"T2 Trainspotting" de Danny Boyle
L'histoire : D’abord, une bonne occasion s’est présentée. Puis vint la trahison.
Vingt ans plus tard, certaines choses ont changé, d’autres non.
Mark Renton revient au seul endroit qu’il ait jamais considéré comme son foyer.
Spud, Sick Boy et Begbie l’attendent.
Mais d’autres vieilles connaissances le guettent elles aussi : la tristesse, le deuil, la joie, la vengeance, la haine, l’amitié, le désir, la peur, les regrets, l’héroïne, l’autodestruction, le danger et la mort. Toutes sont là pour l’accueillir, prêtes à entrer dans la danse...
La critique Nelfesque : Ah "Trainspotting" ! Pour tous les gens de ma génération, ce film veut dire quelque chose. Il a bercé notre adolescence et on le regarde toujours avec plaisir. En un mot, il est culte ! Alors quand j'ai appris qu'un second volet allait voir le jour, je dois vous dire que j'étais sceptique. Tout d'abord parce qu'on ne touche pas aux choses sacrées, parce que j'avais peur de l'opé pour faire du blé et parce que j'ai en tête l'abomination "Bronzés 3" (oui il est possible d'inserrer "Les Bronzés" dans une critique pour "Trainspotting 2", la preuve !)... Mais en voyant que Danny Boyle était toujours aux manettes et que tous les acteurs rempilaient, j'ai cédé. Même si la bande annonce sentait le ressucé et que j'avais toujours une petite appréhension, c'est avec un grand sourire que nous nous sommes dirigés vers notre salle de cinéma préférée et le regard lancé entre spectateurs avant le début du film ne trompe pas. "Trainspotting", c'est vraiment un partage !
Alors déçue ? Pas déçue ? Bien ou bien ? Globalement pas déçue et plutôt bien oui ! On retrouve toute la bande comme ses potes (en moins trash les miens mais le fond y est), on est curieux de voir comment ils ont évolué, ce qui a changé dans leur vie, où ils en sont aujourd'hui. Certains ont stagné, d'autres ont mûri et l'ensemble est toujours aussi cohérent.
"T2 Trainspotting" fonctionne à plein sur la nostalgie, reprend les codes du premier en les actualisant. Maintenant, on twitte, on instagramme, on a un smartphone, on prend un Uber... Les habitudes ont changé mais dans le fond tout est pareil. L'amitié, bien qu'écornée, est toujours là, les absents continuent d'exister (j'avoue avoir essuyé une grosse larme lors de l'hommage à Tommy et une petite pour la maman de Renton (mais bon j'ai perdu un proche dernièrement et j'ai un peu de mal à canaliser mon flux lacrimal avec tout ce qui touche au deuil en ce moment)), les plus faibles sont soutenus (ah Spud ! J'ai toujours eu de la tendresse pour lui !). Et puis il y a l'oeil de Danny Boyle qui encore une fois envoie de grosses patates dans nos rétines à plusieurs reprises (Spud sur le toit, scènes de liesse, shoots, dernière image du film). Non vraiment il n'y en a pas deux comme lui. Sa façon de filmer dans cette licence est hypnotisante et tellement représentative de ce que ses personnages ressentent. En amenant le spectateur à avoir conscience des sensations en même temps que ses personnages, Danny Boyle nous propose une expérience sensorielle. Et que dire une fois encore de la BO qui colle parfaitement à l'image ! "Trainspotting" est un oeuvre éminemment fédératrice.
Le film est sorti au début du mois de mars et n'est pas resté très longtemps à l'affiche. Je n'ai pas trop compris pourquoi. Il méritait vraiment d'être vu... Où sont passés les quarantenaires ? Scotchés à leur Facebook, lobotomisés par la TV ? Non, je ne peux le croire ! En tout cas, si vous l'avez laissé passer, reportez-vous sur la VOD ou le DVD pour passer un bon moment de cinéma. Vous serez aussi surpris de découvrir que les plus idiots ne sont pas forcément ceux que l'on pense...
