"Carnets d'enquête d'un beau gosse nécromant" de Jung Jae-Han
L'histoire : Bienvenue au cabinet secret de Nam Hanjun, alias Beau Gosse, pseudo-chaman et authentique escroc. Avec ses deux complices, Hyejun, sa petite-sœur hackeuse de génie et Sucheol, dit Mammouth, détective privé, ils offrent à leur riche clientèle des "divinations" sur mesure qui font leur succès.
Un soir, une cliente les appelle après avoir cru apercevoir un fantôme dans sa cuisine. Quand ils arrivent leur présence attire l'attention d'un voisin qui prévient la police. Une jeune inspectrice se rend sur place, Ye-eun, experte en arts martiaux, que ses collègues surnomment justement le fantôme tant elle est rapide et discrète. Dans la cave de la maison, elle découvre le cadavre d'une adolescente recherchée depuis un mois.
La critique de Mr K : Petite incartade bien piquante au pays du matin calme avec cette comédie policière coréenne pas piquée des vers. Carnets d’enquête d’un beau gosse nécromant de Jung Jae-Han m’a bien convaincu malgré un démarrage un peu poussif... mais en persévérant personnages et intrigue générale prennent une belle ampleur, l’addiction arrive et l’ouvrage se termine en apothéose.
On suit donc tout particulièrement trois personnages dont un frère et une sœur hauts en couleur. Il y a tout d'abord Han Jun, le frère, qui s’est autoproclamé chamane et qui s’avère très vite être un bel escroc ! Il vit de prévisions et d’actes d’exorcisme qu’il facture très cher. Amateur de luxe, poseur devant l’éternel, il mène ses affaires tambour battant et ne fait que peu cas de la morale. Dans son sanctuaire, il travaille notamment avec sa frangine, Hye-Jun, génie de l’informatique embauchée puis virée par le FBI qui fait des miracles derrière ses écrans. Elle est très utile pour mieux enquêter sur les clients et dégoter des informations précieuses. Enfin, il y a aussi Su-Cheol, détective privé attaché aux deux Jan aussi costaud que dévoué au sanctuaire. En parallèle, sur certaines enquêtes, on croise un quatrième larron, une enquêtrice de police jeune, motivée et virevoltante qui ne lâche rien mais alors vraiment rien ! Ces quatre là, au fil des cas sur lesquels ils enquêtent, se croisent, s’affrontent même parfois, la police n’aimant pas que l’on marche sur ses plates bandes.
Les débuts comme dit précédemment sont déconcertants. La langue et la construction ne m’ont pas du tout touché. Je trouvais les affaires expédiées, sans réelle saveur ni épaisseur. Les récits me semblaient plutôt légers, faciles à écrire en tout cas quand on pratique le genre depuis un certain temps. Les personnages principaux très caricaturaux s’avéraient surfaits mais aussi parfois agaçants. C’est peu de dire qu’au départ, je n’ai pas été emballé. Beaucoup peut-être auraient abandonné cette lecture au bout de cinquante pages mais c’est sans compter mon opiniâtreté et mon goût pour la littérature asiatique en générale. Et puis, cette maison d’édition m’avait épaté avec Sang chaud de Kim Un-Su, les mêmes éditeurs ne pouvaient avoir choisi d’éditer un récit si plat.
En fait, tout décolle vraiment au premier tiers quand l’affaire de la jeune fille morte aux escarpins blancs prend de l’ampleur. On se rend compte que toutes les circonvolutions et détails précédents prennent leur importance. Au final, les personnages ne sont pas si lisses que cela, à commencer par le chaman qui cache un sacré secret qui remet totalement en perspective tout ce qu’on peut se faire comme idée sur lui, en tout les cas, il est bien plus profond que l’image superficielle et suffisante qu’il donne à voir. Les relations avec ses deux acolytes gagnent en substance, une certaine sensibilité se dégage et les rapports avec la policière prennent le même chemin. C’est diablement bien mené cette affaire et on se fait agréablement surprendre par une alchimie séduisante et durable.
De plus, l’enquête en elle-même se révèle bien tortueuse. Là où au départ, on se trouve devant une histoire fun à la Tarantino parfois (dans les punchlines, les scènes d’action parfois délirantes), les indices mènent les protagonistes dans les rouages d’une entreprise peu scrupuleuse où l’on explore des univers interlopes peu ragoûtants : promesses de carrières, prostitution, drogue et manipulation, carriérisme politique, lobbying en tout genre. Autant dire qu’on plonge littéralement du côté sombre de cette société policée qui cache des vices bien épouvantables. Les bad guy sont très réussis, retors à souhait, baragouineurs, parfois avec des passés terribles qui expliquent la déliquescence de leurs âmes. On déguste avec un plaisir renouvelé cette immersion totale dans un pays aussi fascinant qu’étrange.
