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Le Capharnaüm Éclairé
4 janvier 2021

"Tu es une rivière" de Chi Li

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L’histoire : Quand Lala devient veuve, elle a trente ans, sept enfants et en attend un huitième. Elle ne se remarie pas, souhaitant conserver le semblant de liberté que lui assure son nouveau statut. Mais nous sommes en 1964, les temps sont durs en Chine, et toute la famille doit se mettre au travail. Jusqu'à sa mort, vingt-cinq ans plus tard, cette femme simple mènera sa barque contre vents et marées.

A la fois cruel et douloureusement ironique, ce roman analyse avec finesse tant les rapports entre mère et enfants, que ceux qui règnent au sein même de la fratrie. Mais ces destins individuels sont aussi un prisme à travers lequel Chi Li nous propose la relecture d'un quart de siècle particulièrement mouvementé. La force fondatrice du lien familial se révèle ici en pleine lumière.

Car si le contexte politique pèse de tout son poids sur la vie de chacun, la place que les enfants occupent dans le cœur de leur mère n'influence pas moins leur comportement face aux événements. L'auteur parvient ainsi à relier magistralement la grande histoire et la petite, tout en soulevant des questions universelles sur les multiples façons d'échapper à l'amour maternel ou de le mendier.

La critique de Mr K : Retour à la littérature asiatique aujourd’hui avec Tu es une rivière de Li Chi, ouvrage chinois qui traînait déjà depuis un petit bout de temps dans ma PAL. Cet ouvrage s’apparente à une chronique familiale se déroulant sur 25 ans et croisant habilement l’histoire personnelle d’une famille avec la destinée d’un pays en plein bouleversement depuis l’accession au pouvoir de Mao Tsé Toung et la mise au pas du pays via une dictature marxiste. L’ensemble est prenant, l’immersion totale et procure un plaisir de lire absolu tout en éclairant le lecteur sur la réalité d’un pays à une époque bien marquante. Suivez le guide !

L’ouverture du roman est dramatique. Le mari de Lala meurt suite à un terrible accident, la voila seule pour s’occuper de ses sept enfants et du huitième déjà en route. D’un milieu modeste, la famille doit se prendre en main très rapidement, multiplier les petits travaux pour joindre les deux bouts malgré les circonstances et l’incertitude qui règne quant à l’avenir de chacun et même du pays. Malgré de nombreux obstacles, l’accumulation d’événements désastreux, les défaillances et coups de théâtre, Lala doit gérer les siens quitte à faire des erreurs et parfois se révéler injuste. Mais la nature humaine est ainsi faite et la vie est bien loin d’être un fleuve tranquille...

Cet ouvrage a un aspect réaliste très poussé. On se retrouve un peu dans un ouvrage à la Emile Zola version asiatique. Bien dosé dans ses effets, sans en faire trop, on partage au plus près le quotidien et les aspirations de Lala. Inutile de vous dire que sa vie est rude, chiche même. On doit se contenter de peu quand on vit dans ses conditions. Elle peut cependant s‘appuyer à l’occasion sur la solidarité du voisinage notamment lors d’événements malheureux (très beau passage dès le début de l’ouvrage avec la cérémonie d’adieu au mari disparu) mais globalement, elle est bien seule face à l’adversité et à la dureté de l’existence.

Il y a la survie d’un côté avec la quête régulière de moyens de subsistance en évitant absolument de mendier (pratique honteuse entre toute dans cette culture). Menus travaux artisanaux sur le filage de soie ou des tâches agricoles secondaires, trouver des maris à ses filles pour libérer de l’espace et enlever une bouche à nourrir, même vendre son sang (!!!) sont autant de stratégies mises en place pour augmenter un minimum son confort et au moins pouvoir manger. Constamment sur la corde raide, la tension est palpable mais on ne se plaint pas, ce n’est pas dans le caractère de la dame et dans la philosophie communiste.

D’un autre côté, il y a la vie de famille en elle-même qui occupe une part prégnante de l'ouvrage. Les rapports ne sont pas faciles avec cette mère finalement débordée qui n’avouera jamais ses faiblesses et gardera toujours la même ligne directrice assez exigeante et ne souffrant pas de contestation interne. Si cela marche avec certains des enfants, les autres nourrissent une forme de ressentiment à l’endroit de leur génitrice. Tout cela est remarquablement décortiqué à travers l’évolution des uns et des autres avec le rythme des années qui passent et les caractères qui se forgent. Cela donne lieu a de superbes scènes tout en symbole avec la chute des idoles parentales, l’émergence des jeunes mais aussi leurs échecs parfois. C’est puissant et intimiste à la fois, parfait !

Et puis, bien évidemment en filigrane, on suit aussi l’évolution de la société maoïste avec la mise en place de grands programmes nationaux sensés mener le peuple chinois vers la prospérité éternelle et égalitaire : le Grand Bond en avant (et les terribles famines qui s’en sont suivies), la révolution culturelle avec l’envoi au champ des intellectuels (manquerait plus qu’ils réfléchissent trop et provoquent des séditions), le mouvement des trois loyautés avec mise à l’écart des personnes qui ne rentrent pas dans le moule préconisé par les autorités, les comités de quartier et les gardes rouges (déjà cette obsession très chinoise de la surveillance généralisée)... Tout cela n’est pas abordé frontalement mais au fil des événements et l’apparition de personnages, de multitudes de notes additionnelles permettent de se remettre en mémoire des choses qu’on a pu oublier et en découvrir d’autres. C’est édifiant mais jamais indigeste et toujours réduit au nécessaire pour mieux se faire une idée du contexte. À noter que cet ouvrage ne se situe pas dans une ligne partisane ni d’un côté ni de l’autre, c’est avant tout une chronique familiale, un groupe d’individu brinquebalé par l’existence mais aussi les choix politiques opérés en haut lieu.

Le tout est servi dans une langue épurée mais non dénuée de nuances notamment dans la description des réactions de chacun. C’est fin, parfois ironique voire très cruel mais ainsi est faite une vie humaine après tout. Un très beau voyage entre ombre et lumière que je vous conseille très fortement d’initier si le sujet vous intéresse. Vous ne serez pas déçus.

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Commentaires
E
as-tu le roman de Madeleine Thien ? il reprend aussi à travers une famille l'histoire de la Chine (je pense traduit comme "Nous qui n'étions rien") une histoire magnifique et terrible<br /> <br /> du coup, celui-ci me tente mais j'ai encore trop l'autre en tête !
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M
Il a l'air trés bien ce livre :-) si je tombe dessus lors d'un chinage, je l'emporterai ^^
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