La critique de Mr K : 5/6. Voici un film que j’attendais et que j’appréhendais en même temps quand j’ai su que Danny Boyle allait tourner la suite du cultissime premier opus. Je fais clairement partie de la génération Trainspotting, un film qui m’a marqué, novateur pour l’époque et dont la BO d’anthologie résonne régulièrement chez moi en soirée. Le réalisateur a fait du chemin depuis avec notamment les très bons 28 jours plus tard, Sunshine ou encore Slumdog millionaire. C’est donc plutôt confiant que je rentrais dans la salle obscure. Au bout de dix minutes, j’étais déjà dedans et c’est tout surpris et heureux que je ressortais deux heures plus tard sans avoir vu le temps passer !
Renton (Mc Grégor) rentre à Edimbourg où il avait abandonné ses meilleurs potes suite à un coup où il a raflé la mise sans en laisser une miette aux autres. On imagine leur ressentiment à son égard et les retrouvailles seront loin d‘être faciles. Spud continue à vivoter bon gré mal gré, Sick Boy s’essaie au métier peu reluisant de maquereau et Big Bee est en taule suite à son pétage de plomb lors du premier film. Ça va faire des étincelles et pas qu’un peu ! Très vite, l’équipe de bras cassé va tenter un autre coup et à nouveau, tout ne va pas se passer comme prévu. En même temps, ils ont l’habitude...
D’ailleurs cela se sent dès que l’on visionne la bande annonce, le temps a passé mais on retrouve la même recette : une bande de potes légèrement fondus sur les bords (le temps a passé et ils sont moins thrash que dans le premier). Au fil du film, on retrouve beaucoup de clins d’œil au film originel, on en a profité à plein avec Nelfe car nous avions revu l’original deux jours avant notre séance cinoche ! Bon choix car celui qui ne s’en rappelle pas ou pire qui ne l’a jamais vu perdra beaucoup des nuances et de contenu de cette suite qui joue à fond la carte de la nostalgie et des références. On passe un délicieux moment à retrouver chacun des personnages entre ce qu’ils sont devenus et de beaux flashback sur les 90’ voir quand ils étaient plus jeunes avec un passage émouvant sur Tommy, celui qui ne s’en est pas sorti dans l’opus précédent.
Scènes comiques, d’autres plus tragiques s’enchaînent. Certes cela ne respire pas l’originalité (d’où le point en moins sur la note globale) mais la recette fonctionne toujours avec en plus les avancées technologiques qui pointent en arrière plan. La technique de Danny Boyle est éprouvée et toujours aussi efficace avec des plans originaux et vif, des passages brusques entre réalité et rêve, délires psyché et passages plus intimistes avec une tension et une émotion à fleur de pellicule. l’ensemble est très beau, doublé d’une BO redoutable alternant reprises de l’originale et nouveaux morceaux proposant un écrin sonore de toute beauté. Le film est vraiment magistral dans sa forme et les acteurs sont formidables. D’ailleurs, ils ont tous re-signé, preuve de leur attachement au réalisateur et aux personnages.
Ce qui m’a le plus touché au final, c’est cette nostalgie qui est distillée pendant tout le métrage avec une vision acerbe et drolatique à la fois du temps qui passe. Nos quadras sont ici attachants (peut-être même plus qu’avant) car la vie ne leur a pas joué que des bons tours, les rides sont là, les physiques ont changé (plus ou moins selon les personnages), les parcours se sont séparés. Le fait de tous se revoir, de reparler, de se friter et de se réconcilier est l’occasion pour chacun d’entre eux de faire le point, de revenir sur le passé (même pour le psychopathe de service Robert Carlyle qui dans le genre flippant double la dose dans ce film !). C’est fin, bien mené et totalement assumé, j’ai aimé ce film pour cette douceur, ces temps de pauses malgré le fait qu’au final le film soit moins thrash que l’original. Différent mais pas pour autant has-been, on aime suivre cette équipe de bras cassés qui décidément n’a pas fini de faire parler d’elle.
Une suite au grand cœur qui à défaut de surprendre, tour à tour émerveille, émeut et soigne son public. Un must !
"Chanson douce" de Leïla Slimani
L'histoire : Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d'un cabinet d'avocats, le couple se met à la recherche d'une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l'affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu'au drame.
La critique Nelfesque : Cela fait un petit moment que j'avais entendu parler de "Chanson Douce" de Leïla Slimani. En premier lieu parce qu'il avait fait grand bruit lors de sa publication en pleine Rentrée Littéraire 2016, ensuite parce que ce roman a reçu la même année le célèbre Prix Goncourt. Ce qui a engendré encore plus de lectures, dont la mienne. Après le très bon Goncourt des Lycéens, "Petit pays" de Gaël Faye, j'avais envie de voir si son aîné était tout aussi bien mérité.
