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Le Capharnaüm Éclairé
2 février 2019

"La Prisonnière du Djebel" de Didier Daeninckx

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L'histoire : Pendant 50 ans, Gilbert a gardé le silence. Il n’a jamais osé dire à ses proches qu’il avait servi dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Mais un jour son petit-fils Éric trouve un paquet contenant un pistolet, de vieilles cartes postales d’Algérie, et une photo jaunie.

La critique de Mr K : Chronique aujourd'hui d'un cadeau de noël offert par ma douce. La Prisonnière du Djebel de Didier Daeninckx revient sur une partie sombre et occultée de notre histoire nationale : la Guerre d'Algérie. À travers le récit des confessions d'un ancien soldat à son petit fils, l'auteur aborde un épisode plus qu'épineux de notre passé et explore les mécanismes de la mémoire et de la honte. Dans une deuxième partie, Daeninckx nous livre beaucoup d'éléments, d'explications dans une passionnante interview qui clôture l'ouvrage. Ce fut une lecture rapide, passionnante et percutante comme vous allez le voir.

Suite à un dégât des eaux survenu dans l'appartement qu'il tient de son grand-père, le narrateur amorce des travaux. C'est ainsi qu'il tombe de manière impromptue sur une boîte cachée derrière une trappe d'accès de la baignoire. Il y trouve quelques objets, un ancien pistolet et une mystérieuse photo d'une prisonnière ligotée à un arbre mort. Intrigué par cette découverte, il profite d'un voyage dans son sud-ouest natal pour interroger son grand-père sur ces trouvailles. Le jeune homme se rend compte très vite qu'il touche à un sujet sensible, son aïeul se réfugie d'abord dans une fin de non-recevoir et un certain agacement. Mais cette piqûre de rappel va travailler le grand père toute une nuit, libérer des secrets qu'il va ensuite livrer au compte-gouttes, révélant des aspects de sa vie qu'il n'avait jamais confié à personne auparavant...

Nouvelle d'une soixantaine de pages, ce texte est d'une beauté tragique et d'une intensité à couper le souffle. On suit ainsi le narrateur qui retourne dans le village de son enfance qui a bien changé et empli son coeur d'une mélancolie palpable à chaque mot. La modernisation du monde est passée par là, les habitudes, les coutumes, les gens ont changé. Ce naturalisme juste et touchant se voit transcender par la figure du grand-père, qui lui, est resté le même et vit de manière recluse depuis la mort de sa femme. Entre promenades dans le secteur et discussions plus intimes, le vieil homme va finir par se livrer avec pudeur et un peu de honte. Ce destin de jeune embrigadé quasiment de force marque l'esprit du lecteur durablement, absorbé que l'on est par le poids qui semble peser sur le vieil homme. En filigrane, son portrait traduit bien le désarroi qui a pu habiter certains vétérans de cette sale guerre dont l’État a tu la nature exacte pendant très longtemps. Depuis l'écriture de ce livre en 2012, François Hollande en tant que Président de la République a fait acte de repentance au nom de la Nation, il était temps...

Il est donc ici question de Raison d'État, d'une guerre qui en fait a duré bien plus longtemps car débutée depuis 1830, date de la colonisation de l'Algérie par la France et qui depuis avait un souci constant de maintien de l'ordre. Dans l’interview, l'auteur donne foule de renseignements et de détails pour mieux comprendre la colère, le ressentiment et l'incompréhension qui ont pu naître entre les deux camps. Injustice politique, sociale et économique conjuguées avec valeurs des Lumières et Droits de l'Homme ne font pas bon ménage et soulignent les contradictions de notre pays à l'époque (et encore aujourd'hui d'ailleurs...). Ce roman nous propose de regarder l'Histoire en face, sans concessions et surtout dans une quête de vérité que je trouve salutaire et obligatoire dans un pays comme le nôtre qui se prétend démocratique.

La Prisonnière du Djebel est très efficace et abordable car par le truchement de révélations au sein d'une famille lambda, Daeninckx fournit une nouvelle qui conjugue exigence historique et belle histoire de libération intime. Une fois débuté, il est impossible de relâcher cet ouvrage qui nous fait passer par toutes les émotions. À lire absolument et à transmettre, cette oeuvre est essentielle dans son genre !

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Lumière noire
- Nazis dans le métro
- Métropolice
- Main courante et autres lieux

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