"La Mort vivante" de Stefan Wul
L'histoire : Loin de la terre désertée, Joachim désire poursuivre des recherches biologiques en un temps où le Consistoire l'interdit, car, désormais, la hiérarchie religieuse a reconquis sa toute-puissance.
Il fuira donc une planète d'exil pour poursuivre ses travaux en toute liberté.
Martha a vu mourir sa fille. Elle dispose de la puissance et de la fortune. Joachim ne peut ressusciter la fille de Martha, mais, peut-être est-il en son pouvoir d'en créer, l'exacte réplique.
Au risque de déchaîner La mort vivante.
La critique de Mr K : Petit trip revival SF avec La Mort vivante de Stefan Wul. Dégoté à notre Emmaüs préféré pour un prix modique, j'aime à l'occasion replonger dans des ouvrages des années 70. On y trouve souvent une fraîcheur dans l'écriture et des thématiques transgressives de bon aloi dans notre époque actuelle bien trop sage à mon goût et plutôt dans une optique réactionnaire depuis quelques temps. Dans cet ouvrage, il est question de recherche scientifique et notamment de la notion de Création. À la manière d'un baron de Frankenstein dont la créature lui échappe, Joachim est lui aussi un Prométhée mais des temps futurs ! Sous ses airs de ne pas y toucher et de série B littéraire assumée, ce livre va très loin et m'a ravi !
Joachim, un biologiste vénusien voit ses activités scientifiques bridées par la théocratie au pouvoir qui encadre sévèrement tous les aspects de la société au nom d'une foi unique et omnipotente. Le vieil homme s'en accommode malgré des regrets, il ne peut poursuivre ses travaux comme il le souhaite et sent bien qu'il est à deux doigts d'une découverte fondamentale. C'est dans cette période de doute qu'un étrange colporteur toque à sa porte et lui propose de lui vendre de vieux ouvrages mis à l'index par le pouvoir en place. Peu à peu se noue une relation faite d'attirance et de répulsion, le scientifique étant partagé entre son appétit inextinguible en matière de connaissances et la menace d'être mis au ban de la société à laquelle il appartient. De fil en aiguille, Joachim va apprendre l'existence d'une organisation basée sur Terre et dont fait partie le marchand itinérant.
Exilé de force par sa nouvelle relation, Joachim fait alors connaissance du chef de cette organisation : Martha. Endeuillée par la mort de sa petite fille suite à la morsure d'un animal venimeux, elle ne se remet pas de cette perte à priori irréparable... Joachim comprend mieux alors pourquoi il a été enlevé et mené sur Terre : il travaille justement sur une technique de reproduction asexuée, méthode de clonage qui s'offre comme une solution miraculeuse pour opérer la résurrection de la jeune disparue. À partir de tissus prélevés sur le cadavre, il va tenter l'impossible : rendre une fille décédée à sa mère. Tout paraît bien se passer au départ mais attention... à vouloir jouer à Dieu, on réveille souvent des forces insoupçonnées. Gare aux conséquences !
En 153 pages, l'auteur réussit le tour de force de nous proposer une histoire prenante, au suspens insoutenable et au sous-texte riche. Ne perdant pas beaucoup de temps pour planter le décor, le background et caractériser ses personnages, Stefan Wul privilégie clairement les événements, leur enchaînement et leur amplification. Quelle tension crescendo durant tout le roman ! Partant de la traditionnelle opposition entre Foi et Raison, les vingt premières pages sont un modèle du genre. On s'oriente ensuite sur un récit d'expérimentation scientifique à la manière du classique de Shelley évoqué en ouverture de chronique. Les meilleures intentions menant souvent au pire, l'expérience dérape et l'on ne sait plus à quel saint se vouer. Le clonage initial se révèle être vite être le truchement d'un être humain et quelque chose d'autre, une entité insatiable qui va grandir, grossir et dont on ne peut garantir le contrôle ! En parallèle par petites touches au milieu d'événements qui les dépassent, on explore aussi les destinées de Joachim et Martha entre amour naissant, affres de la parentalité et obsessions qui peuvent en découler...
Très série B dans son écriture, simplissime à comprendre au départ, aux deux-tiers on vire dans l'abstraction, le délire mental (la couverture m'avait déjà mis sur la voie...). Au delà du mythe du Prométhée à la sauce SF, c'est l'humanité, son libre-arbitre et sa soif de connaissance qui est ici questionnée. Quelles limites doit-on poser à la science ? La Foi apporte-t-elle toutes les réponses ? Le dénouement dramatique remet tous les compteurs à zéro et m'a paru d'une logique implacable et assez jouissive dans son genre. Sans concessions, ce roman laisse peu d'espace à l'espoir mais nous marque durablement par sa vision globale pessimiste d'une terrible actualité. Un très bon moment de lecture que je ne peux que conseiller à tous les afficionados de SF vintage. Stefan Wul a encore frappé !
Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Oms en série
- Le Temple du passé
- Niourk