"Chanson douce" a la réputation d'être un roman très fort. Beaucoup de mamans lectrices n'ont pas pu le lire ou ont été choquées par son histoire et notamment la scène très dure qui débute ce roman. Et pour cause, on commence ici avec la découverte d'une scène macabre où les deux enfants en bas âge d'un jeune couple ont été massacrés par leur nounou. Pourquoi cet acte et comment est-il arrivé ?
Je n'ai pas d'enfants et j'aime les romans noirs, les scènes chocs et les romans qui font réfléchir sur la nature humaine. Avec cet ouvrage de Leïla Slimani j'ai été servie ! L'écriture est simple et tout à fait accessible. N'ayez donc aucune crainte en voyant le bandeau "Prix Goncourt" ici, il est très facile à lire de par sa construction et le vocabulaire employé. L'auteure nous présente ici une histoire ordinaire, banale, un drame qui pourrait arriver dans n'importe quel foyer. Et c'est sans doute cela qui glace le plus le lecteur...
La recherche d'une nounou c'est une rencontre qui nait d'un besoin. Ici Myriam va reprendre son métier d'avocat et une solution doit être trouvée pour permettre à toute la petite famille de continuer à fonctionner correctement. Après plusieurs entretiens, le choix se porte sur Louise, une femme plus âgée, douce et très proche des enfants. Avec elle tout parait naturel. Très arrangeante, elle aime faciliter la vie de ses employeurs et va au delà de ce pour quoi elle a été engagé. La famille de Myriam, c'est sa famille. C'est ainsi que petit à petit elle va prendre de plus en plus de place dans ce foyer jusqu'à y faire planer une ombre malsaine. Lorsque les jeunes parents se rendent compte que la situation dérape, il est déjà trop tard et le drame implacable et froid des premières pages est inéluctable.
Cette lecture est forte car elle va chercher chez chaque lecteur sa capacité de compréhension. Il n'y a pas de suspens ici, un meurtre a eu lieu et on connaît déjà le nom du coupable. La seule question qui subsiste est "pourquoi ?". Sur 220 pages, ce qui est finalement très court, Leïla Slimani va nous présenter la situation, nous faire rentrer dans la bulle de cette famille, nous donner à voir son mode de fonctionnement et surtout nous présenter Louise. En peu de pages, elle détourne le cerveau du lecteur sans jamais donner de réponses précises. L'homme n'est pas une machine avec des fonctions bonnes ou mauvaises, la nature humaine est bien plus complexe et les "et si..." sont légion. Etait-il possible d'éviter ce drame ? Si oui, à quel moment ? En n'engageant pas Louise ou bien plus tôt dans sa vie personnelle ? Chaque acte extrême a un point de départ, une racine, un terreau à analyser pour qui veut bien y mettre les mains et essayer de comprendre.
Dans ce roman humain par les sentiments qu'il dégage et pourtant tout ce qu'il y a de plus factuel dans son approche, l'auteure questionne l'homme avec pudeur et discrétion. Elle met le doigt sur nos souffrances, nos ambiguïtés et nos contradictions. Ambiance glaçante, drame inéluctable, le lecteur est happé dans cette histoire sordide et cette atmosphère malsaine dont on ne peut plus détacher le regard avant la dernière page. Un roman qui fait froid dans le dos...
"La Quête de l'Oiseau du Temps" de Le Tendre et Loisel
L'histoire : Le légendaire chevalier Bragon pense en avoir fini avec sa vie aventureuse dont les exploits ont fait les heures les plus riches des conteurs d'Akbar. À présent qu'il est vieux, il n'aspire plus qu'au repos, retiré qu'il est dans sa ferme des hauts plateaux du Médir. Mais la tranquillité n'est pas de mise pour les héros.
Un jour vient à lui Pélisse, jeune vierge sauvage et rousse aux formes généreuses, accompagnée de son Fourreux, animal étrange aux mystérieux pouvoirs. Elle lui apporte un message de sa mère, la princesse-sorcière Mara, elle-même ancienne maîtresse de Bragon. La situation est grave : Ramor, le dieu maudit, va bientôt sortir de la conque où les dieux l'avaient enfermé pour contenir sa soif de pouvoir. La destruction et la mort s'étendraient alors sur Akbar sans que quiconque puisse s'y opposer.
