"Le Serpent majuscule" de Pierre Lemaitre
L’histoire : Avec Mathilde, jamais une balle plus haute que l'autre, du travail propre et sans bavures. Ce soir est une exception. Une fantaisie. Elle aurait pu agir de plus loin, faire moins de dégâts, et ne tirer qu'une seule balle, bien sûr.
Dans ce réjouissant jeu de massacre où l'on tue tous les affreux, Pierre Lemaitre joue en virtuose de sa plume caustique. Avec cette œuvre de jeunesse inédite, il fait cadeau à ses lecteurs d'un roman noir et subversif qui marque ses adieux au genre.
La critique de Mr K : C’est avec beaucoup de plaisir que j’entamai la lecture du dernier Pierre Lemaitre, un auteur qu’on ne présente plus et que j’affectionne tout particulièrement notamment depuis la grosse claque reçue avec Au revoir là haut. Le dernier ? Pas vraiment. En fait, ce manuscrit n’avait jusque là jamais été édité et comme l’auteur le précise en présentation, il se sentait coupable d’avoir arrêté l’écriture de polar noir sans en avoir préalablement prévenu ses lecteurs. Il a donc remis le nez dans celui-ci, retouché quelques passages et, sa notoriété aidant, l’a fait éditer. Franchement, ça valait vraiment le coup de se repencher dessus car voici un ouvrage fort réjouissant, mené à 100 à l’heure, avec des personnages très charismatiques et une écriture gouleyante à souhait.
Mathilde est vieille, commence à perdre la boule et vit dans un petit pavillon de banlieue en compagnie de son chien Ludo, un dalmatien fidèle qui essuie régulièrement les colères et récriminations de sa maîtresse qui sent bien que le temps passe. Ex-résistante active pendant la Seconde Guerre mondiale, ex-professeur à l’Education Nationale, ex-femme de médecin, cette vieille veuve décatie sur les bords est surtout une tueuse à gage toujours en activité qui n’a pas son pareil pour exécuter à la perfection les contrats que lui propose Henri, son ami, mentor et chef direct. Mais voila, la machine commence à rouiller et Mathilde fait n’importe quoi et à se fait remarquer, ce qui est toujours dommageable dans ce type d’activité. Comme c’est un métier où on ne prend sa retraite que les pieds devant, commence un récit mêlant habilement road movie bien thrash, meurtres en pagaille, fuite en avant d’une tueuse complètement à l’ouest et une histoire d’amour qui traverse le temps mais se heurte à la Raison. C’est brillant et bruyant, impossible de relâcher l’ouvrage avant la fin.
Mathilde est littéralement magnétique. Cette femme à la verve toute audiardesque est désopilante mais aussi terrifiante. On peut dire qu’elle ne fait pas dans le détail, malheur à celle ou celui qui croise sa route, qu’il soit cible ou même simple spectateur. Être sans scrupule à la morale somme toute très personnelle (elle a un certain code de l’honneur à la géométrie très variable), on alterne avec elle scènes d’exécution aussi impromptues que de sang froid (le serpent du titre c’est elle) et préoccupations plus classiques des petites vieilles sur qui le temps fait son effet. On s’attache à elle bien malgré soi tant elle peut se révéler épouvantable mais sa façon de parler, de réagir est à se tordre, frontale, gouailleuse, menteuse comme une arracheuse de dent mais aussi parfois sensible et désarmée (face à Henri notamment). On aime à suivre la route de cette tueuse déjantée qui s’avère très complexe et entame clairement la dernière ligne droite de son existence.
On croise nombre de personnages plus ou moins secondaires qui tous subissent le même traitement d’un Pierre Lemaitre toujours aussi attaché à une caractérisation rapide et efficace. Un jeune flic solitaire, son supérieur bouffi autosuffisance amateur de noix de cajou, une veuve joyeuse adepte de libertinage, une garde malade asiatique séduisante, un vieux monsieur qui perd la boule, un voisin trop curieux, un pompiste trop aidant et tant d’autres personnages auxquels je vous déconseille de trop vous attacher. Cet ouvrage ferait pâlir George R. R. Martin tant ça défouraille sec et que l’existence de chacun tient à un fil ou plus exactement à l’humeur d’une certaine Mathilde notamment. L’auteur est une fois de plus sans pitié et je peux vous dire que notre cœur fait des bonds quand d’une page à une autre un personnage disparaît après des dizaines de pages en sa compagnie. C’est culotté comme prise de risque, bien rythmé et surtout totalement plausible malgré une course à la mort qui va crescendo vers un final haut en couleur qui tombe à pic et franchement m’a séduit.
On ne s’ennuie donc pas une seconde avec "Le Serpent majuscule", alternant sourires et grincements de dents, Pierre Lemaitre ménageant le chaud et le froid avec un talent impayable provoquant une adhésion totale du lecteur. Ça se lit une fois de plus très facilement, on se plaît à se laisser mener par le bout du nez et à tomber de Charybde en Scylla au fil du déroulé de la trame. Une excellente lecture qui ravira les fans du genre et de l’auteur.
Lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Robe de marié
- Au revoir là-haut
- Trois jours et une vie
- Couleurs de l'incendie
- Cadres noirs
- Miroir de nos peines
"Le Monde de Monsieur Taupe" de Tereza Sediva
C'est un album printanier et tout plein de couleurs que je vous propose de découvrir aujourd'hui. Nous savons assez bien ce qu'il se passe sous nos pieds mais pour la faune qui vit sous terre, est-ce tout aussi évident ?
L'histoire : Monsieur Taupe vivait sous terre, au fond d'un trou très sombre. Mais c'était chez lui. De temps en temps, il se demandait s'il n'existait pas autre chose, dehors...
