"Triste Boomer" d'Isabelle Flaten
L’histoire : John, star super sur le retour d’âge, se retrouve au point mort. Il n’accepte pas de vieillir et se sent dépossédé de la vie.
Dans ce monde qui recycle tout et son contraire au profit du business, il prend conscience qu’il est passé à coté de ce qu’il y a de vraiment important... notamment en matière de sentiments.
En discutant avec son ordinateur, et en faisant défiler les noms de quelques femmes pour qui il a eu de vrais sentiments, il voit l'occasion de reconquérir au moins une chose importante : l’amour.
La critique de Mr K : Quel plaisir que cette lecture ! Isabelle Flaten confirme tout le bien que je pense d’elle suite à ma lecture enthousiaste de La Folie de ma mère, un petit bijou d'introspection et de quête de vérité intime. Triste Boomer est moins personnel mais tout aussi réussi avec le portrait sans fard d’un homme qui a vécu toute sa vie pour lui-même et qui une fois la retraite sonnée va se retrouver face à ses regrets. Tout cependant n’est peut-être pas joué et l’on a vu parfois rejaillir le feu de l’ancien volcan que l’on trouvait trop vieux...
Au premier abord, il est difficile d’aimer John (surtout pas moi). Autocentré, adepte du libéralisme débridé, il a eu une carrière professionnelle sans faille, tournée vers la réussite selon les règles édictées par le capitalisme sauvage. Réduire les coûts, faire du blé et encore plus de blé pour s’enrichir et surtout mettre en valeur sa réussite, ses capacités. Jamais vraiment en pause, toujours à la poursuite d’un nouveau challenge, John n’a jamais posé ses valises durablement avec quelqu’un ni fondé de famille.
L’heure du bilan a sonné et face à la vacuité qu’est devenue son existence, le boomer donne des signes de défaillances. Finalement ne serait-il pas passé à côté de tout un pan de sa vie ? L’aspect sentimental non épanoui et cette solitude intérieure qui commence à lui peser... Il repense alors au passé, à certaines femmes qui ont pu compter dans sa vie et notamment Salomé qu’il n’a su garder et qui est depuis devenue comtesse, gestionnaire d’un grand domaine. Il va tenter de se rapprocher d’elle et peut-être se sauvera-t-il (ou pas ?).
L’aspect narratif du roman est très original dans son déroulé. Ainsi, le récit débute par le point de vue du PC de John qui épluche archives et historiques et dresse un portrait dramatico-comique de son propriétaire. C’est fun et fin, on se met dans l’ambiance très vite. Entre deux chapitres, c’est au tour de deux voisines du boomer d’échanger dans l’escalier à propos de ses absences, des femmes qui défilaient chez lui ou encore sur leurs propres désirs envers John. Le ton décalé employé allège un peu les tensions décrites précédemment et inscrivent le personnage principal dans un contexte plus quotidien, de la vie de tous les jours. Quand c’est au tour de Salomé d’être présentée, elle le sera en partie via un vieux portrait de noble qu’elle a dépoussiéré de la cave de sa nouvelle demeure. C’est très drôle d’avoir une description d’une femme de notre temps par un regard vieux jeu et daté. Le contraste fait sourire et l’on passe un bon moment. Par instants, la narration se détache davantage et redevient plus classique mais le croisement des différentes énonciations permet de proposer un récit qui détonne, vif et rythmé. On ne s’ennuie pas une seconde.
Au fil des chapitres, John prend de l’épaisseur. On s’interroge beaucoup sur lui et avec lui. Il nous renvoie à certains aspects de nos vies, nous fait réfléchir à la notion de priorité et de la nécessité de revenir parfois à l’essentiel. Bien que souvent léger dans le ton, le propos est vraiment profond et donne à voir une humanité qui parfois se perd au détriment du travail, du "qu’en dira-t-on" ou encore du modèle économico-social qu’on nous injecte à coup de pub et de quête de l’immédiateté. Les destins liés de John et Salomé débordent donc sur un message universel, qui parlera à tout le monde et nous renvoie à notre condition de mortel, au temps qui passe et de la nécessité absolue de profiter du moment présent et de savoir parfois se projeter, quitte à prendre des risques. Cet aspect métaphysique m’a sauté aux yeux, a nourri ma réflexion avec une accessibilité et un plaisir de lire qui ne s’est jamais démenti.