Il ne reste que huit jours avant la "Nuit de la saison changeante" où s'achèvera l'enchantement qui retient Ramor prisonnier. Mara a besoin de l'Oiseau du Temps, car il est le seul capable d'arrêter le temps, ce qui lui permettrait d'achever, avant la fin des huit jours, la trop longue incantation qui lie Ramor à la conque. Mais la première épreuve de la quête sera d'aller récupérer la Conque de Ramor, jalousement gardée par Shan-Thung, le prince-sorcier de la Marche des Terres Éclatées.
Sollicité par son ancien amour, agacé par la fougue et l'insolence de Pélisse qui prétend être sa fille, Bragon sort sa fidèle faucheuse de son étui et s'embarque sans plus d'hésitation dans ce qui sera la plus hasardeuse des entreprises jamais vues sur Akbar : La Quête de l'Oiseau du Temps !...
La critique de Mr K : Nouvel emprunt au CDI de mon bahut : l’intégrale de La Quête de l’Oiseau du Temps de Le Tendre et Loisel. Il s’agit d’une relecture pour enfin savoir le fin de mot l’histoire m’étant arrêté au volume 3 à l’époque. Mieux vaut tard que jamais me direz-vous, à la vue de l’œuvre dans son entier, j’avais bien trop attendu tant cette bande dessinée est une merveille d’intelligence, d’humour et d’esthétisme.
La trame est plutôt classique : le monde d’Akbar est en grand danger, dans huit jours un dieu vengeur emprisonné dans une conque va se libérer et asservir le monde, rien de moins ! La princesse-sorcière Mara va rassembler une petite troupe et l’envoyer en quête du mystérieux oiseau qui donne son nom aux albums pour pouvoir arrêter le flux du temps et réaliser l’incantation qui convient pour éviter l’apocalypse. Mais vous imaginez bien que cette quête se révélera ardue, riche en rebondissements et le final laissera des traces (y compris sur le lecteur !). On retrouve ici tous les ingrédients qui font une bonne BD de fantasy.
En premier lieu, une joyeuse bande constituant un groupe disparate où chacun est complémentaire. Une jolie fille gouailleuse accompagnée d’une mystérieuse créature toute mignonne (Kawaï comme on dit maintenant), un vieux chevalier grognon au cœur gros comme ça qui passe son temps à râler (j’adore ce personnage), un mystérieux inconnu masqué aussi couard qu’obsédé par les formes généreuses de l’héroïne et toute une galerie de personnages secondaires tous plus farfelus et délirants les uns que les autres avec notamment un ancien écuyer revanchard, une sorcière obnubilée par sa mission de sauveuse du monde, un chasseur solitaire reclus dans un territoire perdu... L’ensemble forme une communauté imaginaire crédible, originale et très engageante pour un lecteur conquis par ce microcosme crée de toute pièce.
Ce qu’il y a de génial dans cette série, c’est son aspect drolatique. Bien que n’épargnant par leurs personnages de moments de bravoure intense (on a parfois le souffle coupé au détour d’une ou deux mésaventures), les auteurs n’ont pas voulu fournir une BD qui se prenne trop au sérieux. L’aventure est belle mais l’humour omniprésent lui donne un cachet sympathique qui empêche le sourire esquissé en début de lecture de s’effacer du visage ravi du lecteur. Réparties truculentes, situations ubuesques s’enchaînent pour notre plus grand plaisir empêchant cette histoire de tomber dans les clichés d’une fantasy sans finesse sombrant dans des situations déjà vues et ennuyeuses aux yeux du fan que je suis. Les nanas ont ici de la répartie, les gros bras souvent mis en porte-à-faux voir pire (j’adore Bulrog) et les créatures croisées sont souvent attendrissantes et totalement barrées. Et même si parfois, elles n’apparaissent que sur une case ou deux d’une planche, le souvenir perdure et on rigole encore en y repensant.
Les deux auteurs nous proposent vraiment une immersion totale avec des planches parfois de toute beauté. Bien que le style ait changé légèrement entre le premier et le quatrième tome, on prend quelques claques esthétiques qui se combinent entre elles pour fournir un scénario intéressant bien que plutôt convenu. Heureusement, le quatrième et ultime tome réserve son lot de surprises et c’est avec une certaine émotion qu’on le referme. J’en avais même les yeux tout humide, chose très rare pour moi en matière de lecture de BD de ce style.
