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Le Capharnaüm Éclairé
20 décembre 2020

"L'étrange tournant" de Ludwig Hohl

Etrange tournantL’histoire : Montparnasse. Un peintre à la dérive, buveur invétéré, tordu par une tempête intérieure, vit aux crochets d'un mécène dont il dilapide le maigre argent et le matériel de peinture, pour satisfaire sa quête effrénée d'apaisement par l'alcool. Autobiographie à peine voilée, ce texte de l'arrachement, de l'errance et du désastre intérieur est le premier de huit textes et carnets inédits retrouvés dans les archives de l'auteur d'Ascension à Berne.

La critique de Mr K : Un ouvrage différent aujourd’hui avec ce récit étrange et totalement perché. L’Étrange tournant de Ludwig Hohl nous invite à suivre le parcours elliptique entre splendeur (un peu) et décadence (beaucoup) d’un peintre alcoolique dans le Paris du début du XXème siècle. S’inspirant de sa propre vie d’écrivain fauché, l’auteur que je découvre ici livre un ouvrage qui détone, à la langue fine et sinueuse qui emporte l’adhésion du lecteur après cependant un nécessaire temps d’adaptation.

Un peintre s’installe à Paris pour relancer sa production artistique plutôt en berne ces derniers temps. Un mécène lui avance des liquidités pour les dépenses courantes et l’encourager dans son œuvre, œuvre qu'il estime très prometteuse. C’est sans compter les démons intérieurs de l’artiste qui le poussent à dépenser son capital dans l’alcool, paradis artificiel inspirant (ou non ?) qui le pousse toujours plus loin dans ses retranchements et détériore inexorablement ses conditions de vie. La déchéance est totale et c’est sans filet que l’on pénètre dans cet esprit oscillant entre création et folie.

De café en café, aux nuits solitaires ou face à ces œuvres en cours inabouties, on suit donc cette perspective narrative tortueuse. Le personnage principal est flou dans sa caractérisation, lui donnant au passage une dimension universelle dans la chute qu’il décrit. Les détails pour autant ne manquent pas sur son quotidien, ses passages au bar ou encore chez les flics quand il lui arrive d’être ramassé. On suit ses doutes, ses espoirs aussi... même si très rapidement fantasmes et délires le conduisent toujours vers cette chute qui semble sans fin. Ne se raccrochant qu’à un comptoir de bar, ne saisissant pas les perches tendues pour l’aider, la dépression est au tournant, attendant le bon moment pour s’abattre définitivement sur cet être perdu et arrivé au bout d’un cheminement intérieur.

Le traducteur en postface décrit cette lecture, ce livre, comme un processus vertigineux. C’est exactement cela, on pense avoir touché le fond mais le héros réussit à s’enfoncer encore plus comme attiré par les abysses et une hypothétique poussée créative. La mélancolie guette, pénétrante, accélérée par l’ivresse, la perte de repères et une précarité grandissante. Le lecteur ne peut qu’être fasciné par cette trajectoire inexorable décrite dans une langue simple mais d’une puissance évocatrice rare. Il a fallu que je trouve un temps d’adaptation, que je m'écarte de tout stimuli extérieur qui pourrait empêcher mon immersion dans cette histoire sombre et implacable. Une fois son confort et rythme trouvé, c’est une mini-révélation qui s’opère et une lecture très plaisante qui s‘offre à nous malgré la noirceur du propos.

On ressort quelque peu ébranlé d’une telle lecture mais avec l’impression d’avoir lu quelque chose de neuf, de vraiment à part. Ce livre ne plaira sans doute pas à tout le monde par son parti pris fort et son contenu déliquescent... mais dans son domaine c’est une pièce maîtresse qui donne d’ailleurs envie de découvrir d’autres textes de Ludwig Hohl. Avis aux amateurs de sensations fortes et d’exploration de l’intime extrême, cet ouvrage est fait pour vous.

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