La critique Nelfesque : Quelle jolie rencontre que celle faite avec Monsieur Taupe ! Dans son monde sombre et humide, la vie s'écoule tranquillement. Il ne connaît rien du monde extérieur et ça lui convient très bien comme ça. D'autant plus qu'il a un ami avec qui discuter tous les jours : Lampion, un radis rose planté juste au dessus de sa tête.
Jour après jour, Lampion lui raconte la vie d'en haut, celle qu'il peut voir avec ses fanes. Il lui raconte comme les couleurs sont belles, comme le soleil réchauffe et comme la vie est foisonnante. Cela intéresse beaucoup Monsieur Taupe mais lui fait aussi très peur. Même si tout ce que lui raconte Lampion parait incroyable et un peu fou, entre envie et crainte, il n'ose pas s'aventurer plus loin que son petit trou. Alors il pose des questions, se délecte des détails que lui fournit Lampion, son unique ami coloré, lui fait part de ses peurs et se laisse encourager.
Mais un matin il est réveillé par une grande lumière éblouissante. Monsieur Taupe n'y voit plus rien mais il remarque une chose : Lampion n'est plus là ! Avec la perte de son ami, c'est aussi une porte ouverte sur le monde d'en haut qui s'offre à lui. Va-t-il oser grimper ? Quelles impressions lui laisseront le monde extérieur ?
Avec son format paysage et sa façon d'être lu en feuilletant les pages de haut en bas parfaite pour immerger le lecteur dans le contexte dépeint ici (la reliure faisant la jonction entre le monde d'en haut et celui d'en bas), voici un album à la fois amusant et surprenant. Tereza Sediva par le choix de couleurs très contrastées, de l'usage du fluo, avec une progression du noir et blanc vers la couleur au fil des pages, éclaire peu à peu "Le Monde de Monsieur Taupe" et en met plein les yeux de ses lecteurs.
Très bel objet graphique, cet album jeunesse pour les petits lecteurs à partir de 4 ans leur apprend à dépasser leurs peurs, affronter la vie et oser la découverte. Ce que l'on ne connaît pas paralyse mais avec un peu de curiosité et d'élan, ce que l'on découvre peut être merveilleux. Un ouvrage aux illustrations inattendues sur les thèmes de la peur, l'amitié et le courage que je vous conseille grandement.
"Le Bruit du rêve contre la vitre" d'Axel Sénéquier
L’histoire : Sandra doit arriver d’une minute à l’autre. Il faut qu’elle se dépêche car derrière la vitre, il y a le soleil bleu, la mer jaune et les étoiles violettes qui s’impatientent, il y a cette vie bourdonnante qui attend qu’on la libère, il y a ces rêves qui frappent au carreau et craignent de mourir emprisonnés. Alors épuisé mais heureux, je désigne la fenêtre. L’infirmière comprend et me sourit. Lorsqu’elle tourne la poignée, le vent impatient s’engouffre dans cette chambre close et renverse les fleurs. Le vase explose sur le sol. Et dans les morceaux épars répandus aux quatre coins de la chambre, la lumière du soir se réfléchit et nous fait plisser les yeux.
Douze nouvelles sur le confinement, le Covid-19 et cette époque trop sûre d’elle-même qu’un virus a balayée.
La critique de Mr K : Joli et émouvant recueil de nouvelles que celui d’Axel Sénéquier paru en avril chez Quadrature, un ouvrage réunissant douze nouvelles se déroulant pendant le premier confinement. Le Bruit du rêve contre la vitre (superbe titre soit dit en passant) propose de suivre des destinées contrariées en pleine pandémie, souvent seules face à elles-même dans un espace réduit. C’est rudement bien mené et efficace avec bien souvent des textes qui touchent fort et juste.
Texte après texte, on replonge dans des thématiques et des types de personnages qui ont marqué à leur manière cette période si particulière. Le confinement a révélé beaucoup de choses sur notre société, notre rapport aux autres mais aussi nous a bien souvent forcé à effectuer notre introspection et la remise en cause de certaines valeurs, de rapports familiaux ou amicaux ou encore à bouleverser nos styles de vie. Avec une finesse assez confondante et en peu de mots (les textes sont vraiment courts et vont à l’essentiel) l’auteur parvient à saisir cette époque hors norme dans laquelle nous continuons à vivre bien malgré nous parfois.
Au fil des textes, on croise une femme battue par son compagnon, un artiste se sentant inutile qui va s’engager pour travailler dans une Ehpad, un père soumis au calvaire de l’école à la maison, des parisiens en fuite vers leur résidence secondaire en province, une nana imbuvable qui découvre les joies du télétravail avec des possibilités de vengeance assez terribles, un homme qui veut changer de vie et retrouve ses racines familiales, un homme dans le coma qui rêve et délire, une SDF ensauvagée qui redécouvre la nature dans le jardin des plantes de Montpellier, un vieux retraité qui devient un poète des banderoles aux fenêtres, une femme qui va prendre un bain pendant que sa famille végète devant la télé ou au lit (nouvelle au retournement de situation le plus poignant), un homosexuel largué juste avant le confinement et qui se met à faire du pain et s’en servira pour se venger (hilarant et touchant à la fois) ou encore un apéro zoom entre amis où l’héroïne va littéralement péter un plomb pour le plus grand bonheur du lecteur. Oui, toutes ces situations vous disent quelque chose, vous parlent, elles représentent la somme des phénomènes sociétaux et comportementaux qu’on a pu découvrir et malheureusement pour certaines, mettre en lumière à la faveur du confinement.