Rien à reprocher donc à cette tétralogie à la fois immersive en terme d’aventure et comique dans les rapports tissés entre les personnages. Dessins et textes sont au diapason pour fournir un excellent moment de détente dont on se souvient bien longtemps après notre lecture. Cette œuvre est absolument à découvrir si vous êtes amateur de ce type d’univers car dans le domaine on ne fait pas mieux !
"Les Damnés de l'artère" de Pascale Fonteneau
L’histoire : Ah ! Bruxelles, sa Grand-Place, ses trams, ses gaufres, son métro et ses fonctionnaires européens... Tout pour plaire. Et puis voilà, une bonne intention et tout part de travers. Alors, pendant que les Japonais admirent le Manneken Pis, Cheryl se farcit les squats, le Berlaymont soit disant désert, les communautés religieuses et même la basilique de Koekelberg ! Et tout ça sans connaître un seul grand principe révolutionnaire ! Dingue. Mais pas plus dure qu’une belle coupe au carré ou un chignon perlé.
La critique de Mr K : Ceux qui nous suivent depuis un certain temps connaissent mon amour immodéré pour les aventures du Poulpe et mon attachement tout particulier à Cheryl, la petite amie attitrée de Gabriel Lecouvreur, délicieuse et gouailleuse coiffeuse parisienne qui lui vient bien souvent en aide en lui fournissant réconfort et soutien. Les Damnés de l’artère de Pascale Fonteneau s’apparente à un spin-off car il la met en lumière et lui donne le rôle titre en laissant le poulpe au café Pied de Porc à la Sainte Scolasse à ruminer ses pensées en lisant le journal et en sirotant une bonne bière...
Et pourtant, au départ rien ne prédestinait Cheryl à vivre des aventures rocambolesques dans la capitale belge. Partie seulement pour assister à des conférences en rapport avec la coiffure et à des présentations de produits dernier cri, elle se retrouve embarquée dans une sombre histoire de meurtre maquillé en suicide (un homme a été brûlé vif à l’insu de son plein gré sur le quai de la gare bruxelloise). En compagnie d’une amie de circonstance (sacré binôme de coiffeuses délurées que Cheryl et Anastasia), elle va rencontrer une bande de gentils loubards, un vieil idéaliste de la Révolution et un prêtre bien atteint au niveau du ciboulot. Cependant au fil du récit, l’histoire prend une tournure plus grave, les ramifications de l’affaire prennent une tournure inattendue et notre jolie Cheryl n’est vraiment pas au bout de ses peines...
Disons-le tout de go, on n'est pas face à un grand crû. La faute tout d’abord à l’envie de donner du sens là où il n’y en a pas forcément en intercalant des citations du théoricien révolutionnaire Victor Serge (aka Viktor Lvovitch Kibaltchitch) en guise d’intermède entre deux scènes. Je trouve que c’est donner trop de profondeur à une suite d’événements qui tiennent bien plus du roman policier classique que du parcours initiatique de révolutionnaire en goguette. Certes Cheryl est une femme libérée (et c’est pas si facile...) mais elle ne croit pas au Grand Soir, sa vie étant vouée à ses clients, ses copines et son Gabriel. Le procédé m’a paru maladroit et sans objet, il aurait bien convenu par contre dans un récit du Poulpe classique tant on connaît le penchant libertaire du Poulpe. Un coup dans l’eau pour le coup !
Ensuite, j’ai trouvé l’histoire plutôt bateau, sans réels grands rebondissements malgré quelques saillies bien rigolotes et parfois même bien thrash (le meurtre originel est vraiment affreux et très bien rendu). Il ne se passe finalement pas grand-chose mais une ambiance bien branque se dégage de l’ensemble grâce notamment à des personnages hauts en couleur qui se débattent avec leurs existences dans un monde décidément pas tendre. Tant pis donc si l’ensemble tient plus du bric à brac foutraque, que certains artifices narratifs soient limites en terme de crédibilité, on passe malgré tout un bon moment en compagnie d’une équipe de bras cassés bien attachante dans l’ensemble.
