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Le Capharnaüm Éclairé
7 février 2022

"Par le fil je t'ai cousue" de Fawzia Zouari

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L’histoire : Dans la Tunisie rurale des années 60, une fillette grandit dans l'ombre d'une famille traditionnelle et la soumission à une mère toute-puissante. Destinée à vivre et mourir voilée et analphabète comme ses aînées, elle va, la première, prendre le long chemin de l'émancipation. Le prix à payer sera lourd pour se libérer des sortilèges, des interdits et des secrets maternels.

La critique de Mr K : Superbe lecture que je vais vous présenter aujourd’hui avec Par le fil je t’ai cousue, un récit autobiographique de Fawzia Zouari, une écrivaine d’origine tunisienne très engagée que je découvrais par la même occasion. Filiation, culture et tradition, modernité, émancipation de la femme sont autant de thématiques abordées ici avec sensibilité et force, provoquant une empathie immédiate et nourrissant énormément de réflexions. Quelle claque !

Dans cet ouvrage, l’auteure revient sur son enfance et son adolescence. De sa naissance (et même avant) à son départ pour les études supérieures, elle revient sur sa famille et notamment ses rapports complexes avec sa mère omnipotente, gardienne des traditions au tempérament de feu. Très traditionaliste, elle représente un ancien monde qui peu à peu s’efface. Pour autant, elle continue à prier les saints jour après jour, à faire appliquer les codes ancestraux régissant la société entre religion et rites païens avec au cœur de tout cela le statut des hommes et des femmes, et leur séparation irrémédiable. Loin d'être simplement une figure tutélaire inatteignable et intransigeante, par petite touche, on se rend compte que la maman malgré ce côté repoussoir est plus nuancée que cela avec notamment l’aide qu’elle peut apporter à certaines jeunes filles en détresse et une façade uniquement répressive qui peut parfois se fissurer. Malgré leurs différences, mère et fille ont une relation unique, et si un gouffre les sépare et que la tension atteint vraiment des sommets par moment, on sent bien que le destin de ces deux là est inextricablement lié.

On se prend vite d’affection pour la jeune fille qui nous raconte par le menu ses proches, son milieu, ses transformations intimes. On alterne toutes les émotions avec de grands moments d’émerveillement, notamment le regard posé par l’enfant sur la nature qui l’environne, le village de son enfance qu’elle pare de toutes les qualités au gré des excursions et découvertes qu’elle peut effectuer. C’est aussi au fil du temps qui passe, les premières prises de conscience et notamment celle qu’une femme n’a pas la même position, la même importance qu’un homme. Que les deux sexes mêmes s’ils se côtoient, n’ont pas les mêmes droits, fonctions et rapports aux êtres et à la société. Cela donne lieu à des incompréhensions, des confrontations et des scènes parfois rudes. Je pense notamment aux cartables brûlés des deux sœurs aînées par la mère lorsque celle-ci décide qu’elles arrêteront l’école après le primaire. La lumière est faite sur les femmes, leurs conditions inférieure mais aussi à l’occasion leur pouvoir dans la maisonnée et une certaine influence. Ces moments de vie, de détresse et d’espoir sont remarquablement mises en mot.

C’est tout une communauté mais aussi un pays qui sont exposés à travers ce récit qui fait la part belle à l’intime, à la vie collective mais aussi aux sursauts de l’Histoire avec le départ des colons français, la prise du pouvoir socialiste de Bourguiba avec son lot de réformes qui bouleversent la société : la collectivisation des terres, l’arrivée de l’électricité, de l’eau courante, de la technologie dans les foyers. C’est le heurt entre le Progrès et la Réaction, forces contraires mais complémentaires cependant dans l’évolution des mœurs et de la structure même de la société tunisienne. L’ensemble se mêle avec bonheur, intelligence et finesse donnant à voir une société en pleine évolution. Cela explique aussi les crises contemporaines du XXIème siècle avec la révolution arabe de 2011 mais aussi le poids de l’islamisme dans certaines fractions de la population et du pouvoir. Le tableau est saisissant et nuancé.

L’auteure revient aussi parfois sur les sentiments qui l’habitent aujourd’hui, faisant référence à ses propres expériences de mère et de femme, faisant un lien constant entre passé et présent avec ce souci de quête des origines, de filiation qui nous habite tous et nous interroge fortement sur ce que l’on est et ce que l’on devient. Par le jeu du regard de l’enfant, des allers-retours passé / présent, des bribes de souvenirs épars, on reconstitue finalement un parcours, une famille, une culture et l’Histoire en marche que rien n’arrêtera malgré des oppositions. C’est brillant, délicieusement écrit et passionnant à lire. Par le fil je t'ai cousue est à découvrir absolument !

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Commentaires
E
j'espère le trouver en bibliothèque
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