jeudi 6 janvier 2022

"Triste Boomer" d'Isabelle Flaten

tristeboomer

L’histoire : John, star super sur le retour d’âge, se retrouve au point mort. Il n’accepte pas de vieillir et se sent dépossédé de la vie.

Dans ce monde qui recycle tout et son contraire au profit du business, il prend conscience qu’il est passé à coté de ce qu’il y a de vraiment important... notamment en matière de sentiments.

En discutant avec son ordinateur, et en faisant défiler les noms de quelques femmes pour qui il a eu de vrais sentiments, il voit l'occasion de reconquérir au moins une chose importante : l’amour.

La critique de Mr K : Quel plaisir que cette lecture ! Isabelle Flaten confirme tout le bien que je pense d’elle suite à ma lecture enthousiaste de La Folie de ma mère, un petit bijou d'introspection et de quête de vérité intime. Triste Boomer est moins personnel mais tout aussi réussi avec le portrait sans fard d’un homme qui a vécu toute sa vie pour lui-même et qui une fois la retraite sonnée va se retrouver face à ses regrets. Tout cependant n’est peut-être pas joué et l’on a vu parfois rejaillir le feu de l’ancien volcan que l’on trouvait trop vieux...

Au premier abord, il est difficile d’aimer John (surtout pas moi). Autocentré, adepte du libéralisme débridé, il a eu une carrière professionnelle sans faille, tournée vers la réussite selon les règles édictées par le capitalisme sauvage. Réduire les coûts, faire du blé et encore plus de blé pour s’enrichir et surtout mettre en valeur sa réussite, ses capacités. Jamais vraiment en pause, toujours à la poursuite d’un nouveau challenge, John n’a jamais posé ses valises durablement avec quelqu’un ni fondé de famille.

L’heure du bilan a sonné et face à la vacuité qu’est devenue son existence, le boomer donne des signes de défaillances. Finalement ne serait-il pas passé à côté de tout un pan de sa vie ? L’aspect sentimental non épanoui et cette solitude intérieure qui commence à lui peser... Il repense alors au passé, à certaines femmes qui ont pu compter dans sa vie et notamment Salomé qu’il n’a su garder et qui est depuis devenue comtesse, gestionnaire d’un grand domaine. Il va tenter de se rapprocher d’elle et peut-être se sauvera-t-il (ou pas ?).

L’aspect narratif du roman est très original dans son déroulé. Ainsi, le récit débute par le point de vue du PC de John qui épluche archives et historiques et dresse un portrait dramatico-comique de son propriétaire. C’est fun et fin, on se met dans l’ambiance très vite. Entre deux chapitres, c’est au tour de deux voisines du boomer d’échanger dans l’escalier à propos de ses absences, des femmes qui défilaient chez lui ou encore sur leurs propres désirs envers John. Le ton décalé employé allège un peu les tensions décrites précédemment et inscrivent le personnage principal dans un contexte plus quotidien, de la vie de tous les jours. Quand c’est au tour de Salomé d’être présentée, elle le sera en partie via un vieux portrait de noble qu’elle a dépoussiéré de la cave de sa nouvelle demeure. C’est très drôle d’avoir une description d’une femme de notre temps par un regard vieux jeu et daté. Le contraste fait sourire et l’on passe un bon moment. Par instants, la narration se détache davantage et redevient plus classique mais le croisement des différentes énonciations permet de proposer un récit qui détonne, vif et rythmé. On ne s’ennuie pas une seconde.

Au fil des chapitres, John prend de l’épaisseur. On s’interroge beaucoup sur lui et avec lui. Il nous renvoie à certains aspects de nos vies, nous fait réfléchir à la notion de priorité et de la nécessité de revenir parfois à l’essentiel. Bien que souvent léger dans le ton, le propos est vraiment profond et donne à voir une humanité qui parfois se perd au détriment du travail, du "qu’en dira-t-on" ou encore du modèle économico-social qu’on nous injecte à coup de pub et de quête de l’immédiateté. Les destins liés de John et Salomé débordent donc sur un message universel, qui parlera à tout le monde et nous renvoie à notre condition de mortel, au temps qui passe et de la nécessité absolue de profiter du moment présent et de savoir parfois se projeter, quitte à prendre des risques. Cet aspect métaphysique m’a sauté aux yeux, a nourri ma réflexion avec une accessibilité et un plaisir de lire qui ne s’est jamais démenti.

L’auteure propose toujours une langue douce et profonde à la fois, Isabelle Flaten construisant et faisant évoluer ses personnages avec beaucoup d’affection et le souci de fournir crédibilité, sensibilité et une profonde humanité à John et les autres. On passe par beaucoup d’émotions sans pathos ni exagération. Triste Boomer est un beau roman que je ne saurai que trop vous conseiller de découvrir à votre tour. La Rentrée Littéraire d'hiver commence bien !