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Le Capharnaüm Éclairé
10 janvier 2019

"L'Empreinte" d'Alexandria Marzano-Lesnevich

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L'histoire : Étudiante en droit à Harvard, l'auteure relate sa rencontre avec Rick Langley, un meurtrier emprisonné en Louisiane pour un crime particulièrement sordide. Opposante résolue à la peine de mort jusqu'à ce jour, la confession du tueur ébranle sa conviction. En enquêtant sur cette affaire, elle découvre alors les mobiles de celui-ci qui, à sa grande surprise, font écho à son histoire personnelle.

La critique de Mr K : Chronique d'un livre bien particulier aujourd'hui, celui d'un récit mêlant l'autobiographie, l'écrit journalistique, le thriller et le roman noir. L'Empreinte d'Alexandria Marzano-Lesnevich est vraiment marquant à sa façon car l'auteur tout en nous relatant une affaire criminelle atroce fait le lien avec son propre passé, livrant des révélations terrifiantes sur sa famille et ce qu'elle a vécu dans sa jeunesse. Se basant sur ses souvenirs, sur des témoignages et des documents des tribunaux, elle va poursuivre une quête de vérité éprouvante et tâcher de lever le voile sur les zones d'ombres de sa propre existence. Le voyage est à sens unique et tout bonnement prodigieux quoique bien rude...

Tout commence avec un stage que l'auteure fait auprès d'un cabinet d'avocats de Louisiane. Elle va y faire connaissance du cas judiciaire Ricky Langley, pédophile condamné à mort pour le meurtre par strangulation d'un petit garçon de six ans. Malgré sa passion pour la justice, sa vision humaniste et progressiste, elle est choquée par ce fait divers épouvantable et tout ce qui l'entoure. Ses convictions profondes s'en voient ébranlées, allant jusqu'à remettre en cause un temps son opposition à la peine capitale. Mais cette réaction en cache une autre beaucoup plus profonde, cette affaire fait remonter à la surface sa propre vie et notamment les abus dont elle a été victime plus jeune. Peu à peu, au fil de ses investigations, des parallèles vont se construire entre son histoire et celle de Ricky provoquant la résurgence de sentiments enfouis et refaçonnant sa vision de la justice et de la rédemption.

Durant les deux-tiers de l'ouvrage, on alterne donc les chapitres entre l'enquête type journalistique qu'opère l'auteure et des chapitres plus intimistes où elle revient sur les débuts de sa vie. Très documentée et déterminée à éclairer au mieux l'affaire Langley, tout est détaillé et minutieux comme un travail d'avocat ou de journaliste d'investigation. Ainsi, on suit heure par heure les recherches entamées suite à la disparition de Jérémy (la jeune victime de Langley), le parcours de Ricky avant le moment fatal depuis sa naissance (et même un peu avant...) avec son lot d'aléas qui forgent une existence et ses différents procès et séjours en prison, les témoignages de sa famille, de ses proches et de ceux qui l'ont connu de près ou de loin. Certes, il a fallu broder un petit peu en terme d'expression des sentiments, des vêtements portés, des attitudes mais Alexandria Marzano-Lesnevich a tout fait pour rester collée à son sujet sans en rajouter. Cela donne des pages écrites de manière simple et efficace, sans recherche de stylistique particulière. L'objectif est pleinement atteint avec un portrait et une biographie complète, oscillant entre banalisation du mal et pathétisme, laissant le lecteur circonspect et un peu paumé face à la figure de Ricky Langley qui n'est finalement qu'une chose : un homme. Un homme malade, mais un homme quand même...

On retrouve le même sens de la nuance et de l'analyse dans la partie plus intime du livre qui relève je trouve du tour de force. On va très loin dans l'introspection et l'analyse de soi et des siens. Issue d'une famille plutôt aisée (ses deux parents sont avocats), tout semble sourire à l'auteure mais un mal profond la hante depuis toute petite. Abusée régulièrement par un membre de sa famille, elle cachera longtemps son traumatisme et quand celui-ci sera révélé, certains membres de la famille feront comme si rien ne s'était passé. Ce récit est donc une fenêtre ouverte sur la formation de soi malgré les obstacles, la quête de son identité et de sa liberté. Par petites touches successives, en faisant le lien avec des choses lues ou apprises sur Ricky, l'auteure cherche à comprendre avant tout qui elle est et comment on essaie de se comprendre les uns les autres. Vous admettrez que le sujet est passionnant et il est très bien relevé dans cet écrit à la fois pudique, froid et où la subjectivité est écartée au profit de la raison. Certes cela donne des passages assez éprouvants à lire (il y a des choses du domaine de l'indicible pour moi) mais on ne perd aucunement son temps avec cette lecture, on s'enrichit et l'on s'interroge comme jamais.

Pas de personnages donc, il n'y a que des personnes ayant vraiment existé qui hantent littéralement ce volume. Certains ont vu leur nom changé mais l'essentiel est là : on a affaire à la réalité, à quelque chose qui marque forcément au fer rouge car rien n'est imaginé ou du domaine de l’exagération. En cela, ce livre est un choc pour moi car je suis un gros amateur et consommateur de fiction, je ne lis que très rarement des documentaires ou des enquêtes. L'empathie fonctionne ici deux fois plus et chaque chapitre est l’occasion de ressentir des émotions fortes. Au delà de l'affaire criminelle et des abus incestueux, ce livre donne à voir une Amérique en perte de vitesse par rapport à son standing de vie, son rêve américain (toute la partie concernant Ricky) mais aussi sur les difficultés internes à certaines familles US (réaction des parents de l'auteure vis-à-vis de leur fille notamment, les parents de Ricky et leurs proches). On ressort tout chamboulé de cette lecture et par certains aspects on ne peut que penser à la série documentaire Making a Murderer qui m'avait bien plu lors de son visionnage.

Malgré des thèmes et un fond éprouvants, ce livre se lit très bien et très vite. L'auteure est douée dans sa manière d'emmener les éléments de réflexions, de les faire se répercuter les uns les autres et de construire une trame globale qui se révèle au final apaisante car dans la colère ne se trouve jamais la solution et dans la compréhension se joue la sérénité des âmes perturbées (même si le pardon n'est pas obligatoire). Bien écrit, mené de main de maître alors qu'elle parle beaucoup d'elle-même, on aboutit sur une lecture assez incroyable, différente et source de réflexion.

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