On est finalement constamment sur la corde raide avec ces différentes histoires qui parlent de rupture, de bouleversement intérieur qui remet en cause les choses établies. Qu'elles soient personnelles et intimes, professionnelles ou sociales, ces interrogations nous touchent car c’est une belle métaphore de la vie, des existences qui peuvent être déviées de leur trajectoire et qui se sont retrouvées bouleversées par le phénomène COVID. On éprouve nombre de sentiments, d’émotions diverses avec cette lecture, on rit à l’occasion mais c’est la tonalité grave voire mélancolique qui l’emporte avec des situations qui ébranlent et font réfléchir à la fois. L’amour et ce que l’on peut supporter en son nom, la vieillesse et l’oubli, l’aliénation de sa personnalité, les peurs qui nous habitent ou encore notre place dans la société sont questionnés à tour de rôle ou se mêlent les uns les autres dans des histoires toujours très bien construites où protagonistes et situations sont remarquablement caractérisés dans une langue accessible et nuancée.
"Le Bruit du rêve contre la vitre" d'Axel Sénéquier est un pur bonheur de lecture qui ravira les amateurs de nouvelles contemporaines, de récits qui prennent aux tripes, nous émeuvent et à la fois nous font réfléchir.
"Si j'avais un petit rêve" de Nina Laden et Melissa Castrillon
En cette période où on a besoin de douceur, je vous propose un album jeunesse tout à fait à propos. "Si j'avais un petit rêve" de Nina Laden et Melissa Castrillon est un bonheur de poésie et de tendresse. Je m'en vais vous montrer ça plus en détails...
L'histoire : Si j'avais une petite maison, je l'appellerais Amour. Entourée d'Amour, je vivrais heureuse pour toujours.
La critique Nelfesque : Que la vie est belle quand on la regarde dans les yeux ! Comme chaque instant passé sur terre peut être rempli de joie lorsqu'on sait apprécier les choses simples ! Voici ce que nous propose cet album accessible à partir de 3 ans : découvrir les petits plaisirs quotidiens, savoir les remarquer et les chérir.
Nous suivons ici une petite fille dans son quotidien, nommant ce qui l'entoure et ce que cela représente pour elle. Un regard à hauteur d'enfant, une poésie qui va droit au cœur. "Si j'avais un petit vélo, je l'appellerais Ailes. Ces Ailes me conduiraient partout, toute joyeuse sur ma petite selle." dit-elle, nous ouvrant les yeux sur les plaisirs simples de la vie. Sans calcul, sans arrière-pensée, juste vivre l'instant présent et apprécier ce qui nous est donné, ici et maintenant.
Les textes de Nina Laden sont simples et justes, touchant droit au cœur l'adulte qui lira cet ouvrage avec un petit, lui rappelant ce qu'est vraiment la vie et le ramenant aux seules valeurs qui comptent. Quant à l'enfant, il apprendra ici à savourer ce qui ne s'achète pas, ce que l'on peut tous avoir si on ouvre son cœur, le guidant sur le chemin d'une vie tout en authenticité.
Avec trois fois rien, on accomplit de grandes choses. On découvre le monde, on prend soin de soi et des autres, on devient un grand enfant bienveillant. Dans un monde qui court à sa perte en mettant en avant l'argent, l'exploitation et la cupidité, il me semble essentiel de montrer une autre voie à nos enfants pour espérer que les mentalités changent et que la vie soit plus douce pour tous. "Si j'avais un petit rêve" est un excellent support pour cela et une très belle référence.
Les illustrations de Melissa Castrillon s'accordent à merveille avec le propos de l'ouvrage, rajoutant de la poésie à la poésie. Alliant teintes chaudes et tons froids tout en harmonie, je trouve ici encore avec ces choix de couleurs une métaphore intéressante de la vie. Il est beaucoup question de nature et on ne peut que s'émerveiller des détails aux dimensions oniriques présents sur chaque page. Comme ces illustrations donnent envie de vivre dans le monde de cette petite fille...
Cet album célèbre les merveilles, la joie, l'amour et la beauté, qui font partie de chaque jour. "Si j'avais un petit livre, je l'appellerais Ami. Cet Ami me suivrait partout où je vais, et notre histoire ne serait jamais finie." Je crois que tout est dit... La dernière page que je ne dévoilerai pas ici a aussi fait craquer la maman que je suis. "Si j'avais un petit rêve" est une très belle découverte que je vous encourage à faire vous-même. Un petite piqûre de rappel pour les coups de moins bien si vous êtes grands, une tendre plongée dans la vie si vous le destinez à un petit !
"La Maison du commandant" de Valerio Varesi
L’histoire : Dans le paysage d'eau et de brume de la Bassa, la basse plaine du Pô, le commissaire Soneri est à l'aise. Avec les anciens du coin, il est le seul à bien connaître cette partie du fleuve, à savoir se déplacer entre les rives, les plaines inondables, les fermes éparpillées dans une terre qui semble désormais habitée par des fantômes. Alors quand deux cadavres surgissent soudainement, c'est lui qui est chargé de l'affaire. La première victime est un jeune Hongrois, trouvé dans la boue de la rivière tué d'une balle dans la tête ; le second, un ancien commandant partisan, mort peut-être de vieillesse et de solitude dans sa maison isolée au milieu des peupliers. Deux histoires différentes, mais liées par un fil. Il faudra un certain temps à Soneri pour le retrouver, au cours d'une enquête qui le conduit dans les eaux troubles du nouveau terrorisme rouge, mais aussi dans le passé, au moment de l'occupation allemande...
Il croisera au cours de ses pérégrinations, et pour notre plus grand plaisir, quelques personnages inoubliables des bords du fleuve, dont Carega, un professeur à la retraite à la sagesse de philosophe.
