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Le Capharnaüm Éclairé
22 janvier 2019

"Ces femmes-là" de Gérard Mordillat

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L'histoire : Personne n’avait jamais entendu un tel rugissement. Personne n’avait jamais vu ça : les jeunes, les vieilles, les vierges, les prostituées, les amoureuses, les musulmanes, les Africaines, les Asiatiques, les échevelées, les tondues, les sévères, les robes rouges, les pantalons noirs, les beautés, les disgraciées, les en fauteuil, les béquillardes, les sirènes, les gorgones, les talons hauts, les chaussures basses, les myopes, les lunettes noires, les battues, les battantes, les voilées, les seins nus, les callipyges, les hurleuses, les timides, les grandes, les petites, les grosse s dondons, les fils de fer, les roploplos, les œufs au plat, les révoltées, les rebelles, les révolutionnaires...

Elles étaient le chaos, l’insurrection.

La critique de Mr K : Depuis ma lecture de La Tour abolie, Gérard Mordillat est rentré dans le cercle fermé de mes auteurs favoris. Clairement engagé à gauche, possédant une écriture gouleyante et parfois vertigineuse (il y a un peu de Teulé chez lui), il m'avait emporté avec lui le long d'un récit puissant et lourd de sens en sous-texte. Avec cette quatrième de couverture nébuleuse sans réel résumé du contenu, Ces femmes-là s'annonçait axé sur les femmes et leur combat perpétuel contre le machisme institutionnalisé. Il y a de ça mais pas seulement, et au final, c'est un brûlot impitoyable et clairement ancré dans notre réalité du moment qui nous est proposé. Ce fut une lecture éclair et passionnante malgré quelques défauts mineurs.

L'action se déroule en France en 2024, année où notre pays accueille les Jeux Olympiques d'été. La République a bien changé, cédant aux sirènes du populisme réactionnaire, la dictature n'est plus très loin. Médias aux ordres, forces de l'ordre paramilitaires présentes partout, censure étatique quasi complète et surveillance généralisée sont de rigueur. Il ne manque plus grand chose pour que l'on bascule dans le régime totalitaire. Pour autant, les forces progressistes n'ont pas dit leur dernier mot, une grande manifestation se prépare en plein cœur de Paris.

Divisé en trois parties, l'ouvrage se passe avant, pendant et après cet événement en suivant le parcours d'une cinquantaine de personnages d'origines très diverses : cela va de la simple femme de ménage d'origine maghrébine jusqu'aux ministres les plus influents. À travers ce panel très large, dans un premier temps l'auteur plante le décor et décrit les forces en présence. La démocratie n'existe plus vraiment, les pratiques et les valeurs en cours n'étant plus solubles avec la notion de droits de l'homme, notre devise républicaine et l'État de droit. Réaliste et pessimiste à la fois, l'état des lieux fait froid dans le dos, le pire étant que cela pourrait être dans l'ordre du possible. L'anticipation est réussie et cynique à souhait, et s'inscrit dans la digne logique des derniers développement de notre société : l'ultra-libéralisme et la course à l'individualisme (avec la fin programmée des services publics notamment), la montée de lois liberticides au nom de la sacro-sainte sécurité, la montée des extrêmes de tout bord qui servent les ambitions politiques de certains et pour chaque aspect abordé, la domination de la femme qui revient comme dénominateur commun sous diverses formes.

C’est au fil de la lecture que les figures féminines se révèlent et se développent. Plus ou moins effacées ou sous le joug d'un mari, d'un amant, d'un patron ; peu à peu une conscience commune se réveille et verra sa révélation dans la deuxième partie du livre. Variées, non schématiques, complexes et tantôt agaçantes ou fascinantes, ces femmes ont toutes à leur manière leurs fiertés, leurs faiblesses et leurs velléités de libération. Les parcours sont divers, les idées politiques et sociales divergent énormément mais elles prennent peu à peu le pas sur les hommes qui tour à tour disparaissent ou doivent se cacher pour éviter l'arrestation voir la suppression. Le roman en cela est bouillonnant, ne s'attarde pas plus de quatre pages sur chaque personnage, alternant les points de vue, les croisant pour fournir une histoire dense où les interactions sont nombreuses sous fond d'un climat général inquiétant. La tension est palpable dès les premières lignes et ne nous quitte pas, montant crescendo et n'hésitant pas à frapper là où ça fait mal : désir, jalousie, quête insensée du pouvoir sans repères moraux, clichés et raccourcis, violence physique et mentale, contrôle des masses, abrutissement généralisé...

Cela ne vous rappelle rien ? À mes yeux ce roman fait furieusement écho à notre époque avec la philosophie politique libérale de M. Macron qui aliène les pauvres au profit d'une caste dirigeante déconnectée des réalités de terrain, une télévision et un internet poubelle qui servent la soupe au pouvoir et développent par là même la montée des intégrismes, la criminalisation et la culpabilisation des oppositions montrées comme dangereuses et irresponsable, des Benalla qui font ce qu'il veulent où ils veulent sans réels garde-fou, le durcissement de l'ordre républicain avec son cortège de bavures... Ce roman est un bon résumé de la situation actuelle avec le prisme d'une pensée libertaire et progressiste.

Alors effectivement, certains personnages et situations sont poussées à l'extrême. Je trouve que par moment, ça manque un peu de finesse avec des personnages repoussoirs vraiment exagérés et des figures vertueuses quasiment parfaites. Le trait est parfois grossier, le langage rugueux mais il me semble nécessaire dans notre époque aseptisée que les œuvres soient percutantes et sans concession. Ce livre en fait partie et a le mérite d'exister. Au final, la mécanique fonctionne, soulignant l'incurie des puissants, la bêtise crasse qui est le point commun de beaucoup d'êtres humains quelque soit leur origine. Personne au final n'est épargné et long et difficile est le chemin vers la réconciliation et la concorde. Œuvre utopiste par excellence, on se plaît à croire qu'un avenir meilleur est possible et qu'il passerait par la gente féminine...

Une fois cette lecture débutée, il est tout bonnement impossible de relâcher le volume. Rythme rapide, caractérisation au cordeau avec des ramifications nombreuses et bien senties ; on avance dans la lecture tranquillement et sûrement. La pression monte vite, impossible de pouvoir s'en extraire, elle nous poursuit même lorsque l'on fait des pauses. Évidemment, si votre sensibilité vous porte à droite ou plus loin, inutile de vous dire que ce roman n'est pas fait pour vous mais si vos idéaux vous porte vers plus de liberté, une libération des consciences, une meilleure répartition des richesses et une égalité totale entre hommes et femmes, ce livre est fait pour vous avec un acte final apocalyptique à souhait. Un bonheur de subversion positive à savourer et à propager. No pasaran !

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