Je ne vous cacherai pas que la langue n’est pas la plus subtile que j’ai lu en provenance de ce pays littéraire entre tous. C’est efficace, les changements de narration bien trouvés mais on reste dans un niveau fun sans plus. J’ai par contre particulièrement apprécié les notes de bas de page qui sont assez rigolotes, les traducteurs s’en sont donnés à cœur joie et ont à priori respecté ce que l’auteure elle-même distille dans la version originale. Franchement, on passe donc un bon moment avec Carnets d'enquête d'un beau gosse nécromant. La lecture est aisée et quand on rentre dans le cœur du sujet, on ne peut que poursuivre jusqu’au mot fin. C’est déjà gage d’une bonne lecture, non ?
"Beautiful boy" de Tom Barbash
L’histoire : New York, 1980. A l'angle de la 72e Rue et de Central Park West, le Dakota Building impose sa silhouette étrange et légendaire. De retour d'une mission humanitaire en Afrique, le jeune Anton Winter y retrouve ses parents et l'appartement familial. Son père, Buddy, animateur vedette de la télévision qui a fui les projecteurs après une dépression nerveuse, lui demande alors de l'aider à relancer sa carrière. Or, dans cet immeuble où l'on croise Mick Jagger, Gore Vidal Lauren Bacall ou Ted Kennedy, vit aussi un certain John Lennon, qui pourrait être utile à Buddy pour reconquérir le cœur du public. Mais à mesure qu'Anton s'investit dans sa mission et se lie d'amitié avec le chanteur, il ne peut que remettre en question l'influence de son père sur ses propres ambitions, tandis qu'un certain Mark David Chapman s'apprête à faire couler le sang...
La critique de Mr K : Encore un bel ouvrage à mon actif dans ma chronique du jour avec Beautiful boy de Tom Barbash paru dans la collection Terres d’Amérique de chez Albin Michel. Je connaissais déjà l’auteur après ma lecture enthousiaste de son recueil de nouvelles Les Lumières de Central Park. Il s’attelle donc ici à un roman et le format long lui convient tout autant car il nous livre un ouvrage touchant au possible sur les relations père-fils et nous immerge avec justesse dans une époque désormais révolue tout en nous faisant côtoyer des personnages hautement célèbres.
Anton revient à New York après un séjour humanitaire en Afrique où il a contracté le paludisme. Il retrouve sa famille et l’appartement des siens dans un immeuble où l’on croise du beau monde. Son père a pris ses distances depuis déjà quelques temps avec l’univers de la télévision dont il a quitté la scène avec perte et fracas. Animateur de talkshow reconnu et aimé, à l’humour cinglant et aux réparties toujours justes, il fut victime d’une dépression nerveuse. Son fils travaillant avec lui dans la production des émissions voit son père s’éloigner inexorablement et Anton se cherche une nouvelle trajectoire. Lorsqu’il finit par revenir à la maison, il retombe sous la coupe de ce père admiré qui veut se relancer et qui compte sur lui pour l’aider.
Tom Barbash nous fait naviguer constamment entre passé et présent. Je trouve la quatrième de couverture pas si fidèle que cela envers le contenu, l’auteur s’attache surtout à croiser les fils reliant le père et le fils. Les deux-tiers du livre le font avec un brio incroyable. Raconté par Anton, le récit est d’une ampleur insoupçonnée sur la dimension intimiste de cette relation multiforme où chacun est finalement dépendant de l’autre, prisonnier des schémas de vie établis bien longtemps auparavant et qui pèsent sur leurs destinées réciproques. Il y a beaucoup d’amour entre ces deux là mais aussi beaucoup de non dits. La figure tutélaire du père est d’autant plus imposante qu’elle s’est érigée à cette position sans forcing ni attitude dictatoriale. Buddy est fun, cool (comme son personnage télévisuel), mène grand train et veut embarquer avec lui toute sa petite famille, ne voyant pas (ou ne voulant pas voir) certains dommages collatéraux. Difficile de renverser les idoles chères à Steinbeck (voir chronique de À l’est d’Eden) dans ces conditions, ce roman s’apparente donc essentiellement à un parcours initiatique, à la recherche de la libération de soi.
Évidemment comme annoncé il y a aussi John Lennon qui erre dans ces pages, une relation spéciale se noue entre lui et Anton. On alterne moments du quotidien avec des passages d’une banalité extraordinaire (C’est un des Fabulous Four tout de même !) et expériences déroutantes (la traversée en bateau est terrible dans son genre). Au passage, on s’interroge avec lui sur la célébrité, ses apports avantageux mais aussi le revers de la médaille avec la horde de personnes intéressées voire dangereuses qui le suivent et certaines le traquent. L’époque en elle-même est bien rendue, la vie des Lennon à New York que je connaissais moins est bien rendue et certaines images que j’avais du bonhomme se sont vues abîmées, ce qui n’est pas plus mal. C’est un être humain comme les autres après tout et ce livre est assez bouleversant le concernant mais aussi questionnant indirectement sa relation avec Yoko Ono.
