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Le Capharnaüm Éclairé
21 mars 2021

"Devenir quelqu'un" de Willy Vlautin

L’histoire : A vingt et un ans, Horace Hopper ne connaît du monde et de la vie que le ranch du Nevada où il travaille pour les Reese, un couple âgé devenu une famille de substitution pour lui. Abandonné très tôt par ses parents, il se sent écartelé entre ses origines indiennes et blanches.


Secrètement passionné de boxe, Horace se rêve en champion, sous le nom d'Hector Hidalgo, puisque tout le monde le prend pour un Mexicain...


Du jour au lendemain, il largue les amarres et prend la direction du sud, vers sa terre promise.


Saura-t-il faire face à la solitude du ring et au cynisme de ceux qu'il croisera en chemin ? Peut-on à ce point croire en sa bonne étoile, au risque de tout perdre ?

 

La critique de Mr K : Attention petit chef d’œuvre ! Mais pouvait-il en être autrement avec un livre de Willy Vlautin, un auteur que j’ai appris à apprécier avec Ballade pour Leroy et La Route sauvage, deux romans poignants et écrits simplement, dans un style se rapprochant de John Steinbeck, monstre sacré de la littérature US. Dans Devenir quelqu’un, on suit le destin d’Horace, un jeune homme que la vie n’a pas épargné à ses débuts et qui va poursuivre son rêve de devenir boxeur malgré les embûches qui vont se présenter à lui. L’ouvrage se lit d’une traite tant on est séduit par la langue et les personnages dans un roman qui dégage une puissance émotionnelle une fois de plus réjouissante et tétanisante.

 

Horace vit dans le ranch des Reese, un vieux couple qui l’a recueilli jeune alors que ses parents ne voulaient plus de lui. Il y mène une vie paisible, entouré d’affection et menant à bien les différentes tâches qui lui sont dévolues : surveiller les troupeaux, ravitailler les bergers, réparer les édifices de la ferme ou encore bricoler avec le patron. Il est un peu le fils que les Reese n’ont jamais eu (leurs deux filles sont parties faire leur vie chacune de leur côté) et il leur apporte une aide précieuse qui s’est transformée au fil du temps en véritable amour filial. Au fond de lui cependant cette vie ne le comble pas, le jeune homme nourrit l’ambition de devenir boxeur pro. Après quelques chapitres plantant le décor et caractérisant ses rapports avec ses bienfaiteurs, le voila parti pour tenter de toucher du doigt son rêve.

 

Il s’installe alors chez une tante qui ne le considère pas vraiment, il trouve un travail d’appoint pour subvenir à ses besoins (chez un garagiste spécialisé dans le pneu, pose et dépose) et il s’entraîne. Petit à petit, il va trouver un entraîneur et participer à quelques combats. Il ne perd pas, il encaisse les coups sans moufter et fait preuve d’une force de résistance incroyable. Doté d’une frappe puissante, il s’en tire toujours même si on se rend compte que la bonne série ne durera pas, il n’y a pas de génie chez lui et la chance peut tourner à n’importe quel moment... En parallèle, le lecteur suit le quotidien des Reese avec les changements qui s’opèrent dans le ranch et les liens qu’ils essaient de garder avec Horace.

 

Comme à chaque fois avec Willy Vlautin, on est touché en pleine cœur par les personnages. Il a ce talent assez unique de nous les rendre éminemment sympathiques et fait fonctionner à plein régime la machine empathique. Horace et ses soucis d’identité (c’est un métisse qui a déjà subi la discrimination), sa quête de bonheur, de reconnaissance aussi sont bouleversants d’humanité. Sa vie semble toujours sur le fil du rasoir, il est à la fois fort de ses certitudes et fragile de naïveté. On aime suivre son quotidien morose, difficile ou parfois un éclat de gloire vient se glisser subrepticement. Dur chemin que celui qu’il entreprend, sur lequel semble planer un fatum inéluctable dont on ne sait pas à quel moment il va frapper. Un véritable drame se joue sous nos yeux, au-delà du simple récit de boxe, il s’agit d’un être humain perdu qui livre sa bataille pour exister, pour transcender sa quotidien et essayer de se révéler à lui-même. On a les yeux bien humides par moment face à tant d’efforts, de sacrifices mais aussi parfois de déni. L’homme dans toute sa complexité est ici exposé à vif et sans concession.

 

On retrouve d’ailleurs cela à travers tous les personnage de ce roman et notamment celui du père Reese qui lui aussi se livre au fil des chapitres qui lui sont consacrés. Père de substitution aimant et attentionné, époux fidèle et précautionneux, sa vie n’est pas des plus faciles et le départ d’Horace signifie aussi de gros bouleversements pour son foyer. À travers des moments de vie égrainés sans liens logiques au départ, il nous en dit beaucoup sur la vie de couple, la vieillesse et les appréhensions qui peuvent les accompagner. C’est la sagesse des gens simples, des gens qui vivent vraiment, pas derrière des subterfuges ou les apparences qui est exposée dans ce roman. Que ce soit Horace, les Reese, les autres boxeurs ou même les bergers qui nous sont donnés à croiser, ce roman est un remarquable miroir de l’âme humaine avec son lot de victoires et de défaites et au final un constat édifiant sur notre nature profonde.

 

Vous l’avez compris Devenir quelqu'un est un petit bijou d’humanité, un récit qui prend à la gorge, un plaisir doux amer où l’on alterne espérance, moments de plénitude mais aussi de drames intimes qui nouent les tripes et font réfléchir à nos existences parfois étriquées. C’est beau, simple, vivant, d’une tendresse toute particulière pour des personnages à vocation universelle. Un grand moment de littérature américaine que je vous invite à découvrir au plus vite.

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