La critique de Mr K : Très belle incartade dans le roman policier aujourd’hui au Capharnaüm éclairé avec La Maison du commandant de Valerio Varesi paru aux éditions Agullo il y a peu. Il s’agit de ma deuxième incursion dans les enquêtes du commissaire Soneri après le déjà très réussi Or, encens et poussière et il est clair que le présent volume a achevé de me convaincre qu’on a affaire à un grand écrivain du genre et à un personnage principal au charisme équivalent à l’inspecteur Rebus de Rankin, mon chouchou dans la catégorie flic désabusé super doué. Il y a en plus dans ce titre une dimension engagée, politiquement incorrecte marquée à gauche qui m’a diablement séduit.
Mais revenons à cette enquête du commissaire Soneri qui se déroule dans la Bassa, bande de terre longeant le Pô dans le nord de l’Italie constamment embrumée au cours de l’ouvrage et au charme insondable. Sujet aux caprices du fleuve, à la désertification car les gens n’y restent pas à part certains qui s’y font oublier, le rythme de vie y est lent et s’y côtoient des locaux aux traditions bien ancrées, des immigrés pêcheurs clandestins qui attisent le ressentiment et parfois un flic en goguette suite à la découverte d’un cadavre d’un hongrois sans papiers. Très vite, l’inspecteur Soneri trouve aussi le cadavre d’un vieux partisan (combattant antifasciste durant la Seconde Guerre mondiale) retrouvé quasiment momifié. Entre ses passages obligés dans de hauts lieux gastronomiques locaux, des rencards mi-tendus mi-érotiques avec son amante Angela, une enquête qui s’embourbe et des heurts avec le questeur qui supervise l’enquête, Soneri râle, doute et se plonge parfois dans des abîmes de perplexité. Tout ou presque se résoudra à l’allure d’un brouillard qui finit par se lever sur la Bassa livrant des secrets enfouis depuis bien longtemps...
La dimension policière ne tient qu’à un fil dans ce roman qui fait la part belle à un personnage principal torturé à bien des propos. Obnubilé par sa relation avec Angela, le commissaire Soneri n’a qu’une crainte : la perdre. Cette magistrate au charme certain lui fait l’effet parfois d’un chat qui joue avec une souris. Il faut dire qu’il est bien accro le Soneri et qu’il ne sait pas lui résister. Cela donne de savoureux passages entre les deux amants avec des dialogues hauts en couleurs et lourds de sous-entendus. Il y a de l’amour, de l’attirance mais aussi de la méfiance dans cette relation riche et complexe que l’on se plaît à suivre depuis le volume précédent dont je parlais un peu plus haut. Il se pose aussi beaucoup de questions à propos de son métier qu’il exerce avant tout pour venir en aide au public mais dont la fonction réelle (relai du pouvoir en place et mise en exécution des lois) va lui revenir en pleine face quand il sera confronté à des suspects appartenant à la mouvance de l’ultra-gauche. Le doute déjà présent dans son esprit va se développer et l’amener à se faire violence et à devoir se confronter à ses propres contradiction. On explore ce phénomène antinomique avec grand plaisir, Valerio Varesi excellant dans la mise à nue des motivations conscientes et inconscientes de ses protagonistes. Et puis, il y a les pauses dégustations qui donnent l’eau à la bouche (oui je suis gourmand) et les discussions à bâtons rompus avec les amis qui donnent une profondeur incroyable et touchante au personnage de Soneri, un être qui par bien des aspects me ressemble et forcément force mon empathie.
L’enquête est présente cependant je vous rassure et va se révéler compliquée une fois de plus. Les deux morts semblent ne pas avoir de lien direct mais au fil de ses investigations et des indices qu’il va découvrir ou que l’on va lui fournir notamment son fidèle affilié, l’inspecteur Juvara qu’il envoie régulièrement bouler au téléphone, Soneri étant rétif et souvent plongé dans ses pensées ou tout autre chose. Peu à peu, les brumes se lèvent, il est notamment question d’un trésor de guerre caché quelque part et qui attise les convoitises, une série de cambriolages de DAB, des groupuscules anticapitalistes qui s’agitent et des immigrés qui se déplacent le long du fleuve. Des liens ténus se forment, des fausses pistes sont empruntées et des révélations bien senties servies par des personnages étranges (le vieux professeur handicapé qui ne sort que la nuit obtient la palme à mes yeux !) vont mener Soneri vers des rivages inexplorés avec notamment l’émergence de vérités qui font mal et de retour à la réalité brute (celle de notre époque où le néo-libéralisme sauvage est bien trop sûr de lui malgré les gros avertissements que sont le réchauffement climatique, la crise de la COVID19 et les drames sociaux qui couvent). La révolte gronde dans ce microcosme, cette campagne mystérieuse où l’on peut se perdre facilement et qui est finalement une belle métaphore de notre époque.
La Maison du commandant se lit tout seul grâce à la merveilleuse écriture d’un auteur au phrasé poétique lors de l’évocation de la nature, efficace et sec dans des dialogues qui alternent moments de tension intense et humour qui frappe juste. On prend un plaisir incroyable durant toute cette lecture qui divertit, interroge et fascine à la fois dans ses aspects plus philosophiques au détour d’une enquête qui va plus loin que le simple meurtre d’un tiers. Un roman policier au charme puissant et envoûtant que je vous invite à découvrir au plus vite.
"Marconi en personne" de Gilles Moraton
L’histoire : Dans la merveilleuse nation, on danse la valse dans une salle clandestine, on cache ses livres sous le plancher, et on rampe sur le faux plafond d’un appartement pour épier un chanteur d’opéra.
Béla, le narrateur de ce roman à plusieurs temps, noue une relation avec Roxane, qui valse. Lorsqu'elle est arrêtée, ils savent qu’elle ne ressortira pas de prison, sinon morte. Mais pour quelle raison est-elle emprisonnée ? Parce qu’elle valse ou parce qu'elle vit dans un appartement duquel il est possible d'observer Marconi ? Avec humour, exploitant un style indirect très libre, l’auteur fait glisser nos repères comme ceux de Béla : dans la ville nouvelle, Marconi est-il un homme libre ou un leurre, placé là par le pouvoir pour maintenir vivant l’espoir d’un autre monde possible – et annihiler toute tentation de révolte ?