Cheryl garde tout son charisme même si finalement je la trouve plutôt effacée par rapport à ce que j’avais pu entr'apercevoir dans mes lectures du Poulpe (elle a ici moins de franc-parlé et paraît moins engagée). On la suit cependant avec plaisir dans cette aventure belge qui la verra tour à tour se faire une super copine, venger la mort d’un ami et transmettre sa joie de vivre à toutes les heureuses personnes qui croiseront sa route. Le personnage est vraiment à suivre et il me semble d’ailleurs que d’autres volumes lui ont été consacrés, qui sait un jour peut-être mes pas me remettront sur le chemin de Cheryl en aventure solo !
Bien mené quoiqu’un peu creux, bien écrit mais sans génie réel, ce livre est à réserver avant tout aux fans de Cheryl (dont je fais partie vous l’aurez compris !) et du Poulpe. Les autres pourront passer leur chemin et se diriger vers la série d’origine avec d’authentiques chefs-d’œuvre d’humour et d’enquêtes déviantes.
Autres Poulpe chroniqués au Capharnaüm Éclairé :
- Nazis dans le métro
- J'irai faire Kafka sur vos tombes
- Du hachis à Parmentier
- Vomi soit qui malle y pense
- La petit fille aux oubliettes
- La bête au bois dormant
- Arrêtez le carrelage
- Légitime défonce
- La Cerise sur le gâteux
- L'Amour tarde à Dijon
- Chicagone
"Cet été-là" de Lee Martin
L'histoire : Tout ce qu'on a su de cette soirée-là, c'est que Katie Mackey, 9 ans, était partie à la bibliothèque pour rendre des livres et qu'elle n'était pas rentrée chez elle. Puis peu à peu cette disparition a bouleversé la vie bien tranquille de cette petite ville de l'Indiana, elle a fait la une des journaux nationaux, la police a mené l'enquête, recueilli des dizaines de témoignages, mais personne n'a jamais su ce qui était arrivé à Kathy. Que s'est-il réellement passé cet été là ?
Trente ans après, quelques-uns des protagonistes se souviennent. Le frère de Katie, son professeur, la veuve d'un homme soupçonné du kidnapping, quelques voisins, tous prennent la parole, évoquent leurs souvenirs. Des secrets émergent, les langues se délient. Qui a dit la vérité, qui a menti, et aujourd'hui encore, qui manipule qui ?
La critique Nelfesque : Après toutes ces années, vous commencez à savoir que j'aime les thrillers et les romans noirs ("oui, ça on a vu !"). J'aime encore plus quand les deux s'imbriquent et donnent à lire une histoire glaçante avec une intention de démêler les fils petit à petit, sans tambours ni trompettes. Quand l'auteur prend le temps de nous dépeindre une ambiance, un lieu, des gens. C'est exactement ce parti qui est pris par Lee Martin dans son roman "Cet été-là", premier ouvrage traduit en français et récemment publié chez Sonatine.
Katie Mackey a disparu. Un soir d'été, du haut de ses neufs ans et pieds nus, elle est partie à vélo en début de soirée pour rendre ses livres à la bibliothèque. Plus personne ne la reverra ensuite. On retrouvera son vélo à proximité et tout semble dire qu'elle a été enlevée. Oui mais pourquoi et par qui ?
La construction de ce roman est parfaite. Chaque personnage est caractérisé et le lecteur se retrouve souvent intimement lié à lui. Des moments d'introspection, de pensées profondes et inavouables sont disséminés ça et là dans le roman et permettent au lecteur de bien prendre en considération chacun d'entre eux, de les jauger, de les juger et de parfois essayer de se mettre à leur place. Il y a le professeur qui donne des cours particuliers aux enfants de la commune, son voisin qui a un problème d'addiction mais semble toujours prêt à aider les autres, la femme de ce dernier simple et pragmatique, le frère de Katie qui s'en veut terriblement d'avoir fait remarquer ce soir là à sa soeur qu'elle était en retard sur le retour de ses prêts, leurs parents prêts à tout pour connaître la vérité...
Lee Martin nous dépeint ici une petite communauté de l'Indiana, une ville où tout le monde se connaît et où rien ne se passe véritablement si ce n'est la vie. Les habitants sont nés ici, ne bougeront probablement pas et mourront dans leur ville. Non pas parce qu'ils l'aiment particulièrement mais parce que c'est comme ça. Alors entre temps, on se débrouille, on s'entraide, parfois on resquille et pour tromper les apparences dans un lieu où tout le monde sait tout sur tout le monde, on se ménage des petits jardins secrets. Tel personnage nous fait penser à telle personne de notre entourage, tel autre nous attendrit et fait monter en nous une grosse boule d'amour et d'empathie. Mais que cache parfois un excès de gentillesse ? De l'intérêt ? Un besoin d'être aimé ? Ou des contrées honteuses et insoupçonnées ?