Beautiful boy est d’une lecture très aisée, addictive et ceci dès les premiers chapitres. L’auteur s’y entend pour intriguer et provoquer la curiosité grâce à une langue douce et percutante à la fois, chaque chapitre est une nouvelle piste à explorer et les enchaînements sont d’une fluidité redoutable. Difficile de lâcher un tel ouvrage tant on est séduit par le personnage principal qui se livre sans fard et offre un parcours de vie sacrément intéressant entre bouleversements intimes et vie mondaine bien remplie. Un must dans son genre, un petit bijou à ne pas rater.
"La Complainte de la limace" de Zahra Abdi
L’histoire : A bientôt trente ans, Shirine vit encore chez sa mère, un vrai despote qui a érigé un mur entre sa fille et le monde réel. La vieille femme, qui a conservés intacte la chambre de son fils disparu durant la guerre du Golfe vingt ans plus tôt, se réfugie religieusement dans son sanctuaire chaque matin. Shirine, elle, s'invente des univers imaginaires, nourris de films et de personnages fantastiques... qui s'effritent lorsqu'elle rencontre Farid, un jeune vendeur de DVD avec lequel elle correspond en cachette.
De l'autre côté de la ville, Afsoun peut se targuer d'une réussite sociale certaine : maîtresse de conférences, directrice d'un programme télévisuel et épouse de Vahid, récemment nommé à la présidence de l'Université de Téhéran. Pourtant, voilà vingt ans que Afsoun rêve d'une existence qui s'est arrêtée avec le départ de Khosrow à la guerre. Alors, lorsque Shirine lui porte les lettres d'amour de son frère conservées telles des reliques, la vie des trois femmes s'en trouve bouleversée pour toujours.
La critique de Mr K : Une fois n’est pas coutume, je vous embarque avec ma chronique du jour en Iran avec ce très bel ouvrage paru aux éditions Belleville, une maison qui m’avait déjà beaucoup séduit avec Ce que l’on ne peut confier à sa coiffeuse d’Agata Tomazic. Dans La Complainte de la limace, Zahra Abdi nous propose de suivre les destins de femmes iraniennes dans un Téhéran en plein changement, partagé entre modernité et tradition. Entre poésie, introspection et chronique du quotidien, elle nous interroge sur son pays, ses orientations nouvelles, la place de la femme dans la société iranienne mais surtout sur l’Amour qui perdure encore et toujours.
D’un chapitre à l’autre, on change de point de vue. Il y a tout d’abord Shirine, une jeune femme résolument moderne qui adore le cinéma et passe sa vie à regarder des métrages qui l’ouvrent sur le monde. Elle en pince pour un jeune vendeur de DVD et doit composer avec sa mère, plus traditionaliste qui souhaiterait que sa fille de trente ans s’assagisse. Son frère, Khosrow, est mort à la guerre et une chape de plomb, une sorte d’interdit s’est installé dans la maison. Les rapports familiaux ont été biaisé par cet événement terrible et chacun se débat avec sa conscience. En parallèle, on suit Afsoun, femme installée et qui vit une existence aisée en compagnie d’un mari hautement placé. Mais au fond d’elle perdure une faille, une douleur inextinguible : celui d’un premier amour perdu en la personne de Khosrow. Sa disparition à la guerre réveille des blessures pour cet homme qui fut son voisin et son premier émoi d'adolescente. Ces deux femmes vont bien évidemment se croiser et les révélations vont se multiplier pour l’un comme pour l’autre.
On rentre assez facilement dans cette lecture. On se prend très vite d’affection pour ces deux femmes qui chacune à sa manière refuse un destin tout tracé. Dans une langue qui mêle habilement phrasé volontiers poétique, références culturelles (très bien explicitées grâce à un lexique précis que l’on peut approfondir sur le net, marque de fabrique de cet éditeur) et exploration précise des pensées et réactions des personnages, on plonge dans un Téhéran qu’on ne soupçonnait pas ou du moins très méconnu. L’intimité de ces deux femmes nous est contée avec une subtilité et une tendresse qui émeuvent bien souvent. On est loin des sentiers battus avec des thématiques universelles qui font mouche et qui dans le contexte iranien prennent une toute autre dimension et une certaine singularité. Qu’est ce que c’est qu’aimer en Iran ? Qu’est ce que c’est qu’être iranienne ? L’auteure répond à ces deux questions de façon détournée, parfois très imagée mais toujours avec franchise et une pudeur confondantes.
