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Le Capharnaüm Éclairé
8 décembre 2021

"La Cathédrale des noirs" de Marcial Gala

L’histoire : Lorsque la famille Stuart emménage dans le quartier, les locaux l’observent : des oiseaux de mauvais augure... Arturo Stuart, le patriarche, prêtre charismatique et visionnaire, se sait investi d’une mission conférée par Dieu lui-même : bâtir un temple qui surpassera tous les édifices que Cuba a jamais comptés et faire de Cienfuegos une nouvelle Jérusalem.

 

Au pied de la cathédrale en chantier évolue tout un monde qui s’est construit dans la violence et le chacun pour soi. Les voix ardentes s’entremêlent et commentent la vertigineuse construction : gangsters, tueur en série, fantômes...

 

La critique de Mr K : Attention, livre incontournable aujourd’hui au programme de la chronique du jour. Nous aimons beaucoup les éditions Belleville au Capharnaüm éclairé, ils proposent souvent des ouvrages de qualité aux auteurs à la plume singulière. On bouscule ici tout ce qui est établi avec un ouvrage qui détonne. La Cathédrale des Noirs de Marcial Gala est un brûlot qui dévaste tout sur son passage et offre un portrait glaçant de l’humanité ainsi qu’un portrait sans fard de Cuba loin des idées qu’on peut s’en faire. Accrochez-vous, c’est parti !

 

Ce roman polyphonique laisse la parole à toute une série de personnages du crû (vivants, en sursis ou même morts) qui enchaînent les prises de paroles, les échanges, monologues intérieurs, actes parfois innommables et routine du quotidien. Le point d’ancrage est l’arrivée dans un quartier populaire à dominance noire d’Arturo Stuart et sa famille. Prêtre au charisme impressionnant, sachant manier les foules, il a pour objectif de bâtir une cathédrale à nulle autre pareille sur l’île, un édifice à la gloire de Dieu qui surpassera tous les autres.

 

L'ouvrage met donc en exergue le retentissement de cet emménagement et du projet de construction auprès du microcosme du quartier avec son lot de pauvreté, de folie et d’espérances. Les voix sont nombreuses, dissonent parfois et donnent à voir une humanité bien souvent perdue qui lutte pour sa survie en pensant avant tout à elle, sans se soucier d’autrui et de l’intérêt général. On croise dans ces pages des repris de justice, des gangsters à la gâchette facile, un serial killer particulièrement retors qui revend de la chair humaine, des pontes qui s’accommodent de la corruption mais aussi de jeunes âmes innocentes qui ne souhaitent qu’une chose : partir loin des galères et du pourrissement généralisé qui gagne les lieux et les cœurs.

 

Le parti pris narratif surprend au départ, il faut un nécessaire temps d’adaptation pour faire le lien entre les différentes voix qui s’expriment. Il faut se faire aux noms / surnoms et essayer de relier mentalement les uns et les autres. Pour m’aider, j’ai élaboré une petite carte mentale faite maison, ce qui m’a facilité la tâche au départ. Finalement, la toile se forme clairement dans notre esprit et l’on déguste ce roman noir avec une rare jubilation malgré le déballage d’horreurs et la tension palpable à chaque moment. Le propos est rude, la violence explose en plein visage et l’on ne ressort pas indemne de cette lecture qui laisse des traces.

 

Les destins livrés ici sont torturés à l’extrême et l’on baigne dans un racisme souvent généralisé (les Noirs et les autres), une misogynie institutionnelle dans une société patriarcale d’une rare violence physique et psychologique. Le poids des traditions, de la famille ainsi que les liens économiques, souterrains sont un frein à l’épanouissement notamment des femmes, figures mélancoliques souvent bâillonnées / matées par l’ordre masculin. On prend vraiment des coups en lisant ce roman, on rentre quasiment dans un monde parallèle, où les règles communément admises semblent s’effacer devant le concept de profit et les désirs les plus sombres. Reste des instants de lumière, d’humanité qui s’égrainent parfois ici ou là, permettant de s’offrir une pause dans un récit haletant et éprouvant.

 

La langue est d’une inventivité et d’un charme fou. Elle est belle malgré le caractère brutal des faits décrits, les personnages sont ciselés à merveille et le récit est remarquablement construit, tortueux, à l’image des destins qui nous sont donnés à lire. La Cathédrale des Noirs est un livre incandescent d'une force incroyable. D'une grande beauté stylistique, on aime se promener dans ces pages sombres qui évoquent une île de Cuba comme on ne l'a jamais vraiment imaginée. Une claque que je vous invite à prendre au plus vite si vous avez le cœur bien accroché !

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