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Le Capharnaüm Éclairé
4 janvier 2019

"Vesoul, le 7 janvier 2015" de Quentin Mouron

L'histoire : Vesoul, le 6 janvier 2015. Les rues bourdonnent : des manifestations, un salon du livre, une fête des sexualités inclusives, des antispécistes, des masculinistes, des nains, des banquiers, des poètes, des fascistes, le Hezbollah, deux prêtres en goguette.

 

Vesoul, le 7 janvier 2015. un congrès, des cadres dynamiques, un humoriste québécois, des gameuses en extase, des youtubers ivres, une poétesse qui mange du poulpe.

 

Paris, le 7 janvier 2015. Des coups de feu, des sirènes, une rédaction décimée, des marches blanches, bleues et rouges, des larmes – et de l'hypocrisie.

 

La critique de Mr K : Attention OLNI ! Oui, avec Vesoul, le 7 janvier 2015 de Quentin Mouron, on peut véritablement parler d'Objet Littéraire Non Identifié tant il ne ressemble à rien d'autre, mêlant subtilement roman picaresque, farce, cynisme et dénonciation du monde actuel. Composé d'à peine 110 pages, ce brûlot élégant se lit vite, tout seul et l'on se prend à y repenser longtemps après sa lecture. Gage de qualité, non ?

 

Écrit à la première personne du singulier, le narrateur est un jeune homme qui a tout plaqué en Suisse pour traverser la frontière française. Ceci fait, en faisant du stop, il est pris par un cadre supérieur (un certain Saint Preux...) qui se rend à un congrès dans la ville de Vesoul. De fil en aiguille et de manière un peu ubuesque (à peine, à peine...), il le choisit comme maître et va suivre son chauffeur dans un périple des plus absurdes car une fois sur place, il s'en passe de belles... La municipalité de Vesoul, le temps d'une journée, laisse une liberté d'expression totale s'exprimer dans les rues : Saint Preux et son nouveau disciple vont visiter une exposition poétique novatrice, participer à une fête de la sexualité arty et débridée, croiser des manifestants de tout horizon (nains, Hezbollah, Nazis...) et finir par aller au congrès durant lequel ils apprendront la terrible nouvelle des attentats contre Charlie Hebdo.

 

On a affaire ici à une farce. N'attendez pas de cette lecture, une histoire et une analyse classique. Second degré, ironie et cynisme se mêlent pour donner un ton original et décalé à un texte gouleyant à souhait, où le surréalisme de certaines situations le dispute au pastiche. Volontiers hyperbolique, l'exagération nourrit la réflexion et au travers des déboires des deux protagonistes principaux et des rencontres qu'ils vont faire, l'humanité est passée au crible et nos défauts sont bien nombreux! Quantité de thématiques sont abordées avec un sens de la formule et de la dérision qui ne se dément jamais tout au long de l'ouvrage.

 

Ainsi il est notamment question des inégalités sociales avec cette sensation que parfois le monde nous échappe et n'appartient qu'à une certaines caste émergente qui ne réfléchit et n'agit qu'à partir d'un seul facteur : l'argent et la manière d'en amasser toujours plus. On croise des puissants et des déshérités, l'auteur se plaisant à nullifier les seconds dans un style ironique mordant. Il est aussi question de l'extrémisme, de sa dangerosité rampante qui peut gagner du terrain très rapidement selon les circonstances du moment (nationalisme, fanatisme religieux, communautarisme à tout va). Et puis, en filigrane, le récit traite de l'illusion que l'on peut nourrir parfois autour de l'idée d'une Nation unie, ne formant qu'une seule âme (réactions après l'attentat notamment). Très temporaire, ce sentiment de convergence morale et cet engagement se transforme en quelque chose de protéiforme et presque d'hideux par moment.

 

On rit beaucoup pendant ce roman, mais c'est un rire jaune très grinçant. Le réquisitoire est terrible et sans appel, laissant le lecteur possédé par une langue inventive et volontairement érudite. Un livre étonnant et détonant que je vous invite à découvrir au plus vite si vous êtes amateur de lecture différente, déjantée et en prise avec le monde actuel.

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