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Le Capharnaüm Éclairé
6 avril 2018

"Goodbye, Loretta" de Shawn Vestal

L’histoire : Short Creek, Arizona, 1974. Loretta, quinze ans, vit au sein d’une communauté de mormons fondamentalistes et polygames. Le jour, elle se plie à l’austérité des siens, la nuit, elle fait le mur et retrouve son petit ami. Pour mettre un terme à ses escapades nocturnes, ses parents la marient de force à Dean Harder, qui a trente ans de plus qu’elle, une première femme et déjà sept enfants...

 

Loretta se glisse tant bien que mal dans son rôle d’"épouse-sœur", mais continue à rêver d’une autre vie, qu’elle ne connaît qu’à travers les magazines. La chance se présente finalement sous les traits de Jason, le neveu de Dean, fan de Led Zeppelin et du Seigneur des anneaux, qui voue un culte au cascadeur Evel Kneievel. C’est le début d’une aventure mémorable aux allures de road trip vers la liberté qui va vite se heurter à la réalité...

 

La critique de Mr K : Nouvelle bonne pioche dans la collection Terres d’Amérique d’Albin Michel avec ce Goodbye, Loretta de Shawn Vestal, un roman magistral se déroulant dans une Amérique seventies entre traditions et aspirations nouvelles, choc de deux mondes, de deux manières de voir les choses qui s’entrechoquent et finissent par se séparer. Attachez vos ceintures et plongez avec moi dans une remarquable exploration de l’Amérique, ses rêves, ses travers et ses destinées brisées.

 

Loretta est une jeune fille de seize ans issue d’une famille mormone. Adolescente de son temps, elle aime sortir, s’amuser et flirter avec son boyfriend. Malheureusement pour elle, un jour son père s’en aperçoit et la contraint à épouser un homme de la communauté bien plus âgé qu‘elle, déjà marié à une autre femme et père de plusieurs enfants. Et oui, la branche mormone à laquelle elle appartient pratique le mariage plural au nom de Dieu et de la recherche du bonheur. Commence alors pour Loretta une lente descente aux enfers dans un foyer qu’elle ne ressent pas comme le sien, des étreintes forcées qui s’apparentent quasiment à du viol et des espoirs de liberté qui s’amenuisent. C’est lors d’une réunion de famille suite au décès du grand père qu’elle va faire la connaissance de Jason, son cousin par alliance qui pourrait bien se révéler être la clef d’une échappatoire possible.

 

Shawn Vestal a un talent fou pour planter le décor et ses personnages. Au bout de trois chapitres, il réussit le tour de force de nous embarquer dans cette histoire qui prend aux tripes immédiatement. Suite au choc initial de ce mariage arrangé et forcé, on rentre dans l’intimité des fondamentalistes mormons avec Loretta. Existence faite d’aigreur, de retraite et de quête de rédemption par une vie d’ascétisme et de travail, le bonheur est exclu pour cette jeune femme emprisonnée à son insu et dont les aspirations ont été coupées en plein vol. Le malaise est palpable très vite, il prend à la gorge et laisse le lecteur impuissant face à une injustice criante qui broie le destin du protagoniste principal qui ne rêve que de s’échapper de sa condition. L’auteur rend bien compte du combat intérieur mené dans son cœur entre ses devoirs de nouvelle épousée et ses aspirations profondes qui remontent à la surface et provoqueront nombre de bouleversements par la suite. La vie s’écoule donc avec ennui, monotonie dans cette ferme d’un autre temps entre tâches ménagères dans la maison et travaux agricoles physiques, vie de pénitence où les mots plaisir et désir sont bannis.

 

On fait en parallèle connaissance avec Jason, un jeune mormon de 18 ans appartenant à une communauté moins rigoriste où le mariage traditionnel est la norme. Très proche de son grand-père, en rupture avec ses deux parents car il est en pleine rébellion rock, il admire un illustre cascadeur de son temps amateur de cascades très dangereuses en moto. Jason ne souhaite que partir pour faire sa vie loin des siens et trouver sa voie. La mort de son aïeul va être un électro-choc et va être l’occasion pour lui de croiser la route de Loretta. Une étrange danse faite de convoitise, de fascination et de désir débute alors entre attirance et volonté de s’enfuir. Qui aime qui ? Qui manipule qui ? L’auteur aime à semer le doute dans l’esprit du lecteur qui se perd en conjectures et va assister à un dernier tiers de roman s’apparentant à un road trip totalement en roue libre.

 

L’ambiance est très pesante durant tout l’ouvrage, le calme apparent cache bien des tensions et des fêlures que les rebondissements et révélations vont mettre au grand jour. Au détour de deux / trois chapitres, on revient même bien en arrière dans le passé de certains personnages secondaires, ce qui éclaire des zones d’ombres savamment entretenues et des réactions que l’on pourrait juger étranges et / ou rebutantes de prime abord. Ainsi, même les personnages de Ruth et Dean ont leur part de lumière car derrière ce couple de mormons traditionalistes se cachent des rêves brisés, des frustrations et des expériences traumatisantes. Loin d’absoudre leurs actes et leur manière de penser, Shawn Vestal livre des personnages abrupts et profondément humains, magnifiant une histoire plutôt classique qui fait la part belle à un travelling poussé et saisissant d’une certaine Amérique trop souvent caricaturée.

 

Ce sont de bien étranges sensations que l’on éprouve durant la lecture de Goodbye, Loretta, à la fois très accessible et très riche. Thèmes variés, tension sensuelle permanente, personnages bruts de décoffrages mais éclairants, splendeur et décadence de l’Amérique se côtoient dans une langue d’une pureté diamantaire, acérée comme il se doit pour livrer nus des personnages plongés dans leur monde en vase clos et totalement dépendants de leur condition. C’est beau, puissant et assez inoubliable. À lire donc !

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Commentaires
M
Franchement ça a l'air génial ! Je me mets en quête ! =D
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