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Le Capharnaüm Éclairé
5 mars 2021

"Lorsque la vie déraille" de Frank Andriat

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L’histoire : Son train était prévu à 7h46 vers Bruxelles-Nord d’où il monterait dans le 8h06 vers Liège et Eupen. À 9h22, il descendrait à Verviers-Central. Elle l’attendrait sur le quai, "au pied des escaliers", avait-elle précisé. Il se sentait un peu fou, comme le soir de leur première rencontre parisienne, quand il s’était retrouvé seul, sans elle, avec pourtant la certitude qu’elle était la femme de sa vie.

Des voyages, des instantanés de vie surpris dans les trains. L’existence s’y conjugue, au fil des rencontres, à toutes les personnes du singulier et du pluriel. Des nouvelles comme des huis clos où l’être humain se retrouve face à ses fragilités, à ses drames mais aussi à sa faculté de résilience. Des nouvelles d’amour et de vie où chacun peut se reconnaître.

La critique de Mr K : Retour à la nouvelle contemporaine aujourd’hui avec le dernier né des recueils édités par Quadrature, une maison d’édition spécialisée dans le genre. Dans Lorsque la vie déraille de Frank Andriat, l’auteur nous invite à croiser l’ensemble de ses protagonistes lors d’un voyage en train à des moments qui vont se révéler cruciaux dans leur existence. En six textes, nous faisons un tour d’horizon de l’humanité dans ses travers, ses forces et ses aspirations avec un plaisir renouvelé nourri par la langue subtile et douce d’un écrivain que je découvrais avec cet ouvrage.

On débute cette lecture très fort avec Un Grand homme, une nouvelle qui prend place dans une rame du TGV où un groupe d’hommes discute ou du moins où un auteur célèbre s’écoute parler devant trois écrivains en devenir. L’homme est particulièrement désagréable, imbu de lui-même et il attire l’attention des autres passagers et notamment passagères par ses propos sexistes où il narre ses aventures érotiques sans aucune gène. La pression monte vite et une révélation finale va ébranler quelque peu le lecteur. Cette première nouvelle donne le ton, personnages fins et complexes, une tension maîtrisée et une chute qui vient à point nommé happent le lecteur et ne lui laisse aucune chance de s’échapper. Dans Crains les trains, un homme essaie à tout prix d’empêcher son écrivaine de femme de prendre le train pour aller à la rencontre d’élèves de collèges avec qui elle a travaillé à distance. Obsessionnelle, son attitude interroge, on frôle la folie et un souvenir traumatisant vient nous cueillir en toute fin de récit. Très efficace, là encore, on a affaire à un texte tendu et prenant à souhait.

La nouvelle éponyme, Lorsque la vie déraille ne m’a pour le coup pas convaincu. Cette histoire de deux personnes qui s’aiment, se séparent, se retrouvent et espèrent ensemble a manqué de souffle à mes yeux. J’ai vite décroché alors qu’il y avait tous les éléments pour que ça fonctionne. Il arrive parfois que les protagonistes nous touchent moins, ça a été le cas ici. Avec des sourires et de la paix est par contre une des meilleures histoires du recueil. On suit un groupe de jeunes qui prend le train pour aller au lycée. Ils vont croiser lors de ce voyage Nadir et cette rencontre va bousculer leurs habitudes, révéler les failles de leur amitié et la bêtise ordinaire de l’humanité. J’ai beaucoup aimé la narratrice peu sûre d’elle qui réussit finalement à s’affranchir du groupe et à affirmer son identité et ses positions. Une nouvelle qui touche en plein cœur et qui est malheureusement toujours d’actualité.

Dans La notification, un homme part rejoindre sa maîtresse au Luxembourg en partant de Bordeaux. Ce macho pépère stresse beaucoup entre retard pris par les trains, changement à effectuer à Paris et réflexions personnelles sur les deux femme de sa vie que tout oppose. La nouvelle prend le temps de poser les choses entre aléas du voyage et flashback bien sentis qui caractérisent bien les forces en présence. La fin logique vient nous cueillir avec un cynisme du plus bel effet ! On termine en beauté avec Une histoire d’amour, qui met en scène un couple de personnes âgées que lie un amour indéfectible. Ces deux-là s’aiment et cela se voit, se sent, se vit. Pour autant, une ombre plane sur eux. Ce voyage en train vers un ailleurs juste nommé cache une vérité, quelque chose d’extrêmement douloureux et qui à la fin de voyage va prendre une autre direction. Cette nouvelle est magistrale, emprunte d’humanité et de résilience à un niveau inégalé dans cet ouvrage. J’ai adoré cette mise en abîme finale qui remet en cause l’intégralité du texte. Ce récit est un bijou de construction et de style, rien que pour lui, l’ouvrage vaut le détour.

Ces six nouvelles rassemblent les mêmes qualités à mes yeux (hormis pour une qui n’a pas réussi à me capter) : des personnages intéressants dans leur banalité et leur humanité (littéralement épluchés par l’auteur de façon brève et précise), et une écriture souple et bien souvent envoûtante. Complexes parfois contradictoires, les protagonistes dans leurs pensées et leurs actes donnent à voir des instants de vie qui peuvent résonner en nous, libérer des souvenirs ou faire penser à des choses vues ou même vécues. C’est très brillamment mené par un sens de la narration très précis, maîtrisé et menant bien souvent à une pirouette finale pleine de sens et de réflexion. Les amateurs de nouvelles peuvent foncer, ils ne seront pas déçus.

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