"Cet été-là" est un excellent roman noir en cela qu'il tient le lecteur en haleine non pas par le rythme que l'auteur lui donne mais par l'intensité des émotions qu'il lui procure. Ici, peu de suspens ou de rythme haletant mais un simple voyage dans une petite ville des Etats-Unis où chaque habitant tient sa part de responsabilité dans la disparition d'une enfant. Effroyable vie ordinaire...
Comme dans la vie de tous les jours, chaque lecteur y ira de sa théorie, clouera au pilori son coupable, trouvera étrange voire malsain tel ou tel homme. Le lecteur jugera d'après les informations que certains personnages donnent ici 30 ans plus tard. Dans notre monde moderne, plus personne ne peut s'empêcher de juger, de donner son avis. "Ce n'est qu'un avis, cela ne fait de mal à personne" et pourtant... Combien ont vu leur réputation et leur vie ruinées par les on-dit. A chacun de se faire sa propre opinion ici en âme et conscience. Le roman nous interroge à plusieurs occasions et même quand le mot fin est là les doutes persistent. L'histoire de la fumée et du feu qui peut briser la vie d'un honnête homme...
La part d'ombre dans chaque personne, les concours de circonstance, le déterminisme, le manque de repères et d'amour. Il y a un peu de tout cela dans "Cet été-là". Un roman polyphonique à lire d'urgence si vous aimez les ambiances troublées, les chaudes soirées d'été et si vous pensez que dans la vie tout n'est jamais tout blanc ou tout noir. Lee Martin réussit le pari de nous téléporter au coeur des années 70, dans une petite ville discrète et calme, et de nous y piéger sans possibilité de retour. Comme un retour aux sources, comme une introspection. Le lecteur achève ce roman complètement habité...
"Génération Clash" de G.-M. Dumoulin
L’histoire : Donner la meilleure éducation possible à ses enfants : voilà ce dont rêve chaque parent. Alors, dans ce futur pas si lointain, les professeurs ont été remplacés par des machines ultra-perfectionnées, faisant de chaque enfant un génie en puissance. Et c’est bien là le problème : puisqu’ils sont plus intelligents que les adultes, pourquoi devraient-ils leur obéir ? Pourquoi ne prendraient-ils pas le pouvoir ? Évidemment, ils n’ont que 12 ans...
La critique de Mr K : Retour sur une lecture SF aujourd’hui avec ce premier tome d’une trilogie tout juste rééditée chez French Pulp Editions. C’est ma première visite dans la bibliographie de G.-M. Dumoulin, auteur très prolifique (plus de 200 ouvrages !) et même si je n’ai pas été convaincu à 100% par ce volume, il est indéniable que l’auteur a du talent et du mordant.
Génération Clash est un roman d’anticipation se déroulant quelques décennies après les temps présents. La technologie a bien évolué et s’est développée dans tous les secteurs de la vie humaine mais va-t-elle dans le sens du progrès pour l’humanité ? C’est la question principale qui se pose quand on se rend compte que ce sont les machines qui désormais enseignent et éduquent les enfants. Ceux-ci voient leurs connaissances, compétences et capacités bondir, les résultats suivent et l’on peut se dire que le pari éducatif est gagné. Pour autant, quelque chose a disparu, une naïveté, une innocence qui va transformer ces jeunes pousses en esprits retorses avec comme objectif d'éradiquer les adultes du pouvoir tant ils sont perçus comme des freins et des obstacles à leur existence.
Cet ouvrage n’est finalement qu’une mise en bouche, l’auteur y lance ses personnages et son intrigue d’où le sentiment qu’il ne s’y passe pas grand-chose mais il faut bien débuter un jour. Du coup Dumoulin s’attelle à nous présenter ses personnages par petites touches et c’est seulement à la moitié du livre que l’on commence à se faire une idée précise des forces en présence et du background général. Au menu, des jeunes déboussolés qui tentent de sauver leur peau , des gangs qui se font la guerre, une oligarchie d’adultes avachis dans leur vanité qui contrôle la société et ne sent pas qu’un mouvement est en marche et qu’il pourrait tout remettre en question. Peu à peu, les tenants et aboutissants apparaissent et l’on ne peut que s’extasier à l’idée que ce livre a déjà plus de trente ans !