L’ouvrage est donc déroutant mais dans le bon sens du terme. On aime à se balader dans les rues de la capitale iranienne, à écouter les doux mots que s’envoient deux amoureux qu’un mur sépare, les discussions de copines dans un pays fondamentalement religieux. On a de la peine face au traumatisme de ceux qui restent après la guerre et qui essaient de digérer leur deuil du mieux qu’ils peuvent (la maman qui va régulièrement se recueillir dans la chambre de son fils décédé fend littéralement le cœur) ou encore la nostalgie qui étreint certains protagonistes face à la disparition programmée du quartier de leur enfance. On vit cette lecture qui prend son temps pour donner à voir sa vraie portée et s’envole au final vers des horizons étonnants. Ce fut une expérience vraiment différente et séduisante qui vaut le coup d’être tentée!
"Le Bal des porcs" d'Arpád Soltész
L’histoire : Finalement, il se rend compte que cette histoire est d'une effarante simplicité. Pouvoir, argent et sexe. Probablement drogue et alcool. Une poignée de personnes qui se croient toutes-puissantes. Et un maître-chanteur ordinaire qui tient la plupart d'entre elles par les couilles.
Lorsqu'une adolescente disparaît d'un centre de désintoxication, personne ne s'en inquiète : tout le monde sait bien que les junkies mentent, volent, et disparaissent dans la nature. Tout le monde le sait, et tout le monde s'en fiche. Alors quand on retrouve le corps sans vie de la jeune Bronya, le médecin légiste et le policier qui mène l'enquête s'empressent de conclure à une mort accidentelle, malgré le témoignage de Nadia, une amie de la victime, qui affirme avoir vu le coupable maquiller le meurtre en overdose.
Affaire classée ? C'est compter sans le journaliste Schlesinger qui, flairant le scandale étouffé, décide de mener sa propre investigation. Peu à peu, il met à jour un vaste réseau de prostitution, de corruption et de chantage organisé par la mafia calabraise qui a bien l'intention de faire main basse sur tous les trafics possibles en Slovaquie.
Et quand le Premier ministre lui-même devient la pièce maîtresse de la pyramide mafieuse, plus personne n'est à l'abri. Même pas les journalistes... L'assassinat de l'un d'entre eux suffira-t-il à réveiller les hommes et femmes intègres du pays ?
La critique de Mr K : Nouvelle lecture éprouvante à mon actif aujourd’hui avec Le Bal des porcs d’Arpad Soltész paru aux éditions Agullo dans le cadre de la Rentrée Littéraire 2020. Ce roman noir est servi bien serré et entraîne le lecteur dans les méandres d’une société gangrenée par le vice et les intérêts particuliers sous fond d’enquête journalistique. Bien mené, passionnant parfois déroutant (il faut s’accrocher pendant certains passages), voici un roman dont on se souvient longtemps après sa lecture.
Des filles disparaissent ou sont retrouvées mortes par overdose. Dans la société bien pensante de ce pays presque imaginaire, personne n’en a rien à faire. Pensez donc, des gamines toxicomanes ! Cependant, des hérauts de la liberté et de la justice vont tenter de faire éclater la vérité et lever le voile sur les pratiques plus que douteuses d’hommes haut placés au bras très long. Très vite, l’auteur prend le parti de révéler beaucoup de choses et de nous faire pénétrer dans ce cénacle peu ragoûtant aux exactions parfois terrifiantes. L’écœurement guette le lecteur face aux ignominie dont il est témoin et les stratégies mises en place.
C’est peu de dire que l’on passe un moment difficile durant cette lecture. Ce qui nous est donné à lire est parfois du domaine de l’innommable. À commencer par le sort réservé à ces jeunes filles enfermées dans une maison de redressement peu scrupuleuse des droits de l’individu et qui exerce sur elles une emprise totale. Avec la complicité de certaines autorités et d’hommes de main sans pitié, pressions de toutes sortes, tortures, sévices, viols et même pire sont exercés sur ces pensionnaires oubliées de tous, y compris parfois leurs propres parents, trop contents de ne plus avoir à s’en occuper. L’ambiance trouble, cynique et glauque est très bien rendue. Certaines essaieront de s’échapper de cette machinerie infernale mais elles seront à chaque fois rattrapés par leurs tortionnaires...