L’auteure propose toujours une langue douce et profonde à la fois, Isabelle Flaten construisant et faisant évoluer ses personnages avec beaucoup d’affection et le souci de fournir crédibilité, sensibilité et une profonde humanité à John et les autres. On passe par beaucoup d’émotions sans pathos ni exagération. Triste Boomer est un beau roman que je ne saurai que trop vous conseiller de découvrir à votre tour. La Rentrée Littéraire d'hiver commence bien !
"Le Second sommeil" de Robert Harris
L’histoire : 1468.
Le père Christopher Fairfax est envoyé dans un village isolé du bout de l’Angleterre pour célébrer les funérailles d’un prêtre décédé brutalement.
D’abord saisi par l’accueil glacial des habitants, Fairfax est bientôt effrayé lorsqu’il découvre dans la chambre du défunt toute une collection de livres et d’artéfacts anciens, témoins d’un temps préapocalyptique. Des objets qui auraient dû conduire l’homme de Dieu au bûcher.
N’y a-t-il pire péché que celui de la connaissance ? Alors qu’il enquête sur ce prêtre hérétique, Fairfax va s’approcher trop près d’une vérité tenue secrète depuis des siècles – le destin d’un monde englouti par le temps, une civilisation disparue que certains cherchent à raviver pour sortir du noir profond de la nuit...
La critique de Mr K : Aujourd’hui, petite plongée dans le thriller historique avec un maître du genre. De Robert Harris, j’avais déjà lu et adoré Fatherland et Enigma, deux romans audacieux et passionnants pour l’amateur d’Histoire que je suis. C’est donc avec plaisir que je débutais ma lecture de Le Second sommeil au pitch de départ accrocheur. Au final, malgré une légère déception sur la fin, j’ai passé un bon moment et j’ai lu l’ouvrage en un temps record.
Christopher Fairfax est un jeune prêtre que l’on a dépêché dans une paroisse reculée pour célébrer la cérémonie d’enterrement du pasteur local. Ce dernier a été découvert mort à proximité d’un lieu dénommé le fauteuil du Diable, un endroit que les superstitions locales désignent comme dangereux et source d’un mal insondable. Arrivé sur place, le père Christopher va découvrir des ouvrages hérétiques et des artefacts pour le moins étranges, témoins du monde d’avant, du monde avant l’Apocalypse... Dans cette région isolée de tout, où les villageois vivent dans une crainte diffuse, on entend de drôles de bruits sourds et malgré l’emprise de l’Église, une vérité ne demande qu’à sortir. Et si en 1488, on vivait dans l’illusion et le secret sans le savoir ?
Attention, débuter cet ouvrage provoque immédiatement l’addiction. Comme toujours avec Robert Harris, on boit du petit lait en terme d’écriture. Subtile et directe à la fois, il excelle dans l’évocation des lieux et les tourments qui habitent ses protagonistes. L’époque est très bien rendue, on se retrouve plongé en pleine période d’obscurité, la foi fait force de loi et gare à ceux qui contrediraient la ligne sacerdotale. L’ouvrage tourne beaucoup autour des questions de croyance et de science, il est pour cela source de nombreuses interrogations et réflexions qui ne manquent pas d’assaillir le lecteur qui voit naître en lui un fort désir d’enquêter et d’en savoir plus sur ce fameux apocalypse. En effet, on se rend compte assez vite que nombres d’éléments ne cadrent pas avec le contexte décrit. Légers anachronismes, référence obscure au monde précédent les événements... On se doute qu’une révélation n’est pas loin de surgir bouleversant les certitudes posées par une oligarchie étatique et religieuse.
En terme de caractérisation de personnages, l’auteur fait le job. On retrouve des figures établies, les forces en présence sont classiques mais l’ensemble fonctionne bien car Harris sait y faire en matière de densité psychologique et rebondissements nombreux. On est donc rarement surpris mais l’ensemble est fluide, cohérent et apporte un plaisir de lecture durable. J’ai beaucoup aimé les personnages principaux qui cristallisent des questions essentielles comme la condition de la femme (avec une expérience de vie recluse et solidaire), la notion de progrès et d’enrichissement (le colonel entrepreneur qui souffle le chaud et le froid dans l’esprit du lecteur) ou encore l’opposition entre devoir et désir (le prêtre partagé entre sa mission et les élans de son cœur).