La critique de Mr K : C’est un excellent ouvrage que je vous présente aujourd’hui, le genre de lecture qui dérange et marque à la fois avec une réflexion puissante mais aussi glaçante sur le genre humain. Dans Marconi en personne de Gilles Moraton sorti en avril aux éditions Piranha, nous sommes dans une société pas si éloignée de la nôtre où la démocratie a cédé la place à une dictature dans l’indifférence générale. À l’heure où la loi sur la sécurité globale est passée à l’Assemblée Nationale, où les politiques et grands lobbies marchent main dans la main au grand jour et où la population est doucement entretenue dans l’apathie par les médias et les écrans, on se dit que les univers SF à la Orwell sont devenus réalité. Ce roman s’en fait l’écho avec brio et nuance, tout un programme, non ?
Le narrateur Bela au commencement nous relate l’arrestation de Roxane son amante. Arrêtée à son domicile pour avoir dansé la valse en cachette (cette danse est désormais interdite), la voila en prison et elle ne reviendra pas car c’est un lieu dont on ne sort pas et d’où on entend plus parler de vous. Au départ, on le sent quasiment indifférent au sort de sa compagne (une femme pleine de vie aux excès nombreux mais tellement "humaine"), il affiche un détachement troublant qui met mal à l’aise comme d’ailleurs les morceaux épars de background que l’auteur sème au fil des courts chapitres. Mais très vite, le masque tombe, les apparences cèdent la place aux sentiments réels , à cette histoire d’amour qui compte pour lui et une obsession qui se fait jour : que devient Roxane ?
En parallèle, il est question d’un certain Marconi qui vit seul dans son appartement et auquel tout le monde s’intéresse, une sorte de modèle de vie, de perfection issue de la société utopique que représente la Merveilleuse Nation. Le narrateur et sa compagne s’y intéressent beaucoup, voudraient savoir qui se cache derrière l’image de cet homme taciturne, adepte d’opéra passant de longues heures assis dans son fauteuil. La femme qui lui apporte ses courses tous les jours est intrigante elle aussi et c’est d’ailleurs par elle qu’il y a possibilité de se rapprocher de ce "mythe" Marconi. C’est le début d‘une enquête (en flaskback donc) qui s’intercale avec le présent où Roxane a été interpelé. On passe d’une époque à l’autre et se construit une trame plus générale avec une multitude de réflexions du narrateur sur le monde dans lequel il vit. Impossible de se détacher et de ne pas faire l’analogie avec notre propre monde contemporain qui part à vau l’eau...
Mélangeant avec habilité une relation très sensuelle et un monde froid, on est très vite happé par un contexte saisissant. Dans cette société uniformisée basée sur l’ordre, certains livres ont été mis à l’index, des pratiques sont interdites (focus sur la valse dans ce récit) et la répression est féroce. Le héros en sait quelque chose lui qui a été sévèrement interrogé dans la foulée de l’arrestation de Roxane. Des catégories de populations ont été supprimées, recyclées en fait dans d’autres métiers, il n’y a plus ni historiens, ni philosophes, ni psychologues... Ben oui, à quoi ça sert sinon embrouiller les esprits et révéler des vérités pas forcément bonnes à dire. On doit être productif ! Jamais frontalement mais par petites touches disséminées ici ou là, l’auteur plante un décor terrible, une vision d’un futur proche possible, réaliste et désespérant. Cet ouvrage est loin d'être un roman feel good et tant mieux !
À travers la quête de Bela, de Roxanne et des autres personnages (tous très bien croqués et caractérisés), Gilles Moraton nous interroge sur des notions comme la légitimité et la légalité, nous livre des clefs sur le fonctionnement et le déroulé d’une bonne manipulation de masse (plus c’est gros plus ça passe disait Goebbels) et au final propose une lecture prospective d’une singularité qui peut parfois désarçonner dans le croisement des trames qui se fait d’un paragraphe à l’autre sans prévenir. Ça surprend au départ mais une fois qu’on a pris le pli, la lecture devient jubilatoire et on lit Marconi en personne avec un plaisir incroyable même si son propos est sombre. Une très bonne lecture donc, à recommander à tous les amateurs de récits profonds d’anticipation, celui-ci sort du lot et vous ravira sans aucun doute.
"Le petit illustré de l'intimité" de Mathilde Baudy et Tiphaine Dieumegard
Voici un ouvrage particulier aujourd'hui dans La Bibliothèque de Little K puisque nous ne sommes pas dans un album jeunesse pur et que ma fille, du haut de ses 15 mois, est loin de pouvoir le feuilleter. Pour autant, lorsque j'ai vu la campagne de financement participatif débarquer sur Ulule, je n'ai pas pu m'empêcher de précommander un exemplaire dès les premières heures tant ce genre d'ouvrages est essentiel et doit se retrouver dans toutes les bibliothèques familiales.
Le contenu : Les petits illustrés de d'intimité sont les tout premiers livres engagés, inclusifs et sans tabous pour parler aux enfants de leurs anatomies et de leurs intimités. A mettre dans les mains de tous les enfants curieux dès qu'ils en ressentent le besoin.