Car dans ce monde là, nul espoir n’est vraiment permis. Le mécanisme de la corruption à tous les étages est bien huilé et totalement maîtrisé. L’impunité est totale pour ces personnalités appartenant à la caste du pouvoir entre police, médias et politique. Un scandale éclate et il est vite étouffé, la mémoire moyenne d’un électeur est de huit mois et les élections ne donnent rien de vraiment nouveau à chaque fois. Les visages et formations politiques changent mais les pratiques restent avec en sous-main l’emprise certaine de la pègre extra-territoriale. Pour forcer le destin, rien de tel qu’un pot de vin, l’embrigadement, le contrôle des victimes par la drogue, l’envoi d’un tueur ou encore une bonne opération de lobbying... Au final, les mêmes sont aux manettes et ils restent en place des décennies durant.
Le Bal des porcs se lit relativement bien, le style journalistique fait son office. Je n’ai pas été complètement convaincu par l’écriture qui m’a semblé parfois un peu plate, loin des crédos littéraires habituels en tout cas. Il n’y a pas ou peu d’effets de style par exemple mais plutôt une suite de constats froids et implacables qui nouent la gorge. Brut de décoffrage, le texte happe cependant littéralement le lecteur par un contenu qui s’apparente à un brûlot incandescent d’une grande force et c’est ce que l’on attend en premier d’un tel ouvrage. Une belle réussite dans le genre, ce roman vous plaira forcément si vous êtes adepte de roman noir et que vous avez le cœur bien accroché.
"Du miel pour les ours" d'Anthony Burgess
L’histoire : Dans le bateau qui les mène à Leningrad, Paul et sa femme Belinda révisent leur affaire. Le plan est simple, ils vont vendre aux Soviétiques les richesses de l'Occident ! Bref, leurs valises sont pleines à craquer de robes et de jupons fins. Mais avant même d'accoster, deux alertes : Paul casse son dentier et Belinda, tombée malade, est confiée à une sublime doctoresse russe. Et sur le quai, deux policiers guettent le couple. S'ensuivront de burlesques aventures en Terre rouge, où Paul, toujours halant ses précieuses valises - qui n'intéressent d'ailleurs personne - et recollant mille fois son dentier, ira de vodka en vodka découvrir le plaisir sexuel, la gueule de bois atomique et l'amitié soviétique.
La critique de Mr K : Chronique d’un ouvrage plus léger aujourd’hui avec Du miel pour les ours d’Anthony Burgess, l’auteur culte de L’Orange mécanique dont l’adaptation cinématographique de Kubrick a fait couler beaucoup d’encre. Road movie comique se déroulant en URSS, j’ai trouvé l’ouvrage inégal. On alterne moments bien délirants et passages plus poussifs, l’entreprise est sympathique mais les affres du temps sont passés par là et au final je ne garderai pas un souvenir mémorable de cette lecture.
Paul et Belinda, un couple d’occidentaux du camp ouest a décidé de partir en URSS pour faire des affaires. Leur pote Robert avant de mourir leur a donné un bon tuyau et un contact. L’idée est de vendre aux soviétiques des vêtements (en l’occurrence ici des robes) qu’ils ne peuvent trouver dans leur pays. L’investissement est minime et les bénéfices juteux pour celles et ceux qui savent se mêler aux autres, contacter les bonnes personnes. Les voila donc partis en bateau pour une croisière en mer soviétique mais rien ne va vraiment se dérouler comme prévu. La maladie de Belinda, la surveillance policière, les excès d’alcool, la disparition du fameux contact et une marchandise qui n'intéresse personne vont faire de cette expédition un voyage plus qu’inattendu.
On démarre fort dans cet ouvrage avec une grande dispute sur le bateau et un couple séparé par les circonstances. L’immersion dans l’univers soviétique est assez juste, on ne tombe pas dans la caricature pro ou anti régime. Il y a des passages obligés avec notamment des beuveries dantesques (pour le coup on se fend vraiment la poire) qui partent totalement en cacahuète et des rencontres bien étranges qui font osciller sensiblement la direction prise par l’expédition. Ce côté barré est frais. Surtout qu’il est accompagné d’une certaine ambivalence concernant les personnages principaux. Bien qu’en couple, on les sent attirés chacun par des personnes du même sexe, c’est insidieux, pas vraiment dit explicitement mais le doute s’installe, les limites s’écartent et les références se multiplient. En cela, on est brinquebalé et on ne sait pas toujours sur quel pied danser. Étrange ambiance qui rajoute au mystère qui enrobe l’ouvrage.
Mais voila, ce n’est pas suffisant pour accrocher durablement. Anthony Burgess a fini par me perdre, l’intérêt a diminué au fil des péripéties. J’ai trouvé que le côté borderline faisait s’éloigner le goût pour la trame principale. On s’égare en route et on a du mal à se raccrocher à quelque chose. Je dois aussi manquer de certaines références qui du coup m’ont échappées et ont amoindri la profondeur certes perceptible de ce roman qui sans doute était trop ésotérique pour moi. Dommage dommage, l’ennui s’est finalement installé et j’ai terminé Du miel pour les ours sur les genoux et heureux d’en finir. Trop de circonvolutions stylistiques et scénaristique ont fini par avoir raison de moi... Un coup dans l’eau.
