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Le Capharnaüm Éclairé
29 janvier 2018

"Hôtel iris" de Yôko Ogawa

hotel iris yoko ogawa

L’histoire : Mari est réceptionniste dans un hôtel appartenant à sa mère. Un soir, le calme des lieux est troublé par des éclats de voix : une femme sort de sa chambre en insultant le vieillard élégant et distingué qui l'accompagne, l'accusant des pires déviances. Fascinée par le personnage, Mari le retrouve quelques jours plus tard, le suit et lui offre bientôt son innocente et dangereuse beauté.

La critique de Mr K : Petit voyage au Japon avec ma chronique du jour où je retrouve avec un bonheur non-feint la plume si fascinante et dérangeante de Yôko Ogawa, une auteure qui m’a déjà soufflé deux fois par le passé avec à chaque fois un univers décalé, une plume splendide et une belle exploration de l’esprit humain dans sa complexité. Après La Petite pièce hexagonale et Les Tendres plaintes, je m’attaquais avec Hôtel Iris à l’un de ses titres les plus sulfureux qui relate entre autre la relation sadomasochiste entre une jeune fille et un homme beaucoup plus âgé. Autant vous prévenir de suite, si vous êtes une âme très sensible et / ou une personne très prude, passez de suite votre chemin, ce livre n’est pas pour vous.

Mari travaille dans l’hôtel miteux de sa mère dans une station balnéaire japonaise. Cette jeune fille plutôt banale ne va plus à l’école et se coltine une génitrice assez tyrannique dans son genre, qui l’emploie comme réceptionniste et bonne à tout faire dans l’affaire familiale. L’atmosphère est étouffante pour Mari qui ne se voit autoriser quasiment aucune distraction. Elle a peu l’occasion de se mêler aux jeunes de son âge et se distraire. Suite à une violente altercation entre une prostituée et son client, le hasard va remettre sur la route de Mari ce client indélicat mais au charme trouble. Fascinée par les manières très polies, maniérées et pleine d’empathie du vieil homme à son égard, elle va se laisser séduire et rentrer dans une relation étrange, faite d’attirance et de répulsion, de plaisir et de souffrance...

Au centre de l’ouvrage donc, cette relation ambiguë qui se tisse petit à petit entre Mari et ce mystérieux traducteur de russe qui vit isolé sur une île au large. Sans réelle personnalité propre, la jeune fille candide et naïve se voit transformée par sa relation. Emportée par sa passion, peu à peu elle ne se limite plus, s’échappe des griffes de sa mère et adopte un comportement obsessionnel. Toute passion se vit pleinement mais entraîne des conséquences parfois redoutables. Mari n’y échappera pas. Le vieux traducteur est lui aussi bizarre dans son genre car à l’extérieur et en société, il emprunte les traits d’un homme courtois et bien éduqués. Il n’en est pas de même quand les deux amants se retrouvent dans le privé, il cède la place à un tyran autoritaire adepte de la soumission de sa partenaire. Belle dichotomie du personnage qui intrigue et dérange énormément le lecteur dans ses certitudes.

Ce couple atypique est très bien décrit par l’auteure qui soigne toujours énormément la caractérisation de ses personnages. Caractères, émotions, fêlures sont disséqués d’une plume habile par une Yôko Ogawa toujours aussi précise et amoureuse de ses personnages. Ne vous attendez pas à une débauche de scènes crues dans cet ouvrage, quelques passages sont olé olé mais rien de bien thrash si ce n’est dans certaines idées véhiculées et les rapports tortueux qui gèrent cette relation tumultueuse. J’ai lu ici ou là des critiques outrées sur le web, je pense que ces personnes n’ont tout simplement pas choisi la bonne lecture et beaucoup appuyaient leur argumentation sur des aspects moraux et souvent simplistes voir réactionnaires. Ce livre interpelle forcément un peu mais il n’y a pas vraiment de quoi fouetter un chat, cette fiction va d’ailleurs bien au-delà qu’une histoire de fesses, de bondage (oui, le traducteur russe aime entraver ses conquêtes) et de rapport dominé-dominant.

C’est avant tout la chronique d’une pré-adulte qui se cherche et va se confronter à une passion amoureuse pour la première fois de sa vie avec son lot d’incompréhensions, d’expériences malheureuses et de questionnements intérieurs. C’est aussi une belle réflexion sur le rapport à l’âge, au temps qui passe et inévitablement à la mort qui hante le récit à travers des personnages disparus dans des conditions troubles, un être cher qui vous manque et vous transforme, le rapport que l’on entretient aussi avec le concept de mort et son application à soi. On alterne dans ce récit des scènes vives (principalement celles où les deux protagonistes sont en présence) et rythme plus lent, très "japonais" dans les passages plus descriptifs qui donnent à voir le quotidien de la jeune fille, la vie qui défile dans cette ville de bord de mer (animations du quartier, les flots touristiques, le mauvais temps qui impacte les chiffres d’affaire) et la nature qui se retrouve magnifiée à chaque phrase ou paragraphe la mettant en scène. D’ailleurs les éléments font bien souvent écho à l’état d’âme des personnages et leurs actions, le lien est ici indubitable et apporte un souffle puissant à un récit dont on sait dès le début qu'il se terminera mal.

Cette lecture fut très riche en émotions. Souvent contradictoires, elles résonnent encore en mon esprit à l’heure où j’écris ces quelques lignes. J’ai très vite été emporté par la magie des mots, le cadre et ce rapport très ambigu entre Mari et son vieux soupirant. Difficile de reposer cet ouvrage avant la toute fin tant il est subtilement écrit et composé. Le plaisir de lire est vraiment optimum et les amateurs de sensations fortes, de relations déviantes et hypnotisantes seraient bien inspirés de tenter l’aventure. Un petit bijou dans son genre.

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Commentaires
N
Quand on prend le temps d'aller au delà de la répulsion de ce qui est décrit, comme tu le dis, c'est un roman riche en émotions.
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E
Pas mon genre mais très beau billet !
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