Le roman retombe un petit peu sur la fin que j’ai trouvé trop rapide, elliptique presque. Je m'attendais à mieux et même si on a les principale réponse, on ne peut s’empêcher de penser que l’auteur a botté en touche, laissant ses lecteurs sur le bord de la route. Légère frustration donc, même si l’esprit battant la campagne, on s’imagine ce qui pourrait advenir par la suite. Bonne lecture donc, pas parfaite mais qui fait passer des moments bien sympathiques. Les amateurs apprécieront.
"Outrageusement romantique" de Manu Causse
L’histoire : Un garçon en vacances au bord de la mer. Des parents et une petite sœur décidément bien pénibles. La pluie. Le spleen. Une guitare pour tromper l'ennui. Et puis la rencontre de l'énigmatique Louise qui va tout chambouler...
La critique de Mr K : Lecture sympathique que ce court ouvrage à destination de la jeunesse que j’ai emprunté au CDI de mon établissement. Outrageusement romantique de Manu Causse (ex prof de français soit dit au passage) nous invite dans l’âge ingrat entre difficulté de se sentir exister, une rencontre qui change une vie et une révélation finale qui en surprendra plus d’un. Lu très rapidement et avec plaisir, voici un titre vraiment réussi dont je vais vous parler plus amplement.
Le jeune narrateur comme chaque année part en vacances à la mer avec toute sa famille. Tout est réglé comme du papier musique : la location de vacances à deux pas de la côte, les serviettes aux couleurs attitrées à chacun, la mer et les plaisirs qui vont avec. Idéal pour changer d’air pour cette famille modeste dont le séjour estival est un rituel rassérénant. Mais cette année, c’est différent. Le héros est saoulé par beaucoup de choses : son père l’insupporte par ses remarques acides, sa maman est trop sur son dos et sa petite sœur est horripilante (une petite sœur quoi -sic-). Rajoutez à cela un corps qui change et qu’il n’assume pas, cela donne un gamin introverti, souvent plongé dans ses pensées et qui pour s’évader s’essaie à la guitare sans grand succès au départ. Le romantique du livre c’est lui !
Lors d’un retour de plage, il est subjugué par la beauté de Louise, une jeune fille qui l’observe depuis sa fenêtre. Percuté en plein cœur, il tombe et se luxe la cheville ! Une aide providentielle intervient en la personne de la maman de Louise qui est médecin. Les deux familles se rencontrent et malgré leurs différences de classes sociales sympathisent. Les deux adolescents se cotoient donc, s’apprécient et le jeune narrateur énamouré se voit même offrir des leçons de guitare par sa dulcinée qui se révèle être une très bonne musicienne. On suit alors ses progrès fulgurants et l’évolution de sa relation platonique avec Louise à travers ses pensées et ses chimères. Mais très vite, quelque chose plane dans l’air, un soupçon, une ambiance bizarre qui ne fait que s’épaissir avant un renversement final assez confondant.
Ce livre est une vraie réussite en terme d’immersion dans la tête d’un ado pas sûr de lui et qui tombe amoureux. C’est frais, écrit de manière limpide avec une finesse qui touche au cœur. Sans en faire trop, avec une sensibilité à fleur de mots, l’auteur nous brosse un portrait très attachant du jeune héros à travers ses réflexions mais aussi ses interactions avec sa famille. On rigole beaucoup au départ de sa mauvaise foi, de son caractère buté et de ses maladresses. La suite devient plus grave et donne une autre vision de la personnalité du jeune homme. Le glissement se fait progressivement avec une construction du récit très maline qui participe grandement à la surprise finale.
Outrageusement romantique est court et incisif, il se lit quasiment en une heure et se prête bien à la lecture à voix haute. Il conviendra parfaitement à un public peu à l’aise avec la lecture si les thèmes abordés l’intéresse. Un très bon livre qui a toute sa place dans un CDI ou dans le rayon jeunesse de toute bonne bibliothèque qui se respecte.