"Nickel Boys" de Colson Whitehead
L'histoire : Dans la Floride ségrégationniste des années 1960, le jeune Elwood Curtis prend très à coeur le message de paix de Martin Luther King. Prêt à intégrer l'université pour y faire de brillantes études, il voit s'évanouir ses rêves d'avenir lorsque, à la suite d'une erreur judiciaire, on l'envoie à la Nickel Academy, une maison de correction qui s'engage à faire des délinquants des "hommes honnêtes et honorables". Sauf qu'il s'agit en réalité d'un endroit cauchemardesque, où les pensionnaires sont soumis aux pires sévices. Elwood trouve toutefois un allié précieux en la personne de Turner, avec qui il se lie d'amitié. Mais l'idéalisme de l'un et le scepticisme de l'autre auront des conséquences déchirantes.
La critique Nelfesque : Je me souviens encore très bien de l'été où est sorti "Underground Railroad" de Colson Whitehead. J'avais été happée par l'histoire qui m'avait prise à la gorge et tenue en haleine. Un sujet difficile, des personnages attachants et une écriture aisée. Pour "Nickel Boys", je pourrais réutiliser cette même dernière phrase.
Sans me prononcer sur le fait que ce roman mérite ou non son Pulitzer, sans non plus comparer avec d'autres ouvrages ayant reçu le même Prix, je peux vous dire que j'ai été bouleversée par celui-ci. Je ne cours pas après les Prix, je ne lis pas un ouvrage parce qu'il a reçu telle ou telle distinction, je fonctionne à l'instinct et ne demande qu'à vibrer avec une lecture. Sur ce point j'ai été plus que servie puisque j'ai terminé littéralement sur les genoux.
L'histoire est dure. Nous suivons un jeune homme, afro-américain, qui, victime d'une erreur judiciaire alors qu'il était voué à un avenir prometteur, va se retrouver en maison de correction. Au mauvais endroit au mauvais moment, sans chercher plus loin, la messe est dite. Là-bas, ses illusions tombent. Lui qui est passionné par Martin Luther King, croit en l'homme et en des jours meilleurs côté égalité des droits, va se manger en pleine face le mur de la réalité. A la Nickel Academy, les blancs et les noirs sont traités différemment par les encadrants. Maltraitance, dénigrements, exploitation vont devenir son quotidien. Dans la violence vécue ici, j'ai beaucoup pensé à l'excellent "Cold water" de Vincent Grashaw vu au cinéma en 2014 (petite parenthèse et piqûre de rappel si vous ne l'avez pas vu).
Elwood est un jeune homme avec des rêves plein la tête. Bien élevé, il met un point d'honneur à suivre les règles de vie en société qu'on lui a transmises. Chacun s'accorde à dire qu'il fera de grandes choses et ses proches croient en lui. Oui mais voilà, nous sommes dans les années 60 et son sort est scellé d'avance. Nous le suivons donc dans ce "camps de redressement", où il va encore une fois suivre les règles puisqu'on lui dit qu'il y en a et qu'en les respectant il pourra sortir plus vite. Sans savoir que les dés sont pipés, toujours avec sa foi en l'être humain, il va faire la connaissance d'autres jeunes qui comme lui vivent des moments terribles ici. Tous n'ont pas le même passé, tous n'ont pas la même éducation, tous ne sont pas là pour les mêmes raisons mais ils partagent le moment présent. Des liens vont se tisser, notamment avec Turner qui deviendra ce qui se rapproche le plus d'un meilleur ami.
"Nickel Boys" est terriblement prenant. On vit chaque minute de l'existence d'Elwood comme si nous étions à ses côtés. Notre affection pour lui grandit au fil des pages et les dernières nous brisent le cœur... La fin nous finit à coups de pelle...
Colson Whitehead a construit son roman d'une manière magistrale. L'écriture est simple, sans en faire trop il touche nos âmes. Ce qui au début n'est que l'histoire d'un garçon noir lambda dans l'Amérique ségrégationniste devient une véritable communion avec le lecteur. Nous touchons du doigt ici une valeur universel : la fraternité. Les larmes montent pour Elwood, pour Curtis, pour tous leurs camarades et pour cette injustice qui est malheureusement encore d'actualité de nos jours. Une très belle lecture que je vous encourage à entreprendre dès que possible...
