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Le Capharnaüm Éclairé
14 octobre 2017

"La Température de l'eau" de George Axelrod

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L’histoire : Westport, Connecticut, fin des années soixante. Harvey Bernstein, 46 ans, ne compte plus les bonnes raisons de se suicider. Ses livres, qui ne se vendent pas, son travail de critique, alimentaire et absurde, sa femme Margery, présidente du comité pour une législation raisonnable du port d'armes, ses deux enfants, au mieux indifférents. Sans oublier ses cours d'écriture créative à L'École des Meilleurs Auteurs de Best-Sellers. Harvey n'est taraudé que par une seule question : somnifères ou revolver? Avant qu'il ne trouve la réponse, une jeune femme pour le moins originale, Cathy, va faire une entrée inopinée dans son existence. Avec un faible bien marqué pour les perdants nés, elle va entraîner Harvey dans des aventures aussi torrides que périlleuses, dont on ne révèlera rien ici, sinon qu'elles se concluront à Hollywood, au cœur même de l'usine à rêves.

La critique de Mr K : Un sacré roman que cet ovni livresque venu tout droit des années 70 à l’occasion de la rentrée littéraire de cette année chez Sonatine. L’auteur, George Axelrod, est fort connu dans le milieu du cinéma hollywoodien, surtout comme le scénariste de deux films cultes Sept ans de réflexion et Diamants sur canapé film adapté de sa pièce de théâtre. Plus rarement romancier, ce livre écrit en 1971 est une expérience hors du commun où l’on s’amuse beaucoup et qui délivre une satire bien thrash du milieu artistique de l’époque.

Harvey a raté clairement sa vie, c’est pourquoi il a décidé de l’abréger. Écrivain à la carrière qui n’a jamais vraiment décolé est devenu professeur dans une école sensée apprendre à ses élèves la manière d’écrire un bon best seller (sic). Marié et père de famille, sa vie personnelle n’est pas reluisante non plus et l’avenir ne le fait plus rêver depuis un certain temps. Heureusement pour lui (même si ça ne va pas être de tout repos), une jeune femme complètement déjantée va rentrer dans sa vie. Cette prostituée au grand cœur aime les causes perdues et souhaiterait devenir écrivaine à succès. Ces deux là que tout oppose étaient finalement fait pour se rencontrer tant leurs aventures débridées vont faire des étincelles et changer leur vie à tout jamais.

Un souffle délirant se fait sentir durant toute la lecture. On rentre vraiment dans un univers littéraire différent avec cet ouvrage qui fait la part belle aux personnages ubuesques aux réactions imprévisibles. Domestiques branques, acteurs et professionnels de cinéma azimutés du bulbe, un héros désabusé en roue libre qui fait n’importe quoi et Cathy, une jeune femme débrouillarde et irréaliste au possible. Ce mix improbable fonctionne à plein régime, faisant de cette lecture une expérience foldingue à nulle autre pareille. Malgré tout, l’histoire tient la route et même si on n'y croit parfois pas plus d’une seconde, on se prend à délirer et suivre les aventures érotico-humoristique du duo principal.

L’alchimie fonctionne parfaitement entre l’écrivain looser et la prostituée aux grandes aspirations. Les quiproquos s’enchaînent au départ pour une relation étrange basée sur le sauvetage d’un être en perdition par une femme qui semble enfin découvrir l’amour véritable. Cela donne lieu à des scènes mémorables comme l’énorme cuite que prend Harvey en début d’ouvrage (une des plus belles descriptions du mal aux cheveux à mes yeux), les échanges épistolaires entre le professeur et sa future élève, la visite de maisons à louer et tout un cortège de scènes du quotidien qui deviennent étranges à cause de l’attitude nébuleuse des deux personnages en roue libre. On s’attache immédiatement à eux et on ne peut s’empêcher de se demander où leurs pas vont les mener.

Du cul, de l’alcool, des drogues diverses, les mœurs des milieux artistiques et notamment dans le cinéma sont connus. L’auteur s’en donne ici à cœur joie en nous relatant quelques épisodes hauts en couleur et en chaleur entre orgies, beuveries et fêtes qui durent jusqu’au bout de la nuit. Rien de glauque pour autant, George Exelrod se plaisant toujours à démystifier par l’humour des situations parfois limites. Pas d’affaire Polanski et autres abus du même type ici, plutôt de joyeuses réjouissances entre adultes consentants sous fond de création artistique et de projets à venir. À l’occasion c’est d’ailleurs assez fun de découvrir qui se cache derrière les prénoms que l’on rencontre dans ces pages et qui appartiennent au showbiz de l’époque : une Elisabeth est mariée avec un Richard par exemple. On rentre aussi dans les coulisses de l’élaboration d’un roman, puis d’un film avec les étapes de la production, la scénarisation, le choix du réalisateur et des acteurs. C’est très bien fait mais ça n’a rien d‘étonnant quand on connaît la carrière de scénariste de l’auteur.

Enfin, c’est un ouvrage qui n'a pas loin de 50 ans et pourtant, on a l’impression qu’il a été écrit hier. Le style vif, incisif, sans fioriture permet une immersion immédiate dans l’histoire, clairement on retrouve les caractéristiques d’une écriture de type cinématographique, de celles qui vont à l’essentiel en soignant leurs personnages et en explorant l’âme humaine avec justesse et distanciation. Livre très drôle mais qui ne se résume pas qu’à cela, La Température de l’eau est un bijou à sa manière, un bond dans le temps rafraîchissant et jubilatoire. À lire donc !

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Commentaires
M
Je ne m'attendais pas à tant d'enthousiasme... Tu piques ma curiosité!
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