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Le Capharnaüm Éclairé
21 mai 2018

"Persistance de la vision" de John Varley

persistancedelavision

L’histoire : Être homme ou femme, quelle importance quand on peut changer de sexe à volonté ? Être jeune ou vieux, beau ou laid, où est le problème quand l’ingénierie génétique vous rapetisse ou vous rallonge, vous greffe un œil ou un poumon aussi facilement que vous rafistolez votre mobylette ? Et la mort direz-vous ? Eh bien, vous la saluerez d’un pied de nez puisque votre banque a stocké vos gènes et vous fabriquera un clone si vous succombez à un accident ! À condition évidemment, que vous ne restiez pas coincé dans l’ordinateur...

La critique de Mr K : Retour à la SF aujourd’hui avec une chronique concernant un recueil de quatre nouvelles de John Varley : Persistance de la vision date de 1978. Je l’ai dégoté lors d’un chinage de plus chez notre abbé préféré, ne demandant qu’à être embarqué : couverture fascinante, quatrième de couverture intrigante et une réputation flatteuse de l’auteur m’ont convaincu de l’adopter et de lui faire rejoindre ma PAL dont il est d’ailleurs sorti très vite ! Force est de constater que malgré ses quarante ans d’âge, cet ouvrage a gardé toute sa force évocatrice et interroge toujours autant sur notre nature profonde et la course à la technologie.

Dans le chaudron, la nouvelle qui ouvre le recueil nous propose de suivre le sillage de Kiku, un géologue amateur de Mars qui décide de prendre des vacances sur Vénus pour assouvir sa passion et donner du peps à son existence devenue aseptisée. Dans ce futur lointain, les êtres humains ont une longévité accrue, il a soixante-treize ans mais en paraît trente grâce à la technologie médicale qui permet de remplacer n’importe quel organe ou partie du corps en un temps trois mouvements, du moins si l’on est assez fortuné pour cela. Sur Vénus, il va rencontrer une jeune femme étrange qui va s’improviser guide et le sensibiliser malgré lui à des aspects méconnus de sa personnalité et de sa vie. On vire, vous l’avez compris, dans le voyage initiatique, la prise de conscience de soi et l’ouverture à l’autre. Un pur plaisir de lecture qui fait la part belle à l’humanisme et le retour à la simplicité des choses.

La nouvelle suivante qui s’intitule Dansez, chantez voit un homme et son symbiose doué de raison aborder une base spatiale où ils vont vendre un morceau de musique de leur composition. Très étrange, il faut s’accrocher lors de cette lecture qui sort des sentiers battus car l’auteur aime à faire se chevaucher les points de vue et l’on s’égare facilement. On se rend finalement vite compte que l’intérêt réside dans le dialogue avec l’habitante principale de la station (la bien nommée Xylophone -sic-) qui symbolise l’humanité perdue du héros qui n’éprouve plus le monde que grâce au symbiose qui l’enveloppe, coexiste avec lui et lui fournit des sensations pré-calculées. Clairement, cette nouvelle fait froid dans le dos et propose une vision très pessimiste de l’humain qui se déshumanise irrémédiablement, confiant ses sentiments et ressentis à une entité étrangère. Très très dérangeant.

Trou de mémoire reste dans le domaine de la réflexion sur l’humain et son âme. Dans cette nouvelle, le héros transfère son esprit dans un animal pour goûter à la vie sauvage le temps de quelques heures, son corps étant conservé bien au chaud en attendant. Malheureusement pour lui, la société concernée l’a égaré et nous suivons donc l’esprit du patient en perdition dans un bloc mémoriel informatisé. Visions délirantes, angoisses prégnantes et plans sur la comète l’assaillent et nous suivons bouche bée un voyage intérieur vraiment tripant. Désarçonnant mais compréhensible, ce récit m’a vraiment séduit par les thématiques qu’il aborde et que l’on peut facilement transposer à soi, comme si cette expérience malheureuse avait le don de révéler au héros malheureux les priorités à suivre dans une vie humaine. Un petit bijou bien psychédélique et en même temps fort éclairant.

Le recueil se termine avec Les yeux de la nuit, récit un peu plus long que l’on pourrait apparenter à un croisement bien strange entre Sur la route de Kerouac et Les portes de la perception d’Huxley (deux classiques cela va sans dire !). Seul récit se déroulant au XXème siècle mais dans une dystopie où le monde est en bien piteux état avec des crises économiques à répétition, des accidents nucléaires notamment ; le héros décide de partir vers la Californie, toujours plus loin vers l’ouest. Il cumule les expériences jusqu’à sa découverte d’une communauté de sourds, aveugles et muets à laquelle il va s’attacher et se mêler. Il va y faire de nombreuses expériences et notamment y apprendre un langage unique basé sur le corps. Découverte de l’autre, communautarisme bienveillant et pacifique, unité totale du groupe et effacement de l’individu l’amènent à penser autrement, à sortir des carcans dans lesquels il s’enfermait. Poésie, sensualité et tendresse sont au RDV d’une nouvelle différente des autres sur laquelle souffle une étrangeté bienvenue qui donne à voir une forme d’utopie tout droit sortie des seventies.

Au final, ce fut une lecture vraiment différente de ce que je peux lire d’habitude en SF. Réflexive, tordue, poétique, prospective, le voyage est vraiment séduisant, alterne moment barrés et passages plus paisibles avec au centre des préoccupations la notion d’humanité, de progrès scientifique périlleux et de partage. C’est à la fois beau, troublant et cela provoque de nombreuses réflexions pour le lecteur curieux d’en apprendre plus et de partir loin, très loin au détour de textes marquants et que l’on parcourt avec un plaisir renouvelé. Une belle expérience que je vous invite à tenter si vous êtes amateur d’une SF différente.

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