Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Capharnaüm Éclairé
9 juin 2020

"La Fontaine pétrifiante" de Christopher Priest

La_Fontaine_petrifiante

L’histoire : Dans un cottage isolé dans la campagne anglaise, Peter Sinclair, jeune écrivain désœuvré, cherche à faire le point sur son existence en rédigeant son autobiographie. Mais l'écriture commence à dériver. L'Angleterre autour de lui, plongée dans une lente apocalypse, s'efface peu à peu. Et Peter Sinclair se retrouve en train d'écrire l'histoire d'un autre homme, citoyen d'un monde imaginaire avec sa mer Centrale, sa cité de Jethra et son foisonnement d'îles exotiques - parmi lesquelles la mythique Collago, où la Loterie offre aux heureux gagnants l'accès à l'immortalité...

La critique de Mr K : Voilà deux ans que cet ouvrage patientait dans ma PAL, depuis en fait une rencontre avec l’auteur aux Utopiales 2018 lors d’une dédicace. Auteur aux talent immense, Christopher Priest s’était alors révélé un homme charmant, humble et d’une érudition jubilatoire. Ayant adoré toutes mes précédentes lectures de cet auteur, j’ai donc entamé La Fontaine pétrifiante, un ouvrage classé à part dans sa bibliographie et ma première incursion dans le cycle de L’Archipel des rêves. Une chose est sûre, j’y reviendrai vite tant le voyage s’est révélé aussi enrichissant que divertissant. Attention lecture bien barrée !

Peter est à un moment de sa vie où rien ne va plus. Plus de travail, plus de copine, mort de son père, des relations complexes avec sa sœur, plus d’appartement... autant d’éléments qui le poussent à se retirer au milieu de nulle part, dans un cottage en piteux état que lui prête un ami de longue date contre la promesse de retaper la bicoque et de s’occuper du jardin. Au début, Peter s’y attelle avec un certain enthousiasme mais très vite il se prend au jeu de l’écriture de son autobiographie. Littéralement possédé par ce projet qui lui permet selon lui de faire le point sur sa vie, il délaisse totalement les travaux et même sa vie journalière. Il ne mange presque plus, ne se lave plus et le logement atteint un stade de décrépitude avancé.

Puis dans un chapitre, on bascule. On retrouve Peter dans un autre monde, il vient de gagner à la loterie et a la possibilité de devenir immortel, rien de moins ! Il voyage d’île en île dans un mystérieux archipel pour rejoindre une clinique qui changera son existence à jamais et croise des personnes et notamment son ex compagne mais dans une version différente, "améliorée" pense-t-il même. Ce ne sont pas les mêmes noms, pas les mêmes expériences passées ensemble mais on retrouve des passerelles donnant sur ces deux existences liées mais distinctes à la fois. Étrange étrange... Au fil des deux récits qui finissent par s’entrecroiser, on comprend alors le processus en cours et le glissement mental initiatique et quasi mystique qui s'opère chez Peter...

Ce roman se lit vraiment d’une traite tant on est happé très vite par l’histoire et intrigué par Peter et son évolution. Contrairement à ce que pourrait laisser penser mes paragraphes précédents, ce livre est très accessible. Se situant à la croisée des chemins entre la littérature dite générale et la SF, tout est tourné ici autour du personnage principal qui se cherche à travers les épreuves multiples qu’il traverse. Il est beaucoup question de la mémoire, des souvenirs qu’on se forge (avec la notion de subjectivité forte qui les accompagne) et qui contribuent à notre construction aussi imparfaite soit-elle. Se rajoute par dessus, une remarquable évocation du travail de l’écrivain, du rapport à l’écriture et la relecture qui trouve son écho dans les scènes se déroulant dans les deux mondes et qui se répondent. Le roman prend alors une densité impressionnante et chacun y trouvera un univers vraiment fabuleux teinté de métaphores à l’interprétation variable.

Autrefois je croyais que la force des mots était garante de vérité. Qu'à condition de trouver le mot juste, il ne dépendait que d'un acte de volonté approprié que je parvinsse à consigner sous une forme affirmative tout ce qui était vrai. J'ai appris depuis que les mots n'ont d'autre valeur que celle de l'esprit qui les choisit, de sorte qu'il entre dans l'essence de toute prose d'être une forme d'imposture.

En filigrane, un fil conducteur autre que le sens de l’existence en lui-même apparaît, il s'agit de l’amour, le seul le vrai. Là aussi Christopher Priest excelle avec une histoire véritablement tragique, mélancolique où l’espoir est cependant encore permis. Le double personnage Gracia / Seri est très attachant, des scènes la mettant aux prises avec un Peter déboussolé se révèle vraiment poignantes (c’est mon côté fleur bleue que je revendique totalement). Malgré un background incertain, où la réalité et la fiction se mêlent sans vergogne, il y a des êtres de chairs et de sang qui vivent et souffrent au fil des pages.

Roman labyrinthique basé sur une dualité forte (quasiment une schizophrénie galopante) où les personnages sont constamment en équilibre instable, l'écriture de Priest se révèle précise, toujours juste, avec un rythme qui ne se dément jamais. Cette lecture fut une expérience épatante conjuguant plaisir de lire, voyage aux cœurs des perceptions et réflexion intense sur soi. Un de mes préférés de l’auteur.

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
-Le Prestige
-La Machine à explorer l'espace

Publicité
Publicité
Commentaires
W
Vu que j'ai aimé La séparation et Le prestige plus le fait que ta chronique est élogieuse, je le note ! Et peut-être reviendrai-je commenter d'ici quelques mois ou années pour te dire mon ressenti !
Répondre
M
Ce livre a l'air juste génial ! Belle chronique qui fait envie =D
Répondre
Publicité
Suivez-moi
Archives
Publicité