La critique Nelfesque : Difficile de trouver en librairie un ouvrage dédié à l'anatomie intime du sexe féminin qui soit à la fois réaliste, exhaustif, accessible jeunesse et bienveillant. En effet, il n'est pas rare que le sexe des petites filles ne leur soit présenté que constitué d'un petit trou, sans plus de détails, et affublé de petits noms tels que "nénette, foufoune, zézette...". Reste ensuite à chaque enfant de découvrir son anatomie lors de cours d'éducation sexuelle donnés bien plus tard, au milieu de ricanements et blagues graveleuses, en laissant les jeunes filles seules avec leurs questions. Certains parents ne sachant pas par quel bout prendre la chose et pouvant être gênés à l'évocation du sujet, cela donne des gamines qui se construisent avec ce qu'elles peuvent et ne se connaissent pas. Il n'est d'ailleurs pas rare de croiser également des jeunes femmes totalement ignorantes de leur anatomie encore bien plus tard lors de cours de préparation à l'accouchement par exemple (une constatation assez effrayante que j'ai pu faire il y a quelques mois à peine). Pourquoi les femmes ne se posent-elles pas plus de questions sur leur intimité ? Peut-être parce qu'elles ont été élevées par des mères elles-même ignorantes, peut-être parce que les époques sont différentes, peut-être parce que l'intimité féminine est bien le cadet des soucis du monde patriarcal dans lequel nous vivons...
Pour toutes ces raisons et pour éviter que ma fille ne cherche un jour du côté de la pornographie ce qu'elle n'oserait peut-être pas évoquer avec un adulte, j'ai sauté sur l'occasion du crowdfunding en début d'année afin d'acquérir ce "Petit illustré de l'intimité, de la vulve, du vagin, de l'utérus, du clitoris, des règles, etc". Tout un programme ! Enfin un ouvrage qui évoquera de façon large des sujets majeurs et importants dans la vie d'une femme ! C'est avec joie que j'ai constaté très rapidement que cette campagne prenait de l'ampleur et que ce projet grandissait à vu d’œil. Preuve si il en faut que je n'étais pas la seule à avoir cette attente !
Mathilde Baudy est prof d'Arts appliqués et illustre ici avec beaucoup de talent et de délicatesse cet album extrêmement bien pensé et documenté. Tiphaine Dieumegard quant à elle est sage-femme et le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle sait de quoi elle parle. Pour l'élaboration de ce livre et en relecture, elles ont également fait appel à d'autres spécialistes tels que des infirmières, des psychologues, des médecins, afin d'avoir des avis exhaustifs et objectifs et apporter les modifications nécessaires à leur ouvrage avant impression. Nous avons aujourd'hui entre les mains un objet extrêmement bien abouti, une véritable mine d'informations loin d'être rébarbative et écrasante. Facile à lire et très agréable, je ne doute pas que les plus jeunes prendront beaucoup de plaisir à découvrir tout cela avec curiosité. C'est LE livre que j'aurais aimé avoir entre les mains lorsque j'étais jeune et que je me posais des questions, que j'aurais voulu être rassurée et que je n'osais pas aborder le sujet. Cela m'émeut de savoir que ma fille, elle, pourra s'y plonger et que l'on en discutera ensemble le moment venu. Le savoir, c'est le pouvoir et éduquer une fille c'est aussi lui apprendre que son sexe ne vaut pas moins qu'un autre, qu'il est plus complexe et incroyable que ce que l'on voudrait parfois nous faire croire et que le combat féministe n'est jamais terminé.
S'adressant aux enfants à partir de 5/6 ans, autant aux filles qu'aux garçons parce qu'il est important que l'éducation sexuelle se fasse de façon globale afin que chacun se connaisse et apprenne à connaître l'autre dans le respect, ce petit illustré est également inclusif. Tout le monde s'y retrouve qu'elle que soit sa couleur de peau, sa morphologie, ses particularités physiques. Il y est question d'anatomie bien entendu mais également de consentement, de puberté, de sexualité, de genre, de conception... Cet ouvrage permet de balayer largement le sujet et donner des notions importantes et fondatrices aux jeunes filles et aux jeunes garçons qui liront ce livre. Chacun pourra ainsi se l'approprier, le lire tranquillement seul ou avec un adulte avec qui il pourra approfondir certains sujets et poser ses questions. "Le petit illustré de l'intimité" ouvre le dialogue et c'est vraiment très important.
Agrémenté d'un lexique en fin d'ouvrage pour bien définir les termes employés qui forcément peuvent paraître compliqués de prime abord pour les jeunes lecteurs et d'une page contact listant des associations ressources (planning familial, associations d'aide aux femmes et aux enfants, associations LGBTQI+, etc.) avec numéros verts et sites internet qui vont bien, cet ouvrage est très complet et rassurant. Vous avez une question ? Vous trouverez ici la réponse ou le chemin qui vous y mènera.
En seulement 12 jours de campagne, le but était atteint et aujourd'hui on peut retrouver l'ouvrage en librairie mais également dans des écoles, des associations, des salles d'attente de médecins... Et le tome 2, "Le petit illustré de l'intimité du pénis, des testicules, du scrotum, du prépuce, des érections, etc." va bientôt voir sa campagne de financement participatif lancée elle aussi. Inutile de vous dire que je suis déjà sur les starting blocks ! Que ce genre d'initiative fait du bien ! Bravo et merci !
"Tous les noms qu'ils donnaient à Dieu" d'Anjali Sachdeva
L’histoire : Mêlant passé, présent et avenir, Anjali Sachdeva signe un premier recueil magnétique et délicieusement inventif qui plonge le lecteur entre effroi et émerveillement. S’y côtoient une femme, au temps de la conquête de l’Ouest, qui attend son mari dans une maison perdue au milieu des Grandes Plaines et finit par trouver refuge dans une grotte secrète ; deux jeunes Nigérianes kidnappées par Boko Haram se découvrant le mystérieux pouvoir d’hypnotiser les hommes ; ou encore un pêcheur embarqué sur un morutier qui tombe éperdument amoureux d’une sirène dont chaque apparition engendre une pêche miraculeuse...