"Permafrost" d'Eva Baltasar
L’histoire : Pour pouvoir vivre, la narratrice de Permafrost n'a eu d'autre choix que de se protéger des femmes auprès desquelles elle a grandi ; mère, sœur, tante, de leurs obsessions navrantes, de l'hypocrisie familiale et son cortège de mensonges ou de sourires pour entretenir cette idée de l'épouse comblée et de la mère épanouie. Mais derrière l'épaisse cuirasse qu'elle a dû se fabriquer, ne se retrouve-t-elle pas prise comme dans une terre perpétuellement gelée, enfermée avec ses pensées suicidaires ?
Heureusement il y a les chambres, celles où elle se réfugie dans la lecture passionnée d'autres vies, et celles où elle découvre le corps et les caresses d'amantes fabuleuses.
S'isoler, s'adonner au plaisir, même non solitaire, ne suffisent cependant pas à apaiser son malaise. Pour se libérer, il faut ce récit, écrit comme l'on se parle à soi-même, sans détour et sans craindre ni ce qui paraît immuable ni ce qui serait provisoire. Un corps avec ses sensations, une voix avec ses réminiscences, ses craintes et ses limites, pour enfin se sentir "vivante, vivante comme jamais".
La critique de Mr K : C’est à une expérience de lecture hors du commun à laquelle je vous convie aujourd’hui avec ma chronique de Permafrost d’Eva Baltasar, écrivaine catalane qui a reçu un grand succès avec ce titre, traduit en France depuis peu aux éditions Verdier. Cet ouvrage se présente un peu comme le journal de bord très intime de la vie amoureuse et sexuelle d’une femme homosexuelle mais ce serait réducteur de le résumer à cela. Au gré des chapitres et diverses expériences contées ici, la narratrice livre en filigrane ses impressions sur elle-même et son existence, mais aussi sur la famille et la société au sens large. Bien que désarçonnant au départ, ce roman finit par happer son lecteur et lui procure un beau plaisir de lecture.
Constitué de micro-chapitres ne dépassant pas les six pages, il faut imaginer qu’ils correspondent à des fragments d’existence mixés sans véritable ordre chronologique. Se répondant les uns aux autres, il faut un nécessaire temps d’adaptation pour se faire au procédé. On démarre donc la lecture un peu perdu, intrigué cependant par la personnalité d’une héroïne à fleur de peau qui se cherche. L’écriture entre prose poétique et réalisme parfois très cru transporte le lecteur vers des horizons intimes embrouillés par des questionnements intérieurs tourmentés. Pas évident de s’y retrouver, l’auteure prenant plaisir à plaquer mots et émotions sans véritable structure narrative classique.
Et puis on s’y fait. Au bout d’une trentaine de pages (le livre est court, il en compte 128), des lignes de force se dégagent. Le poids de la famille par exemple avec notamment des parents qui ne comprennent pas les choix de vie de leur fille qui sort des sentiers battus tant au niveau de sa vie estudiantine que des emplois qu’elle va décrocher. Elle doit se protéger d’eux tout d’abord pour pouvoir mener sa barque comme elle l’entend. Mais ce que l’on dissèque vraiment au scalpel dans ce livre durant la majeure partie de notre lecture reste l’identité sexuelle de la narratrice avec des pages entières sur ses relations amoureuses heureuses ou non, avec aussi sa découverte du désir et de son penchant pour les filles (très très beau passage aussi direct que touchant), ses pulsions létales irrésistibles aussi avec des réflexions poussées sur l’existence, le destin et la mort. Eros et Thanatos se sont donc donnés rendez-vous dans ce roman dans leurs rapports entremêlés et antinomiques. Passionnant !
Permafrost est un étrange ouvrage qui nous livre véritablement une âme à nue, sans chichis ni faux semblants. On est dans du brut de décoffrage décrit dans une langue exigeante, gouleyante et rafraîchissante. Les pages s’enchaînent avec des sentiments mêlés, complexes comme la personnalité de la narratrice. L’écrin littéraire est de toute beauté et offre une lecture enthousiasmante d’une introspection puissante et juste à la fois. Une expérience intéressante et enivrante que je vous invite à tenter si le sujet et le thème vous intéresse.
"Kaïken" de Jean-Christophe Grangé - ADD-ON de Mr K
J'ai déjà lu et chroniqué cet ouvrage le 10/09/12. Mr K vient de le terminer et de le chroniquer à son tour.
Afin que vous puissiez prendre connaissance de son avis, je vous mets dans ce présent billet le lien vers l'article originel où vous trouverez la critique de Mr K à la suite de la mienne.
Nous procédons ainsi pour les ouvrages déjà chroniqués au Capharnaüm Eclairé mais lus à nouveau par l'un de nous.
Pour "Kaïken", ça se passe par là.
