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Le Capharnaüm Éclairé
14 février 2022

"Lady Chevy" de John Woods

L’histoire : Amy Wirkner, lycéenne de 18 ans, est surnommée "Chevy" par ses camarades en raison de son surpoids. Solitaire, drôle et intelligente, elle est bien décidée à obtenir une bourse pour pouvoir aller à l'université et quitter enfin ce trou perdu de l'Ohio où la fracturation hydraulique empoisonne la vie des habitants, dans tous les sens du terme. Mais alors qu'elle s'accroche à ses projets d'avenir et fait tout pour rester en dehors des ennuis, les ennuis viennent la trouver.

 

Convaincue que l'eau de la région devenue toxique est à l'origine des malformations de naissance de son petit frère, elle accepte de participer avec son meilleur ami Paul à un acte d'écoterrorisme qui va très mal tourner. Mais Amy refuse de laisser l'erreur d'une nuit briser ses rêves, quitte à vendre son âme au diable...

 

La critique de Mr K: Cette lecture est ma première grosse claque littéraire de l’année, le genre de lecture qui emprisonne littéralement son lecteur et le marque durablement au fer rouge. Roman noir de chez noir aux personnages inoubliables, Lady Chevy de John Woods est éblouissant, fournit un plaisir de lecture addictif quitte à rendre asocial et mauvais père (bon, là je plaisante mais à peine...). Je peux vous dire que je ne suis pas près d’oublier la Lady Chevy qui donne son nom à ce roman d’une force incroyable.

 

Le trou du cul de la Terre ou presque... C’est là où réside Amy (aka Lady Chevy), une jeune fille tout juste majeure, avec de l’embonpoint et à l’intelligence au dessus de la moyenne. Issu d’une famille de bouseux comme elle dit, entourée et aimée à la manière du coin, elle ne souhaite qu’une chose : se barrer ! Partir loin, faire des études de vétérinaire à l’université de l’État et être heureuse, sortir de sa vie morose et sans relief. Pour cela elle bûche comme une folle, prépare précautionneusement son dossier de bourse.

 

Dans cette région déshéritée, l’espoir est réapparu grâce à l’extraction du gaz de schiste, pratique controversée dont on ignore encore vraiment son impact réel sur l’environnement. Les parents d’Amy ont d’ailleurs cédé un bail sur une partie de leur terrain. Malheureusement, le petit dernier (Stonewall, drôle de nom -sic-) semble atteint de maux incurables qui pourraient être imputés à l’exploitation de cette nouvelle source d’énergie. Cela nourrit le ressentiment d’Amy et lorsque son meilleur ami d’enfance Paul lui propose une virée / vendetta sur un réservoir de l’entreprise incriminée, elle n’hésite pas. De fil en aiguille, le simple sabotage va déraper et aboutir à la mort d’un homme. Commence alors une véritable descente aux enfers pour Chevy qui voit tous ses rêves d’avenir menacés mais elle découvre en elle des ressources insoupçonnées... Les barrières du Bien et du Mal ont été franchies, les conséquences vont être terrible pour la jeune fille mais aussi pour toute la communauté.

 

Ce roman s’apparente à une lente et constante montée en pression avec une Chevy qui se livre un chapitre sur deux. On en apprend tout d’abord sur sa famille notamment son grand-père suprémaciste blanc aux mains ensanglantées, un oncle fan d’armes à feu complètement perché, ses parents aux mœurs décalés notamment la maman. Adorée par son père, rapports tendus avec sa génitrice, tout s’entremêle et se révèle à la faveur de l’acte horrible que commet Chevy. Gardant le secret, se retrouvant confrontée à la culpabilité mais aussi à sa propre ambition de sortir de l’ornière et devenir quelqu’un, cette anti-héroïne interroge, dérange profondément. Loin d’emprunter les chemins conventionnels, on assiste à l’émergence d’un nouvel être avec sa part sombre qu’elle développe au fil des événements et épreuves qu’elle traverse. On flirte avec les limites de la morale élémentaire, les lignes bougent et l’on est bien souvent pris de stupeur face à certaines de ses réactions, paroles et pensées. J’aime être bousculé et dans ce domaine, l’auteur pousse le curseur loin.

 

Un chapitre sur deux, on suit Hasting, un policier du cru aux méthodes immorales et musclées. Il n’hésite pas à faire le ménage au sens propre et mène en parallèle une vie de famille rangée. Étudiant en philosophie doué, rentré au pays pour servir sa communauté, il brouille aussi les pistes, on n’en croise pas deux comme lui en littérature et c’est peut-être pas plus mal -sic-. Un rapprochement va s’opérer en toute fin d‘ouvrage entre les deux personnages, une scène d’anthologie qui changera à jamais la vision des choses et la vie de Chevy. J’ai rarement ressenti une telle impression d’étrangeté et de puissance à la fois lors de ce face à face brut et lourd de sens. Tout bonnement génial !

 

Le parcours des différents personnages est vraiment très bien caractérisé, on ne tombe jamais dans le pathos ou le easy-reading. Tout est finesse psychologique, le poids du passé, des traditions, la culture familiale, des rapports instaurés et des bouleversements prennent leur sens, amènent le lecteur à la lisière parfois de la folie, du pétage de plombs. On est régulièrement pris à rebrousse poil entre stupéfaction et malaise grandissant. Plus d’une fois, j’ai ressenti une grosse boule au ventre et je dois avouer que j’ai éprouvé toute une palette d’émotions bien paradoxales malgré une lecture absolument grandiose. On baigne littéralement dans la face sombre d’une Amérique parfois en perdition, qu’on n’ose pas forcément regarder dans les yeux, une Amérique en crise économique et identitaire, où la communauté compte plus que le pays, la morale et où finalement règne en sous-texte arrangements et corruption.

 

Lady Chevy est un vrai bijou de noirceur, un premier roman d’une virtuosité rare qui m’a littéralement happé et rejeté ensuite en petit morceaux mais diablement content. Tout amateur de grande et belle littérature américaine doit absolument le lire. Je vais mettre du temps à me remettre je crois !

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