La critique de Mr K : Chronique d’un recueil de nouvelles aujourd’hui avec Tous les noms qu’ils donnaient à Dieu d’Anjali Sachdova paru dans la belle collection Terres d’Amérique de chez Albin Michel. Neuf récits composent ce volume où l’on traverse les époques et les genres avec une certaine jubilation et un plaisir renouvelé de lecture entre surprise et style séduisant en diable.
Au menu, de la littérature contemporaine mêlée de fantastique et de science-fiction sur certains textes. Ces différences de ton et de genre sont mises au service de destinées humaines décrites avec force subtilité et une profondeur symbolique parfois assez sidérante menant à des réflexions très intéressantes sur notre condition d’humain et les affres de nos existences trop souvent étriquées ou malmenées par le hasard. Très variées dans leur contenu donc, on passe vraiment par des univers et des ambiances bien différentes mais le constat est chaque fois le même, Anjali Sachdeva est une conteuse hors pair qui manie la plume avec maestria, jouant sur les non-dits et le mystère, la poésie et le style brut (voire drôlatique dans la seule nouvelle SF du roman).
Une femme seule qui commence à entendre des voix dans une mystérieuse grotte, l’histoire d’un homme devenu handicapé dont la fille va réussir dans la vie malgré les obstacles, un homme récemment célibataire qui tombe sur une folle furieuse amatrice de randonnée, un écrivain sur lequel se penche un ange pour l’aider à écrire, le destin terrible de deux jeunes nigérianes enlevées par Boko Haram et qui vont pouvoir prendre leur revanche (et quelle revanche !), la rencontre entre un pêcheur et une sirène avec son lot de séduction et d’attraction fatale, l’histoire d’amour juvénile d’une jeune fille prisonnière de son entourage et qui va découvrir la réalité de la vie en s’enfuyant avec son amant, la domination extra-terrestre qui impose aux êtres humains de perdre leurs mains au profit de prothèses métalliques ou encore l’histoire de sept sœurs créées de toute pièce par leurs scientifiques de parents et qui vont s’éteindre les unes après les autres sont autant de destins brisés ou brusqués par une auteure qui se plaît à interroger les rapports humains dans la famille, les rapports amoureux et le rapport à autrui tout simplement. L’acceptation, la soumission se disputent avec la passion, la révolte mais aussi la quête d’un bonheur bien trop souvent inaccessible de par des forces qui nous dépassent et / ou des barrières morales.
L’ensemble est remarquable car en environ 30 pages pour chacune d’entre elles, ces nouvelles donnent à voir des personnages très complexes, nuancés à l’extrême, loin des archétypes qui peuplent parfois les pages de textes peu inspirés. Ici c’est tout le contraire avec des êtres en pleine évolution, souvent décrits à un moment charnière de leur existence, suivant une pente savonneuse et se confrontant à des choix cornéliens et des prises de conscience douloureuses. On explore au scalpel leurs pensées, réactions et motivations intimes dans des sentiments mêlés, contradictoires parfois tant l’auteure souffle le chaud et le froid sur un lecteur captif volontaire de ces histoires qui oscillent entre incongruité / étrangeté et dimension universelle par des questionnements auxquels on est forcément confronté au moins une fois dans sa vie.
Si on est amateur de nouvelles américaines, on ne peut décemment pas passer à coté de ce volume lumineux à sa manière, le premier ouvrage d’une auteure très talentueuse qui a un don certain pour emballer son lecteur et lui offrir un souffle frais au niveau linguistique sans jamais sacrifier à la trame, à la narration et au plaisir de lire. À découvrir et déguster sans modération.
"Je ne suis pas encore morte" de Lacy M. Johnson
L’histoire : Un cri de douleur. De révolte et de rage. Un uppercut. Comment décrire l'inconcevable ? Kidnappée, violée et menacée de mort, Lacy M. Johnson nous raconte comment elle a échappé à son bourreau. Qui n'est autre que son ex-compagnon, un homme violent et manipulateur, dont l'emprise, comme un étau, s'est peu à peu refermée sur sa vie.
La critique de Mr K : C’est une lecture à la fois éprouvante et magistrale que je vais vous présenter aujourd’hui avec Je ne suis pas encore morte de Lacy M. Johnson. Ce récit témoignage prend à la gorge par son sujet et sa forme mais pas seulement... C’est aussi un remarquable travail sur soi qui est présenté, une exploration sans fard sur le traumatisme qui dure des années après une expérience terrible qui va changer à jamais l’auteure. C’est bouleversant, révoltant parfois mais aussi très éclairant sur notre nature et le fonctionnement de notre psyché.
Lacy M. Johnson a vécu l’horreur. Son ancien compagnon, un chargé de cours d’espagnol sous l’ascendant duquel elle est restée prisonnière durant un petit bout de temps n’a jamais accepté leur rupture. Profitant d’une occasion, il kidnappe la jeune femme, la séquestre dans un appartement vide dans une pièce insonorisée, la viole et la menace de mort. Elle réussit à s’enfuir et l’homme quitte le territoire américain avant d’avoir pu être arrêté et se réfugie au Vénézuela grâce à sa double nationalité. Ces faits ne représentent même pas un vingtième du livre, l’auteure revient surtout sur sa relation avec cet homme, mais aussi sur sa jeunesse, ses parents, ses conneries d’adolescentes mais aussi sur la période d’après, l’immédiat lendemain, les semaines, mois et années qui suivent avec une psyché brisée qui a des répercussions sur sa vie quotidienne et qui fausse son jugement et sa vie sociale.
