Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Capharnaüm Éclairé
20 mai 2020

"Une Fille de pasteur" de George Orwell

001

L’histoire : Fille unique, Dorothy vit une existence morne avec son père, le pasteur acariâtre d'une petite paroisse du Suffolk. Frappée par une soudaine amnésie, elle se retrouve à la rue et va partager l'existence des déshérités, des clochards de Londres aux cueilleurs saisonniers de houblon. Mais, à mesure que la mémoire lui revient, Dorothy trouvera-t-elle en elle-même la force d'aspirer à une autre vie ?

La critique de Mr K : Comme beaucoup, de George Orwell, j’ai lu ses grands classiques comme La Ferme des animaux, 1984 ou encore Hommage à la Catalogne. C’est donc avec une grande curiosité et beaucoup d’espérances que je commençai la lecture de Une Fille de pasteur, un ouvrage méconnu de cet auteur, une œuvre de jeunesse pourrait-on dire car écrit en 1935 alors qu’Orwell n’a que 32 ans. Il diffère sensiblement de mes précédentes lecture d’Orwell mais on retrouve cette langue inimitable et ce contenu subversif qui me ravissent à chaque fois que je m’aventure dans son œuvre.

Dorothy est la fille du pasteur d’une localité isolée. Ce dernier est très rigoriste (psychorigide je dirai même) et se révèle profondément injuste et méprisant envers sa fille de 29 ans qui se dévoue corps et âme pour lui et la paroisse. Sans que l’on sache vraiment pourquoi, arrivé au quart de l’ouvrage l’héroïne se réveille amnésique en plein Londres. À la rue, sans réel moyen de subsistance, elle va connaître l’âpreté de la vie des déshérités, travailler dans les champs de houblons, connaître la vie de vagabonde, devenir institutrice dans une institution privée miteuse et finalement retrouver la mémoire. Toutes ces expériences et mésaventures vont forcément la changer mais peut-on véritablement échapper à son destin, la vie qu’on s’est forgé ? Rien n’est moins sûr et ce livre propose à la fois un parcours initiatique d’une rare justesse et une critique acérée des travers de la société anglaise de l’époque.

La première partie nous présente donc une Dorothy habitée par sa mission divine. Élevée et éduquée par son père, la foi guide tous ses actes et pensées. Malheur d’ailleurs à elle si elle pêche ne serait-ce qu’en esprit, elle se punit en se piquant avec une épingle, se mortifiant ainsi pour mieux se repentir. S’émerveillant de la magnificence de la nature œuvre de Dieu et signe de sa perfection, dévouée à la figure tutélaire paternelle qui exerce une autorité absolue, toujours prête à aider son prochain (aide aux personnes âgées, préparation de spectacles pour enfants, le service à l’église...), rien ne semble pouvoir la détourner de ce chemin vertueux qu’elle s’évertue à tracer. Belle description d’une existence en vase clos, loin des réalités de son temps que celle de Dorothy. C’est aussi l’occasion pour Orwell de dénoncer le patriarcat et le pouvoir des hommes sur les femmes avec d’ailleurs un autre personnage masculin, plus trouble, artiste raté qui lui aussi à sa manière exerce une attraction sur l’héroïne. Et puis, il y a la question de la foi qui est centrale entre recherche de l’absolution et de la perfection qui peut aveugler et même aliéner quand elle devient intransigeante.

Toute la naïveté de Dorothy va disparaître avec les expériences terribles qu’elle va vivre. Orwell à la manière d’un Dickens nous offre ensuite une bonne moitié d’ouvrage de descriptions sans fard, très réalistes et impitoyables de la pauvreté et de l’affliction. Loin de tomber dans le pathos, l’exagération ou la chasse à l’apitoiement, il nous livre des scènes de vie banales mais criantes d’injustice. J’ai beaucoup pensé aussi à Steinbeck période Les Raisons de la colère avec le passage se déroulant dans les champs de houblon, où les cueilleurs sont considérés comme des bêtes de somme, à qui l’on donne que des rogatons de salaire et dont les conditions d’existence sont terrifiantes. Pas mal non plus, le passage sur l’expérience de Dorothy dans une école privée sans contrat avec l’État tenue par une vieille bique qui ne lorgne que sur la contribution sonnante et trébuchante des parents et se fichant complètement de développer l’esprit critique des élèves, se contentant d’en faire des singes savants. J’ai aussi beaucoup apprécié un passage mettant en scène une soirée entre clochards sous la forme d’une scène de théâtre, cela rend leur réalité drolatique tout en insistant sur leur détresse et leurs faiblesses. On a le cœur qui se serre entre mélancolie et rire, ces personnages hauts en couleurs étant eux aussi des victimes d’une société inique. La réalité des années 30 est peu brillante en Grande Bretagne entre moralisme, hypocrisie et misère spirituelle qui ne cache bien souvent qu’un grand vide. George Orwell s’en donne à cœur joie pour la décortiquer et la dénoncer.

On retrouve la finesse narrative de l’auteur, son intelligence d’écriture qui rend la lecture aisée et jubilatoire. Le style très naturaliste du début semble exonérer l’héroïne de tout souci. Quand elle tombe en déchéance, il y a aussi un changement de style, celui-ci devient plus familier, plus direct tout en conservant une intelligence hors norme dans la façon d’amener les éléments narratifs et contextuels. Véritable roman initiatique avec une fin qui ne va pas dans le sens attendu (et c’est tant mieux), on se prend à réfléchir à la destinée mais surtout à la question cruciale des choix que l’on fait dans une vie, les barrières que l’on peut se mettre et les regrets que l’on peut parfois nourrir. Une superbe lecture pour un auteur incontournable. Vous savez ce qu’il vous reste à faire !

Publicité
Publicité
Commentaires
V
ah tiens, intéressant ! Je ne connaissais pas. Je lis en ce moment même (enfin, je relis) 1984 avec mon ado de fils. C'est quand même noir noir… Tu as éveillé ma curiosité avec celui-là!
Répondre
Publicité
Suivez-moi
Archives
Publicité