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Le Capharnaüm Éclairé
20 août 2021

"Les Ombres" de Wojciech Chmielarz

les ombres

L’histoire : Dans ce dernier volet des aventures de l'inspecteur Mortka, le Kub règlera enfin ses comptes avec l'ombre maléfique qui plane sur Varsovie, le boss Borzestowski. Et pour ce faire, il devra faire le ménage parmi quelques collègues ripoux...

Récemment, le cadavre d'un gangster disparu dans des circonstances mystérieuses six ans plus tôt a été retrouvé par l'inspecteur Kochan, ex-partenaire d'enquêtes de Jacub Mortka, dit le Kub.

Quelques jours plus tard, la femme et la fille du gangster sont retrouvées mortes, abattues avec l'arme de Kochan. Flic et mari violent, ce dernier ne trouve pas grand monde pour le défendre et décide de se planquer. Il appelle tout de même Mortka, qui ne croit pas à la culpabilité de son collègue et va donc s'efforcer de trouver la vérité en travaillant discrètement. Pendant ce temps, la Sèche, la jeune adjointe du Kub, découvre sur une clé USB la vidéo du viol collectif d'un jeune garçon où figurent des politiciens de haut rang.

Si elle révèle ce film à sa hiérarchie, elle sait que l'affaire sera étouffée, vu la stature des hommes impliqués. Mortka et la Sèche décident de s'entraider - ils ne savent pas encore que leurs enquêtes sont liées et qu'ils feront face à la mort en essayant de résoudre ces crimes. Et au centre de tout, il y a Borzsestowski, le grand requin du crime organisé à Varsovie...

La critique de Mr K : Quelle lecture que celle-ci ! Cinquième et ultime volet des enquêtes du Kub, un inspecteur polonais plus qu’attachant, Les Ombres de Wojciech Chmielarz ne laisse aucune chance à son lecteur tant on est pris par l’univers en pleine déréliction qu’il nous donne à lire. Personnages torturés, enquête sous pression et focus sur les déviances de la société polonaise nous entraînent dans une sarabande littéraire mortifère dont personne ne sortira indemne, à commencer par le lecteur pris par une addiction redoutable qui prolonge la lecture parfois jusqu’à tard dans la nuit.

L’action reprend juste après le tome précédent La Cité des rêves, certains éléments de l’intrigue risquent donc de vous échapper si vous ne l’avez pas lu. À la fin de ce dernier, La Sèche (enquêtrice et collègue du Kub) avait mis la main sur une vidéo explosive mettant en scène des hommes influents participant à un viol collectif ayant conduit la victime au suicide. Heurtée par l’injustice sous toutes ses formes, la Sèche mène son enquête en sous-main surtout que quelques hauts responsables de la police de Varsovie pourraient être impliqués. En parallèle, le Kub doit faire la lumière sur le meurtre de deux femmes (la femme et la fille de gangsters disparus depuis longtemps) et tout porte à croire que c’est son ancien coéquipier Kochan qui serait le meurtrier. Mais les indices confondants sont trop gros et certains détails laissent à penser à un coup monté. Lui aussi va devoir enquêter en parallèle sans en référer à ses supérieurs qui y voient une affaire réglée et bientôt classée. Le duo d’enquêteurs va bientôt se rendre compte que ces deux affaires se recoupent et qu’ils s’apprêtent à révéler un système, quelque chose de bien plus gros que de simples crimes sordides.

Sous ses dehors classiques dans sa structure et certains de ses protagonistes principaux, voila un roman qui remue les tripes. À commencer par le décorticage des hautes sphères de la société avec des gens bien sous tout rapport qui cachent bien des secrets et des pratiques on ne peut plus douteuses. Le milieu des affaires, du conseil stratégique, la police et ses arrangements avec la vérité et la légalité, le grand banditisme avec un baron sur le déclin qui doit lutter contre son corps qui l’abandonne et les requins qui rodent pour prendre sa place. Tout cela est décrit avec luxe de détails au fil de l’intrigue qui se déroule et révèle des circonvolutions des plus pernicieuses. On plonge avec effroi dans ce monde interlope qui nous entoure, que l’on ignore (ou que l’on préfère ignorer parfois) et cela fait froid dans le dos. Le roman est noir, très noir même et révèle une réalité froide et sans pitié où selon notre statut social, on souffre ou l’on jouit.

Le Kub et la Sèche sont au cœur du récit et l’on creuse encore davantage le passé, la psychologie et les logiques internes propres à ses deux policiers que l’on a appris à aimer, à apprécier pour leur sens de la justice. Ils sont ici mis à rude épreuve et des révélations sont faites notamment sur la Sèche qui donne à voir son parcours personnel et le trauma à l’origine du forgeage de sa personnalité. De manière globale, tous les personnages sont fouillés à l’extrême. Même si certains sont clairement abominables, on en apprend de belles chez eux, mention spéciale à celui qui a trouvé le secret d’un mariage réussi : se lever en avance et préparer le petit déjeuner de sa femme et ceci depuis des décennies. On alterne donc les émotions quelque soit les protagonistes et les montagnes russes émotionnelles ne s’arrêtent jamais entre petites trahisons, vérités dévoyées, corruption active et passive, petites compromissions mais aussi loyauté et amitiés qui se mêlent et livrent un portrait de la comédie humaine et du pouvoir saisissant.

Le tout est emmené avec une maestria narrative bluffante et diablement prenante, il est impossible de relâcher l’ouvrage avant sa fin. Descriptions ciselées, phases de dialogues léchées et un style vif et précis font de cet auteur un écrivain à part qui procure un immense plaisir de lecture. Cette pentalogie du Kub se termine en beauté et je ne peux que forcément inviter les amateurs de romans policiers noirs à entreprendre à leur tour l’aventure, ça vaut le détour et on prend claque sur claque. Un must dans son genre.

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- La Ferme aux poupées
- La Colombienne
- La Cité des rêves

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