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Le Capharnaüm Éclairé
23 mars 2018

"Johnny chien méchant" d'Emmanuel Dongala

dongala

L’histoire : Congo, en ce moment même. Johnny, seize ans, vêtu de son treillis et de son tee-shirt incrusté de bris de verre, armé jusqu'aux dents, habité par le chien méchant qu'il veut devenir, vole, viole, pille et abat tout ce qui croise sa route. Laokolé, seize ans, poussant sa mère aux jambes fracturées dans une brouetté branlante, tâchant de s'inventer l'avenir radieux que sa scolarité brillante lui promettait, s'efforce de fuir sa ville livrée aux milices d'enfants soldats.

La critique de Mr K : Dans le genre lecture coup de poing, cet ouvrage se pose là. Livre difficile mais essentiel, Johnny chien méchant ne laisse pas indemne le lecteur captif d’un roman extrême où la guerre et son absurdité atteignent leur paroxysme. Au travers de deux visions radicalement opposées, le bourreau et la victime, Emmanuel Dongala dénonce avec justesse et brio la cruauté de l’être humain qu’il soit partie prenante du conflit ou simple spectateur-complice comme le sont depuis trop longtemps les pays occidentaux en Afrique. Un voyage littéraire effroyable dont je vais vous parler un peu plus en détail.

Chaque chapitre alterne le point de vue des deux protagonistes principaux sur une guerre civile qui vient d’éclater au Congo. Le gouvernement au pouvoir doit faire face à une rébellion armée d’une rare violence. Sous fond de guerre tribale et d’intérêts économiques, les milices ratissent les quartiers et commettent exactions sur exactions dans l’indifférence générale. Johnny est un de ces enfants soldats fanatisés par les discours haineux et qui au nom d’idéaux, massacre et pille sans foi ni loi, bousculant les barrières morales élémentaires en se donnant le beau rôle. Laokolé est une jeune fille à qui on a déjà enlevé son père et qui fuit devant les troupes rebelles en compagnie de son jeune frère et de sa mère infirme. Malgré le danger et la menace, elle n’en oublie pas son humanité et porte secours à qui a besoin d’elle si l’occasion se présente. Au fil du récit, le conflit se déroule sous nos yeux et l’on se doute bien que ces deux destinées vont finir par se croiser.

À la manière d’un Yasmina Khadra, Emmanuel Dongala ne fait pas dans la dentelle. Si l’on veut parler de la guerre et de l’extrémisme, on ne doit pas édulcorer les faits, les travestir ou les passer sous silence. Dans ce roman qui colle à la réalité au plus près, rien ne nous est épargné. La violence frontale ou larvée est livrée sans filtre avec une fureur sans borne. Ça fait mal au bide, ça écœure mais c’est salvateur à sa manière. Nul ne peut ignorer après une lecture telle que celle-ci les réalités d’un continent pas si éloigné livré à l’incurie des hommes et des multinationales qui se cachent bien souvent derrière certains belligérants. D’ailleurs plus qu’un constat continental, cette dénonciation sans fard prend une valeur universelle, en témoignent les noms des quartiers et des protagonistes avec des noms qui résonnent comme Tchétchène ou Kandahar. Cela donne lieu à des pages parfois insoutenables où les crimes de guerre se commettent en toute impunité d’un pillage au meurtre en passant par les humiliations les plus sauvages et les viols devenus outils de répression et d’instauration de la terreur.

Johnny est un possédé, un être vil à l’intelligence limitée qui se donne bonne conscience pour justifier ses actes. Manipulé, cédant à ses pulsions les plus profondes, il sème la destruction, la mort et la peur dans son sillage. Se revendiquant intellectuel mais retirant sa toute puissance de ses fétiches et de ses armes, il mène une guerre d’extermination contre les ennemis qui lui sont désignés qu’importe leur sexe ou leur âge. La violence chez lui est devenu ordinaire, comme l’a décrit en son temps Hannah Arendt pour les bourreaux nazis, l’ambition a remplacé la raison et le pauvre balayeur des rues a laissé la place à un chef de guerre puissant et redouté. Triste trajectoire que ce personnage épouvantable, non dénué de nuance mais qui a définitivement libéré l’animal sauvage enfermé en lui. Même si au détour de certains passages, une toute petite lueur d’humanité peut apparaître dans son fort intérieur, il n’en reste pas moins un tueur sanguinaire sans limite que la soif de sang et de sperme attise continuellement.

Laokolé est tout l’inverse. Elle représente l’innocence même plongée dans la furie d’un conflit devenu génocide et qui tente de survivre à l’impensable, à l’horreur absolue. Le destin ne l’a pas épargné (les flashback nous livrent une première partie d’existence déjà terrible) mais malgré ses fêlures, ses doutes, elle ne peut qu’avancer pour ses proches tout d’abord mais aussi pour sa santé mentale. Promise à un brillant avenir car très douée à l’école (la révolution en cours l’empêche de passer son BAC), elle garde à l’esprit que sa combativité peut la mener loin et protéger les siens. Bien sûr, des moments d’abattement et de découragement extrêmes vont gravement la malmener cependant elle rebondit avec l’énergie du désespoir. Son personnage littéralement solaire rayonne au milieu des scènes de guerre et elle forge l’admiration du lecteur totalement subjugué par l’oeuvre proposée.

Lecture terrifiante, on n’oubliera pas de sitôt les scènes de guerre, de fuite en avant des populations civiles fuyant les hordes de meurtriers, les conditions d’existence réduites à leur minimum, l’impuissance des ONG obligées d’évacuer les camps sans les victimes premières de la guerre, la suffisance des blancs qui se sentent supérieurs à la masse des populations noires persécutées. Édifiant, prenant et parfois désespérant, le récit accroche directement le lecteur aux tripes et au cœur, impossible de rester insensible et difficile de résister à l’écriture abrupte, sèche mais aussi à l’occasion poétique (lien syntaxiques forts entre une fin et un début de chapitre, effet garanti !) d’un écrivain possédé par son sujet et non moralisateur. Loin d’être galvaudée ici, l’expression l’homme est un loup pour l’homme prend tout son sens et laisse un goût amer dans la bouche longtemps après la lecture. Un ouvrage essentiel à sa manière, un bijou sombre éclairant sur la nature humaine et sa capacité à annihiler l’autre. À lire en ayant le cœur bien accroché !

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Commentaires
M
Une œuvre passionnante à lire. Je suis plus que persuadé que l'auteur a touché le cœur de la quasi-totalité du lectorat. Deux destins qui s'opposent visiblement, se reposent sur l'onction de deux personnages; l'un, sans cœur, incarne le mal : Jonny Chien Méchant et l'autre cherche à sauvegarder toute une famille malgré les peines et souffrances qui l'embrassent sur chemin faisant: la brave Laokolé, qui , de mal en pire, a pu payer le prix au méritant.<br /> <br /> Un livre dont l'esthétique littéraire n'est plus à démontrer.
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I
J'avais personnellement été gênée par sa volonté trop visible d'opposer ses deux personnages, qui en acquièrent une dimension manichéenne.
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