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Le Capharnaüm Éclairé
12 juin 2019

"Le Karaté est un état d'esprit" de Harry Crews

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L’histoire : Après avoir vagabondé à travers les États-Unis, John Kaimon arrive en Floride, où il fait la connaissance d'une petite communauté de karatékas fanatiques. Ceux-ci exercent leur art dans la piscine vide du motel désaffecté où ils ont élu résidence. Plus qu'un simple art martial, c'est un véritable culte auquel s'adonne cette tribu, dont chaque membre a renoncé à sa vie passée ainsi qu'à toute possession matérielle. Seule compte pour eux la pureté de l'esprit. Si Kaimon y trouve d'abord une philosophie de vie satisfaisante, son attirance pour Gaye, une magnifique karateka, va bientôt l'entraîner dans de sulfureuses aventures. Car si l'esprit se doit d'être fort, la chair est parfois bien faible...

La critique de Mr K : Ce livre a une histoire particulière. En effet, Le Karaté est un état d’esprit d’Harry Crews a été écrit en 1972 et n’avait jamais été traduit en français jusqu’à aujourd’hui. C’est Patrick Raynal qui s’y colle pour les éditions Sonatine tout en sachant que cet écrivain a déjà traduit cet auteur culte américain par le passé. Pour ma part, c’est ma première incursion dans l’univers déjanté et farfelu de Crews. Je peux vous dire qu’il faut s’accrocher tant on semble parfois rentrer dans un univers parallèle, on retrouve l’ambiance si particulière des seventies et le plaisir de lecture s’avère délectable.

John Kaimon est un routard qui a bourlingué à travers les États-Unis et l’on sent bien dès le départ qu’il a déjà beaucoup vécu malgré son jeune âge. Il finit par poser ses bagages en Floride suite à une rencontre pour le moins improbable. Dormant à la belle étoile, il devient le spectateur d’une séance d’entraînement sur la plage d’un groupe de karatékas ! Leur chef , un dénommé Belt, lui propose de rejoindre leur communauté qui vit quasiment en autarcie en suivant des règles bien particulières. Partageant leur quotidien, John va s’adapter, tomber sous le charme magnétique d’une jeune femme aux atouts indéniables (la fameuse Gail) puis se rendre compte que se soumettre à certaines règles peut être très difficile voire impossible, lui le beatnik suivant les pas de Jack Kerouac.

Plutôt classique dans sa trame générale, on retrouve des éléments de narration commun à nombre de romans : l’immersion dans un univers décalé et inconnu par un personnage en léger état de faiblesse, la tentation et la passion avec une histoire d’amour compliquée et même impossible par moments, la prise de conscience de réalités cachées derrière le vernis des apparences. Ce qui change tout ici, c’est le ton employé, le côté ubuesque de certains personnages et de certaines situations, les nombreuses surprises qui émaillent le récit avec des personnages originaux et des mésaventures pour le moins inattendues.

Le héros en lui même est plutôt sympathique, plutôt paumé, ayant vécu des expériences traumatisantes (celle avec les nazis made in USA est assez effroyable), ouvert d’esprit, il rentre dans cette communauté sans préjugés. Et pourtant, il aurait pu s’étonner de constater leurs us étranges comme celui de manger uniquement des pilules estampillées viande, légume etc..., leurs rites tournant autour du combat et la spiritualité orientale qui s’en dégage, le fait de donner tout ce que l’on gagne à un gourou proche et lointain à la fois... Véritable secte où se regroupent des personnalités délirantes, différentes et clairement marginales, les losers sont magnifiés avec un sens de la formule toujours franc et direct, des rapports bruts de décoffrage avec son cortège de dérapages incontrôlés.

Cela donne de purs moments de lecture thrash avec notamment des passages érotiques et sensuels d’une force incroyable entre fascination pour les corps mais aussi l’esprit des deux tourtereaux, des scènes de bastons / training alternant zen et parfois éclats de violence fulgurants, des échanges philosophiques et parfois plus directs avec des considérations terre à terre... Ce roman est avant tout un bout d’existence, une fenêtre sur une époque révolue et un peu folle. L’immersion est totale et l’on ne s’ennuie pas une seconde entre ironie cinglante, portrait de freaks et de personnalités décalées qui vivent dans un monde qui les rejette ou du moins ne leur convient pas.

Très agréable à lire avec une langue pour le coup plus que virevoltante, impossible de relâcher Le Karaté est un état d'esprit qui saute à la gorge et vous emporte loin, très loin dans un méli-mélo délirant et cependant révélateur de la réalité de son époque. Harry Crews est un auteur qui vaut le détour et offre un regard acéré et différent qui m’a immédiatement conquis. Une expérience sulfureuse et imprécatoire parfois que je ne peux que vous conseiller.

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Commentaires
E
j'ai lu "body" de lui et ça y ressemble pas mal sauf que c'était du côté des bodybuilders - c'est déjanté à souhait, cette obsession du corps, les personnages loufoques, je m'étais bien amusée mais j'aurais l'impression de me répéter en lisant celui-ci du coup...
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