans heurts, incompréhensions et tristesse de l’âme. Le voyage est magique, d’une profondeur, d’une justesse, d’une mélancolie qui touchent en plein cœur, nous laissant à la fin de l’ouvrage sur les genoux, totalement désarmés mais aussi révoltés. Le Gosse se lit quasiment d’une traite tant le style de Véronique Olmi et le sujet sont en adéquation. Franchement, il est impossible de le relâcher et on a qu’une envie : le faire lire, le partager et en parler avec un maximum de personnes. Vous savez ce qui vous reste à faire !