"Le Complot du Livret Rouge" de Laurent Nagy
L’histoire : En 1814, alors que la Restauration de Louis XVIII mécontente de plus en plus le peuple, Joseph Chunotte, un ancien révolutionnaire, est retrouvé mort, défenestré. Cet homme puissant qui régnait sur la pègre parisienne avait bâti sa fortune grâce au vol des joyaux de Marie-Antoinette. Le commissaire Samuel Le Mullois est mandaté par la police secrète du roi pour enquêter sur cette mort mystérieuse. Mais sa véritable mission est tout autre : il doit à tout prix retrouver le "Livret rouge", un document qui fait trembler les royalistes et que Chunotte avait en sa possession. Des ruelles du Paris populaire jusqu'aux luxueux hôtels particuliers, le commissaire navigue en eaux troubles. Il n'est pas le seul à chercher le "Livret rouge" et certains sont prêts à tout pour s'en emparer. C'est l'enquête de tous les dangers, car ce document pourrait ébranler le pouvoir s'il tombait entre de mauvaises mains...
La critique de Mr K : Petite incursion dans le roman historique policier aujourd’hui avec Le Complot du Livret Rouge de Laurent Nagy, ouvrage sorti en août aux éditions City dans le cadre de la Rentrée littéraire 2020. Écrit par un historien spécialiste de la période abordée, je ne me faisais pas de souci quant à la véracité du contexte et la mise en ambiance. Par contre, qu’en serait-il de la dimension policière? Au final, la lecture fut fort plaisante bien que sans réelle surprise sur ce dernier point.
Joseph Chunotte a donc été retrouvé mort au milieu de la cours de sa fabrique. Homme au passé révolutionnaire, il s’est enrichi pendant la période napoléonienne et exerce une influence dans les faubourgs. Samuel Le Mullois est dépêché sur place pour résoudre la mort mystérieuse de cet homme important aux liens avérés avec les milieux interlopes de la capitale. Mais sous couvert de lever le voile sur ce crime, il doit surtout retrouver le Livret rouge qui donne son titre à l’ouvrage, un document compromettant pour des personnes haut placées qui sentent le vent tourner en cette période de Restauration de la monarchie des Bourbons et les ultimes sursauts d’un empereur en exil sur l’île d’Elbe.
Je vais passer assez vite sur l’aspect enquête de l’ouvrage, celui-ci est plutôt léger. Investigations il y a, avec son lot de fouilles et d’interrogatoires mais au final, il ne se passe pas grand-chose et le personnage principal n’est finalement pas le plus actif en la matière. Cela désarçonne au début mais on s’y habitue, comme je le dirai plus tard, l’intérêt est autre ici. Pour autant, la trame narrative est loin d‘être inintéressante grâce notamment à des personnages fouillés dont le chargé d’affaire de la victime, un jeune homme écorché vif qui ignore tout de ses origines. Peu à peu, les éléments disparates s’assemblent, la lumière va se faire sur l’affaire et quelques révélations bien senties (mais que j’ai vu venir pour ma part) vont tomber. Dans le genre, c’est efficace même si le rythme général est plutôt lent et pourrait gêner certains.
Cet ouvrage est avant tout l’occasion pour Laurent Nagy de nous parler d’une époque qu’il affectionne beaucoup. Celle de la période post-révolutionnaire malheureusement trop méconnue par nos concitoyens faute de temps alloué à cette période de l’Histoire dans les programmes scolaires. Beaucoup ainsi ignorent que malgré la décapitation de Louis XVI, trois rois sont revenus au pouvoir en France au XIXème siècle. Dans cet ouvrage, Louis XVIII a proclamé la Restauration suite à la chute de Napoléon réfugié à Elbe. En parallèle des pérégrinations du commissaire Le Mullois, on suit les atermoiements de ce régime mal assuré qui ne va pas tarder à s’écrouler (pour mieux revenir par la suite) à travers les bruits et rumeurs de la rue, la panique qui s’installe dans certains milieux mais aussi les arrangements et changements de camps de certains. C’est très bien rendu, la grande Histoire accompagne merveilleusement bien la petite.
L’immersion est totale, les détails fourmillent sur la vie quotidienne, les mentalités et les idées en vogue. On se promène dans le Paris de l’époque avec un plaisir renouvelé entre odeurs, visions étonnantes et réalité parfois bien sombre avec les prémices de l’industrialisation, l’exploitation des pauvres par les puissants et le recul des idéaux révolutionnaires dont la flamme est cependant entretenue par des groupuscules qui ne veulent pas transiger sur ces valeurs d’égalité notamment. Dans une ambiance crépusculaire, le climax est saisissant et on ne se lasse pas de cette plongée historique criante de réalisme.
La lecture est aisée grâce à la plume de l’auteur qui sait insuffler de la vie dans un ouvrage dont je retiendrai surtout les qualités d’évocation d’une période méconnue de notre Histoire. Avis aux amateurs !