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Le Capharnaüm Éclairé
26 août 2019

"Avant que j'oublie" d'Anne Pauly

avant que j'oublie

L’histoire : Il y a d’un côté le colosse unijambiste et alcoolique, et tout ce qui va avec : violence conjugale, comportement irrationnel, tragi-comédie du quotidien, un "gros déglingo", dit sa fille, un vrai punk avant l’heure. Il y a de l’autre le lecteur autodidacte de spiritualité orientale, à la sensibilité artistique empêchée, déposant chaque soir un tendre baiser sur le portrait pixelisé de feue son épouse ; mon père, dit sa fille, qu’elle seule semble voir sous les apparences du premier. Il y a enfin une maison, à Carrières-sous-Poissy et un monde anciennement rural et ouvrier.

De cette maison, il va bien falloir faire quelque chose à la mort de ce père Janus, colosse fragile à double face. Capharnaüm invraisemblable, caverne d’Ali-Baba, la maison délabrée devient un réseau infini de signes et de souvenirs pour sa fille qui décide de trier méthodiquement ses affaires. Et puis, un jour, comme venue du passé, et parlant d’outre-tombe, une lettre arrive, qui dit toute la vérité sur ce père aimé auquel, malgré la distance sociale, sa fille ressemble tant.

La critique de Mr K : Retour aux éditions Verdier aujourd’hui avec Avant que j’oublie d’Anne Pauly sorti le 22 août dans le cadre de la Rentrée littéraire 2019. Il s’agit d’un premier roman et sans nul doute marquera t-il les esprits de ses lecteurs comme il a pu le faire avec moi, car cette histoire de deuil à faire et de redécouverte de son géniteur par la narratrice frappe juste et fort pendant les 138 pages qui composent un recueil dont on ne fait qu’une bouchée tant il prend aux tripes et nous interroge profondément.

La narratrice (Anne Pauly) a perdu son père et retourne dans le village où il a vécu pour régler ses dernières affaires. Elle y retrouve son frère qui a gardé beaucoup de griefs à l’endroit de ce père alcoolique et violent auquel il n’a jamais pu vraiment pardonner. Il n’en va pas de même pour la narratrice qui est restée proche de son père malgré une relation alambiquée, semée de joies et de conflits. On suit donc Anne à l’hôpital pour y reconnaître le corps de son père, les arrangements à faire pour la cérémonie de départ, le nécessaire tri des affaires à opérer dans la maison du défunt... Au fil du déroulé, la narratrice se livre énormément sur elle-même et surtout sur ce père désormais absent. Les souvenirs remontent et au contact d’objets ou de documents, des vérités vont surgir à la lumière et nuancer le portrait d‘un père tyrannique en un homme plus complexe qu'il n’y paraît. En redécouvrant son père, c’est finalement une part d’elle-même qu’Anne va explorer avec son lot de révélations et de prises de conscience.

Le sujet du livre est donc loin d’être gai et propre à la rigolade mais je vous rassure de suite, loin de nous mettre le moral à zéro, l’ouvrage se lit sans difficultés et avec un plaisir renouvelé. Le contenu s‘apparente vraiment à un rite de passage, à la description en détail et pudique de l’acceptation de la mort d’un proche. Collant au plus près de ses sentiments et réactions, la narratrice raconte son père, ses relations avec lui, ses contradictions et l’on est profondément touché par ce qu’on nous décrit. Homme tu n’es qu’un homme dit la chanson et ce livre est tout cela : une parcelle d’humanité. Mélancolie, tristesse, ressentiment, respect, amour se mêlent sans ménager le lecteur dans un ensemble cohérent, d’une grande finesse dans leur approche, sans pathos ni larmoiement. Bien que court, l’ouvrage est d’une grande densité avec une économie de mot fort louable. Dès ce premier roman, l’auteure est capable de nous immerger totalement et sans espoir de retour dans cette famille qui a dysfonctionné et sur le destin qui attend les enfants du disparu.

Très direct par le style d’écriture qu’elle adopte, la narratrice / auteure ne nous épargne donc rien de l’expérience qu’elle vit. Le deuil en lui-même est décrit avec nuance pendant les cérémonies, étapes de l’enterrement et même après dans les ultimes chapitres de l’ouvrage. Elle en profite pour nous faire croiser des personnages clés qui enrichissent son parcours intime : son frère qui n’a pas gardé les mêmes rapports avec son père, les connaissances de la famille et leur cortège funéraire avec les paroles si difficiles à trouver dans ces moments là, les vieux amis de son père dont une mystérieuse femme qui posséderait peut-être la clef pour comprendre ce père extravagant. Ces personnages accompagnent Anne, provoquent parfois des flashbacks éclairants. C’est surtout quand elle retourne dans la maison de son père qu’elle va faire des découvertes et enfin appréhender tout un pan de la vie du disparu qu’elle ne connaissait finalement pas autant que cela...

Quête des origines et de soi, Avant que j'oublie est une lecture coup de poing comme je les aime et qui augure déjà d’une belle rentrée littéraire 2019 !

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Commentaires
L
Je n'aurais pas dit mieux ! Un article très bien écrit qui rend parfaitement hommage à un livre très bien écrit !
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