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Le Capharnaüm Éclairé
23 octobre 2018

"Minuit vingt" de Daniel Galera

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L'histoire : Dans un Porto Alegre accablé par la chaleur et paralysé par une grève des transports, trois amis se retrouvent plus de vingt ans après s’être perdus de vue. À la fin des années 1990, ils avaient lancé un célèbre fanzine numérique, et ce qui les réunit aujourd’hui, c’est la mort du quatrième membre de la bande ; devenu entre-temps un écrivain très en vue sur la scène brésilienne : Andrei Dukelsky, surnommé "Duc", assassiné en pleine rue pour un stupide vol de portable.

À l’occasion de ces retrouvailles, chacun des trois personnages raconte sa propre histoire à la façon d’un puzzle et se remémore le tournant du millénaire, esquissant le portrait incertain de l’ami disparu et le roman d’une génération qui doit tout réinventer, à commencer par son rapport au monde à l'heure d’Internet et des réseaux sociaux.

La critique de Mr K : Petit voyage crépusculaire avec ma chronique du jour consacrée à Minuit vingt de Daniel Galera, jeune auteur brésilien que je découvre pour l'occasion. Étrange roman que celui-ci, inclassable dans son genre, on navigue entre drame intimiste, récit de vie et réflexion sur notre monde qui change à une vitesse folle et nous laisse parfois sans voix et avec un goût amer en bouche.

Tout débute avec la disparition brutale d'un homme suite à une banale agression pour un portable. On suit à travers divers chapitres, les réactions et existences de ses anciens amis. Le petit groupe avait un temps participer à l'élaboration, l'écriture et la diffusion d'un magazine numérique. Ils s'étaient éloignés les uns des autres avec le temps et avaient mené leurs barques dans des directions différentes. Tour à tour, on suit leurs errances, pensées et leurs réactions, le tout parsemé de flashbacks. Les informations se croisent et se recroisent, des pans du passé sont révélés et à travers ces destinées individuelles, l'auteur nous livre le portrait de notre génération et celui d'un monde qui semble parfois ne pas tourner rond (souvent en fait !).

De l'annonce de la mort de l'ami disparu à son enterrement, à travers les réflexions personnelles et les actes de ses personnages, l'auteur élabore un tableau inquiétant de notre humanité qui semble disparaître au profit des apparences, des réseaux pseudo sociaux et le développement humain qui sacrifie la planète et la morale la plus élémentaire. Des passages font vraiment froid dans le dos avec par exemple la course à la technologie qui pousse certains parents à caler leur progéniture devant des écrans dès leur plus jeune âge ou des chercheurs a toujours aller plus loin dans la recherche génétique pour nourrir toutes les populations au détriment de l'équilibre naturel (la fameuse thèse sur la canne à sucre qu'une des protagonistes travaille d'arrache-pied).

Et puis, il y a cette course frénétique à l'individualisme qui débouche notamment sur ce sentiment de solitude extrême qui semble habiter les personnages avec la course au sexe solitaire qui isole un homme de sa compagne et de son enfant, les réseaux sociaux qui peuvent dévorer ses addicts, l'utilisation massive de psychotropes pour se cacher et fuir une réalité devenue insupportable. Des âmes errantes et grises peuplent ces pages, une grande mélancolie s'en échappe. A chercher l'essentiel, on s'en écarte inexorablement. Cette mort abrupte a un effet catalyseur qui semble éloigner les protagoniste de toute possibilité de bonheur. C'est assez pesant et cela ne fait que s'accentuer au fil des pages. J'ai aussi apprécié (malgré un certain dégoût) que ce livre nous parle du fléau machiste qui loin d'être éradiqué s'exerce encore un peu partout (le passage sur la soutenance de thèse est criant de vérité et totalement insupportable). Tous ces thèmes assez disparates sont tous abordés avec subtilité et contribuent à la forte densité thématique d'un ouvrage qui se lit très facilement.

L'alternance des points de vue dynamite le récit pourtant à priori classique. La langue simple, souple, parfois très crue (les âmes chastes vont se voir secouer) amène un plaisir de lire quasi immédiat si ce n'est certaines digressions que j'ai trouvé parfois trop appuyées et faisant diverger le livre de ses objectifs. Ainsi les personnages sont ciselés, intéressants et d'une grande profondeur mais certains aspects auraient mérité d'être seulement évoqués sans rentrer dans les détails. J'ai trouvé que le rythme s'en voyait alourdi sans pour autant apporter quoique ce soit d'utile à la trame principale et au portrait de l'humanité qu'on nous livre.

Reste que Minuit vingt est un ouvrage fascinant, différent de ce que l'on lit maintenant, très contemporain, au ton juste et au retentissement intérieur assez bluffant (parallèle avec le mythe de Sisyphe qui pour ma part m'a profondément marqué). J'aime être bousculé et Daniel Galera a réussi là où beaucoup d'autres ont pu échouer avant lui : voir le monde tel qu'il est sans fioriture avec une grille de lecture originale attachée à la quête de vérité. Un roman à part.

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