Il n’y a pas d’organisation chronologique des faits et réflexions livrées au lecteur. Tout se croise, se chevauche, se complète. La construction est un modèle du genre. D’apparence chaotique, par bribes et évocations variées, l’auteure se livre à nue, sans limite ni tabou avec une finesse, une justesse et une pudeur surprenante. Des passages sont horribles dans ce qu’ils relatent des faits subis mais finalement je retiendrai surtout les effets délétères sur l’esprit de l’auteure, femme sous emprise qui n’arrive pas à se détacher du trauma originel. Son rapport aux hommes, son déficit de confiance en elle, ses réactions parfois démesurées face à certains stimulis (les passages avec ses enfants aux deux-tiers de l'ouvrage sont très révélateurs de son mal-être et effrayants dans leur genre) sont autant de blessures à vifs qu’elle n’arrive pas à colmater, à maîtriser et finalement à guérir. Malgré de nombreuses heures de thérapie, le mal est toujours là et joue bien des tours à une femme au tempérament haut en couleur pourtant.
La jeune fille fêtarde, fort en gueule, rebelle issue d’une famille plutôt plan plan et croyante, la fan de littérature et surtout d’écriture (elle est désormais prof en écriture dans une fac américaine), pleine de vie est aussi décrite à travers des pages drôles et rafraîchissantes. Qu’est-ce qu’on est inconséquent quand on n’a pas 20 ans mais on vit sa vie, on brûle la chandelle par les deux bouts et dans une certaine insouciance. Quand elle rencontre son futur tortionnaire, elle tombe sous son charme et va vivre une relation intense avec lui, très charnelle, exclusive et enrichissante à sa manière (notamment beaucoup de voyages). Mais voila, cette homme (qui ne sera jamais nommé, la procédure est toujours en cours ) se révèle être un pervers narcissique de la pire espèce, qui l’avilit et se révèle toxique. La relation vire au cauchemar et malgré une tentative pour s’en séparer, elle se fera rattraper.
Ce récit intime est un véritable tour de force en soi, récit coup de poing, récit d’une introspection douloureuse, récit d’une reconstruction nécessaire mais semée d’embûches et sans doute pas encore aboutie. On prend claque sur claque dans un style direct, sans concession mais avec beaucoup de lucidité, d’acuité et de poésie à l’occasion de certains passages qui touchent en plein cœur et remuent les tripes. Je ne suis pas encore morte se lit vraiment d’une traite, hypnotisé par une personnalité, une plume hors du commun au service d’une cause qui devrait nous habiter toutes et tous : la cause des femmes. Brillant et vibrant, voila un livre que je n’oublierai pas de sitôt et que je vous invite à découvrir au plus vite.
"Les Démons de l'asphalte" d'Olivier Quevenne et Yann Cozic
L’histoire : Nous sommes les derniers chasseurs de monstres. Et la bête est proche.
La critique de Mr K : Petit plaisir coupable aujourd’hui avec cette bande dessinée dégotée à prix modique par ma très chère Nelfe dans un magasin discount du secteur. Les Démons de l’asphalte d’Olivier Quevenne et Yann Cozic est un très bon compromis entre fantastique et action avec un ouvrage divisé en deux parties qui propose un basculement bien malin. À défaut d’être original dans sa thématique et dans sa résolution, voila un ouvrage bien sympathique à lire et dont la charte graphique m’a beaucoup plu.
Sur la route, une famille évangéliste, un couple et leurs deux enfants en camping-car, se fait attaquer sans raison par un groupe de motards. À la nuit tombée, la famille arrive en sécurité dans leur maison reculée dans la forêt. Mais que peut bien vouloir cette horde à ces gens à priori naïfs qui ne feraient pas de mal à une mouche ? Mais les apparences sont trompeuses et il se pourrait bien que derrière elles se cachent des vérités innommables...
Les débuts sont plutôt lents. Les auteurs prennent le temps de poser les protagonistes, à commencer par la famille évangéliste qui va de ville en ville et de porte en porte pour capter les âmes égarées. Tout cela respire la joie de vivre, le Seigneur est avec eux finalement, et l’on enchaîne les cantiques, les repas de famille et leur vie ressemble à un grand road movie peaceful. On se laisse prendre par l’ambiance, par l’identité pépère et paisible qu’ils dégagent.
Une fois poursuivis, la tension monte d’un cran. Quand ils se réfugient dans leur maison isolée de tout, le siège commence et c’est un déchaînement de violence. Les motards en ont vraiment après eux et l’on se retrouve face à un home-invasion des plus classiques jusqu'à ce qu'une clef du scénario ne soit livrée et bouscule l’ordre établi. Nous ne portons plus le même regard sur les proies et les chasseurs. La nature des personnages révélée et les enjeux clairement exposés, l’ouvrage prend une autre dimension et s’oriente vers une fin bien sentie comme je les aime.
Comme dit plus haut, à part le changement médian, le reste est plutôt classique. Que ce soit dans la caractérisation des personnages, leurs réactions et leurs attitudes, on est dans du brut de décoffrage et dans du déjà lu et vu quand comme moi vous êtes amateurs du genre. Mais c’est rudement bien fait, on ne s’ennuie pas une seconde, ça pétarade dans tous les sens au bout d’un moment et franchement les pages se tournent toutes seules. Une once d’originalité aurait fait basculer l’ouvrage dans le très très recommandable.
Car au niveau des dessins, j’ai adoré ce parti pris de couleurs plutôt vives, toutes en nuance. Ces cases qui mettent en image remarquablement l’action, les personnages sont croqués dans un style original (qui lorgne à l’occasion vers Mathieu Bablet), donnent un plaisir de lire optimal et vraiment le temps passe vite. C’est d’ailleurs avec un sentiment de trop grande brièveté que l’on termine sa lecture même si comme moi on préfère les one shot aux longues séries qui n’en finissent pas et ne sont là que pour encaisser la monnaie.
Les Démons de l'asphalte est donc un ouvrage très sympathique que je vous invite à découvrir si vous voulez passer un bon moment en compagnie d'une œuvre bien menée et joliment illustrée.