samedi 10 juin 2017

"Fleur de béton" de William N'Sondé

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L’histoire : Derrière la fenêtre d'une barre d'immeubles, Rosa Maria rêve de soleil, d'amour, de calme... et de quitter la cité des 6000, où elle vit avec sa famille. En attendant ce grand jour, elle pleure son frère aîné retrouvé mort derrière le parking du supermarché, évite les coups de son père quand elle rentre trop tard, cache sa féminité, tardivement, naissante sous des vêtements informes, et soupire en cachette pour le beau Jason qui ne la voit pas. Un incident avec la police provoque une émeute dans le quartier, qui précipite les destins des personnages...

La critique de Mr K : C’est la magnifique couverture de l’ouvrage qui a irrémédiablement attiré mon regard vers Fleur de béton lors d’un énième passage chez l’abbé. Superbe photo que vint compléter une quatrième de couverture saisissante et riche de promesses. Ayant quitté la banlieue parisienne depuis plus de dix ans, j’aime à l’occasion y retourner lors de voyages littéraires très souvent hauts en couleur. Ce fut une fois de plus le cas avec cet ouvrage de William N'Sondé, intimiste, poétique et parfois sans concession.

La majeure partie du roman suit le personnage de Rosa Maria, fille d’immigrés siciliens venus s’installer dans la banlieue parisienne lors de la fin des trente glorieuses, le papa à l’époque étant ouvrier pour un grand groupe automobile français. Mais un plan social va le mettre au chômage pour longtemps et le père aimant se transforme en tyran domestique tiraillé par les regrets et l’ennui. La main est leste, les insultes pleuvent et une tension très forte règne dans l’appartement. Rosa Maria s’enfuit comme elle peut : par ses pensées qu’elle tourne vers le beau Jason - black séducteur des quartiers qui n’a pas un regard pour elle, en discutant avec Mouloud un ami de son défunt frère retrouvé mort sur un parking de supermarché, en traînant de ci de là...

Tout va basculer, lorsqu’un riverain lassé des attroupements de jeunes des cités va littéralement péter un plomb en tirant à la carabine sur la troupe aux prises avec deux agents de la force publique. La pression monte inlassablement dans les tours et les affrontements débutent... Rosa Maria va se retrouver brinquebalé entre Jason qui la regarde enfin, un pote qui glisse vers le côté obscur et une copine libre comme le vent que le destin va rattraper. C’est la fin de l’enfance, le passage à l’âge adulte qui se profile et laissera un goût amer.

Le grand mérite de l’ouvrage est son économie de mots. L’auteur vient du monde de la musique et cela se ressent tout au long de la lecture qui se fait naturellement, de manière souple et toujours avec plaisir malgré des passages parfois rudes en terme de scénario. Langue imagée en constant renouvellement, rythmique asymétrique, télescopage des sentiments et de la réalité, autant de circonvolutions stylistiques qui nous emmènent dans un ailleurs si proche et si lointain à la fois. Nous pénétrons vraiment dans la cité, dans l’esprit des gens et le quotidien nous saute au visage sans qu’aucune échappatoire ne soit possible. Inutile de vous dire que l’expérience est assez unique et pesante à la fois.

Wilfried N’Sondé explore et restitue l’ambiance de ces quartiers souvent déshérités où chacun subit sa vie plutôt que de la vivre. Sans angélisme ni pathos, on côtoie la désespérance et l’ennui que l’on combat avec des rêves fous de destinations lointaines projetées par les publicités placardées dans les arrêts de bus. Pour Mouloul ce serait Bora-Bora, pour Rosa Maria se serait n’importe où mais avec Jason. Mais la réalité rattrape tous ces personnages, les mères voient leurs enfants s’enfoncer dans la glande et la délinquance, les maris voient leur vie intime réduite à peau de chagrin et la tension nerveuse montée, l’amour même se retrouve souillé pour cause de naïveté et de confiance donnée trop vite... La descente est alors difficile, sans espoir de rédemption et l’on craint le pire pour ses âmes finalement esseulées et errant sans but si ce n'est celui d'attendre le lendemain et peut-être vivre mieux.

Ce roman n'est donc pas des plus optimistes même si des parcelles de vie recèlent d’incroyables énergies et confluences de bonheur comme la fête donnée par les jeunes dans un local désaffecté. Situé au début du roman, ce passage est un modèle de narration différenciée par la confrontation du point de vue de l’héroïne avec la réalité qui l’entoure et qu’elle semble occulter totalement. D’ailleurs Rosa Maria est larguée pendant tout le livre, aveuglée par ses rêves de jeunesse et sa tendresse exacerbée, elle touche profondément le lecteur et l’agace même parfois. Cela n’enlève rien à l’attachement qu’on lui porte tant elle représente une certaine innocence perdue de la jeunesse et l’idée de vivre par et pour ses aspirations.

Fleur de béton est un vrai petit bijou, un beau miroir rendu à la banlieue, sans chichi mais avec une grâce de l’écriture et un esprit profondément humaniste. Certes certains pourront dire que malgré des saillies parfois violentes, on est loin de la réalité. Je leur opposerai que la violence de ce livre n’est pas forcément dans les mots et les attitudes mais elle est surtout sociale et raciale. En sous-texte, le bilan sur notre société est assez effroyable et ceci des deux côtés de la barrière. Un roman intelligent, rudement bien écrit et à découvrir au plus vite pour tous ceux que la thématique intéresse. Un des must en la matière pour ma part.

Posté par Mr K à 18:41 - - Commentaires [4] - Permalien [#]
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