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Le Capharnaüm Éclairé
25 mars 2020

"Ce que l'on ne peut confier à sa coiffeuse" d'Agata Tomazic

L’histoire : "J’étais assise, la tête renversée en arrière, la coiffeuse en train de me laver les cheveux et un instant, j’ai eu peur qu’en me massant lentement le cuir chevelu, elle palpe mes pensées. Malaxer ces questions embrouillées, ces réflexions apeurées qui me trottaient dans le crâne. Moi seule devais trouver les réponses à tout cela, ses réponses à lui étaient toujours identiques, univoques, uniques. Ses réponses lui appartenaient. Qu’est-ce qui était encore à moi, rien qu’à moi ?"

 

Dans ce recueil de portraits délicieusement décalés, Agata Tomažic démontre que ce sont parfois les personnages les plus triviaux qui s’avèrent les plus imprévisibles. Une veuve sans histoires, un fils trop chéri par sa mère bien-aimée, un jeune cadre bouffi d’orgueil... Autant de destins ordinaires déboussolés par les petites singularités du quotidien, qui peuvent cacher de sombres affaires d’amours abusives, de plantes invasives ou encore de roi-grenouille !

 

La critique de Mr K : C’est une lecture dépaysante que je vais vous présenter aujourd’hui avec mon premier ouvrage slovène ! Doté d’une sublime couverture, Ce que l’on ne peut confier à sa coiffeuse d’Agata Tomažic édité chez la jeune maison d’édition Belleville est un recueil de nouvelles toutes plus originales les unes que les autres. Bien qu’assez ordinaires en soi, les vies exposées ici prennent une tournure et un sens souvent singulier grâce à une écriture très particulière qui saisit son lecteur comme il faut.

 

La vingtaine de textes réunis ici proposent une série de portraits atypiques. On part à chaque fois de situations banales avec des hommes et des femmes confrontés à un quotidien routinier et sans surprise. C’est d’ailleurs là où souvent le bât blesse et une réaction, une action ou un hasard de la vie va bousculer les schémas établis ou faire réagir le personnage principal. La nouvelle étant un genre impitoyable car il faut savoir condenser et surprendre, le risque est toujours grand pour un auteur... mais le contrat est rempli dans cet ouvrage qui prend bien souvent le lecteur à rebrousse poil, lui procurant surprises, fascination et faisant émerger des sentiments très contradictoires. Il se dégage pas mal d’ironie et de cynisme dans ces portraits parfois au vitriol, mais en y réfléchissant après lecture, il n’y a pas que cela. C’est un bon résumé en fait de l’humanité, des sentiments et expériences que l’on peut vivre dans une existence. Bon, attention, certains textes dépotent bien tout de même, virent dans le fantastique ou le delirium mais même dans ceux-là la parabole est instructive sur notre espèce et nos défauts.

 

On croise donc de nombreux personnages dans ce recueil, de toutes origines sociales, aux vies diverses et variées. Leur point commun : ils sont slovènes. Leurs noms, leur manière de voir les choses, les lieux qu'ils traversent, les éléments de vocabulaire mis en exergue par un lexique fort original (avec lien connecté sur le net et le site de la maison d’édition pour prolonger le plaisir) dépaysent et charment en même temps. Un VRP impudent, un strip-teaser hypnotisé par un manteau de luxe, une famille coincée dans un embouteillage, une veuve devant mettre en vente une maison, une petite fille qui comprend le langage des oiseaux, un photographe volage, une mère et son fils aux relations troubles, une femme amoureuse malgré l’échec de sa relation et beaucoup d’autres sont au cœur de récits enlevés, bien menés et très variés dans les thèmes abordés. Il est question avant tout du sens de la vie, de notre propension ou non à atteindre le bonheur sous n’importe quel forme : amour, famille, fortune qui sont autant de domaines explorés au scalpel par une auteure qui ne ménage ni ses personnages ni ses lecteurs. En filigrane, la critique est féroce sur la société de consommation, sur les non-dits et les excuses que l’on se donne parfois et qui peuvent nous faire passer à côté de notre vie. Une certaine mélancolie se dégage de ces textes, certes des espoirs sont nourris, des moments passés regrettés rappellent à certains un âge d’or personnel mais ce qui transpire des pages de ce recueil c’est la difficulté de la condition humaine.

 

Pour autant, ce n’est pas un recueil qui vous rendra dépressif, bien au contraire. Le ton du texte, la versatilité du style avec une dose d’érudition dans la syntaxe (jamais gratuite, toujours à bon escient) et la puissance des propos emportent un lecteur conquis et avide d’en lire plus. On rit, on pleure, on s’étonne, on réfléchit, on se retrouve chamboulé, ce recueil propose un peu tout ça avec une ambiance décalée qui fait vraiment plaisir à lire. C’est souvent le cas avec des auteurs des pays de l’est (voir nos chroniques d’ouvrages des maisons d’édition Agullo et Mirobole) et ce serait dommage de passer à côté de ces nouvelles aussi rafraîchissantes et originales. Vous savez ce qu’il vous reste à faire !

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