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Le Capharnaüm Éclairé
8 février 2021

"Aucune terre n'est promise" de Lavie Tidhar

aucune terre n'est promise

L’histoire : ... aucune destinée n’est manifeste.
Berlin. Lior Tirosh, écrivain de seconde zone, embarque pour la Palestina, fuyant une existence minée d’échecs.
Il espère retrouver à Ararat City la chaleur du foyer, mais rien ne se passe comme prévu : la ville est ceinturée par un mur immense, et sa nièce, Déborah, a disparu dans les camps de réfugiés africains.
Traqué, soupçonné de meurtre, offert en pâture à un promoteur véreux, Lior est entraîné malgré lui dans les dédales d’une histoire qu’il contribue pourtant à écrire.

La critique de Mr K : Chronique d’une lecture belle et étrange à la fois aujourd’hui avec Aucune terre n’est promise de Lavie Tidhar, ouvrage tout récemment sorti en librairie et que l’on pourrait situer aux confins du thriller, de la SF et de la réflexion philosophique. Doté d’une couverture magnifique, Kevin Deneufchatel accompagne les éditions Mu depuis quelques temps et c’est à chaque fois un ravissement, l’ouvrage se lit avec une rapidité confondante tant on est happé par un récit multiforme à la portée universelle.

Tout débute avec l’arrivée de Lior Tirosh à l’aéroport d’Ararat City, capitale de Palestinia, pays situé en Afrique orientale, terre donnée aux juifs au début du XXème siècle pour qu’ils aient un refuge suite aux persécutions dont ils sont victimes depuis des siècles. Vous l’avez compris, nous sommes sur une base uchronique car même si ce projet a vraiment existé, il ne s’est jamais réalisé et ce ne sera qu’en 1948 dans notre réalité que l’État d’Israël naîtra. Lior est un écrivain de série B entre policier et SF, il souhaite donner un nouveau départ à son existence terne et revient sur la terre où il a grandi.

Mais bien évidemment, rien ne se passe comme prévu. Suivi dès son arrivée, il se retrouve très vite avec un cadavre dans sa chambre d’hôtel et le voila brièvement accusé de meurtre. Ce n’est que le début d‘une série d’événements plus bizarres les uns que les autres. Il y a beaucoup de personnes qui s’intéressent à lui ou souhaitent le supprimer. La police secrète, un magnat de l’immobilier bien dérangé et une mystérieuse jeune femme qui semble venir d’un autre monde croisent la route de notre héros dans ce roman échevelé où chaque chapitre change de point de vue, rajoutant une couche d’étrangeté et une profondeur assez bluffante à l’ensemble. Trois systèmes narratifs s’alternent, le "je", le "tu", et le "il" qui provoquent la confrontation des points de vue et des devenirs possibles.

Ce roman place au centre de son récit la question de l’identité. À travers Tirosh mais aussi les autres protagonistes, on revient sur ce qui fait l’être que nous sommes. Le vécu de l’enfance, les perceptions que l’on en a (et qui peuvent être trompeuses), notre culture aussi, la religion, les coutumes culinaires, vestimentaires, les villes et espaces que l’on a traversés, les poids accumulés d’une existence parfois décevante comme celle de Lior sont autant d’aspects que l’on aborde indirectement ici. Cette question complexe et même redoutable quand on la croise avec la destinée du peuple juif et la création d’un État refuge prend une ampleur insoupçonnée dans cet ouvrage. Car quelque soit le choix opéré selon la dimension que l’on traverse, il y a forcément au final des oppresseurs et des opprimés dès que l’on parle de spoliation, de territoire, de frontières. Loin d’être partial en la matière, Lavie Tidhar adopte un point de vue profondément humaniste et effleure à l’occasion des solutions possibles qui bien évidemment ne seront jamais mises en œuvre tant les intérêts privés vont à l’encontre du bien commun.

Il est donc question de multivers dans cet ouvrage et nous explorons leurs caractéristiques propres et leurs rapprochements. Un détail de l’Histoire change et la ligne temporelle est irrémédiablement détournée, ce qui donne de savoureux moments de redécouverte de notre Histoire mondiale, une Histoire où Hitler aurait été assassiné en 1948, où la Shoah n’a jamais eu lieu ou encore où Israël n’existe pas. Pour expliquer cet aspect SF, l’auteur s’appuie en plus sur la tradition kabbalistique juive ce qui donne une dimension supplémentaire à l’ensemble. Moi qui suit passionné d’ésotérisme et qui ait suivi des cours d’Histoire des religions lors de mes jeunes années, je me suis régalé car tout ici concorde pour donner un ouvrage hors du temps et en même temps pleinement contemporain, mettant en exergue la bêtise humaine et notre propension à entretenir les conflits aussi artificiels soient-ils. Un souffle puissant s'expulse de ces pages, quelque chose qui vous agrippe et ne vous relâche pas, source de raisonnement et de questionnement sur les murs physiques et mentaux que l’on construit pour soit-disant nous protéger mais qui au final attisent les braises de la discorde.

Avec Aucune terre n'est promise, je découvrais en même temps un auteur. Réputé dans le milieu littéraire, je ne compte plus les avis positifs le concernant, je dois avouer que je suis tombé instantanément sous le charme de son style et de son propos. Très abordable malgré les différents niveaux de lectures proposés, volontiers poétique à l’occasion, ce roman est assez phénoménal et laisse une impression durable dans l’esprit du lecteur, celle d’avoir lu une œuvre à part, unique et profondément intelligente. On en a bien besoin dans le monde dans lequel on vit actuellement...

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Commentaires
E
l'auteur est ? français ? ton billet me donne envie du coup je le note !
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W
Mis dans la wish, ce mélange me plaît et ta chronique me donne diablement envie !
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N
C’est vraiment très intriguant, surtout l’aspect réécriture de l’Histoire. Hâte de le lire !
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