La langue inventive, imagée et rythmée de l’auteur permet une lecture rapide et enthousiasmante. Dumoulin nous plante un décor et un monde crédible, propose des personnages plutôt fouillés aux relations complexes et ménage des ficelles scénaristiques riches en promesses. Le bât blesse tout de même au niveau de l’originalité que je n’ai pas vraiment trouvé dans cet ouvrage faisant bien le boulot mais sans réelle étincelle qui vous laisse scotché dans votre meilleur fauteuil. Bon, c’est vrai que je suis un vieux briscard dans ce genre de littérature, il en faut pas mal pour me surprendre... Et puis, ce n’est que le premier volume d’une trilogie, j’espère que la suite portera le matériel de base à des niveaux insoupçonnés, plus thrash et porteur de sens.
Pour conclure, on peut dire que Génération Clash est une sympathique récréation littéraire qui comblera les amateurs d’anticipation intelligente qui n’ont pas encore un gros bagage de lecteur derrière eux. Pour les autres, je préfère attendre la suite pour donner un avis plein et entier sur une œuvre qui en tout cas ne peut laisser indifférent et possède un charisme certain par les thématiques qu’elle aborde et l’écriture virevoltante et feuilletonnesque de l’auteur. Wait and read...
Fêtons le printemps avec la Corée du Sud !
Aujourd'hui, c'est le début du printemps et avec lui le retour des Lundis au soleil (c'est de saison !).
On connaît tous "YMCA", le célèbre tube des Village People qui à lui seul constitue déjà un très beau "Lundi au soleil". Avec la version coréenne, on pousse le curseur encore plus loin (si si c'est possible). Les asiatiques sont très bons pour le kitch mais là j'avoue que les bras m'en tombent !
Entre le son midi à faire pâlir Charly Oleg, le costume du chanteur sapé comme jamais, sa voix piquante sur le refrain, son déhanché, ses yodels made in South Korea... on en arrive même à un moment à ne plus du tout reconnaître la chanson. Et pour cause, il s'agit ici d'un cover, d'un hommage où l'artiste se réapproprie le titre originel.
Ah, on peut dire qu'il fait ça en grand ! Pour le plus grand bonheur de ses fans ! Et on fait tourner les serviettes ! Merci Epaksa !
"Elle voulait juste marcher tout droit" de Sarah Barukh
L'histoire : 1946. La guerre est finie depuis quelques mois lorsqu’Alice, huit ans, rencontre pour la première fois sa mère. Après des années à vivre cachée dans une ferme auprès de sa nourrice, la petite fille doit tout quitter pour suivre cette femme dont elle ne sait rien et qui lui fait peur, avec son drôle de tatouage sur le bras.
C’est le début d’un long voyage : de Paris à New York, Alice va découvrir le secret de son passé, et quitter à jamais l’enfance.
Comment trouver son chemin dans un monde dévasté par la guerre ?
La critique Nelfesque : Passionnée par la Seconde Guerre mondiale, j'ai déjà lu bon nombre d'ouvrages sur le sujet. Que ce soit des romans, des documents, des essais... j'avale à peu près tout ce qui passe à ma portée traitant du sujet (idem côté documentaires, films, expo...). C'est donc tout naturellement que je me suis dirigée vers "Elle voulait juste marcher tout droit" de Sarah Barukh à sa sortie. Son titre m'a tout d'abord interpellée, me mettant tout de suite en tête l'air de la célèbre chanson de Raphaël (bon courage pour s'en débarrasser ensuite), puis pour son sujet bien sûr qui n'était pas sans faire écho à "Le Gardien de nos frères" d'Ariane Bois lu l'an dernier et qui traite également de l'après-guerre et de la "gestion" des enfants qui ont perdus leurs parents et leurs familles...
Nous suivons ici l'enfance d'Alice en pleine période de guerre. Placée chez une nourrice dans un petit village des Pyrénées, elle vit à la ferme, va à l'école, essaye de se faire des amies même si n'ayant pas de maman comme tout le monde elle suscite curiosité et méchanceté des enfants de son âge. Dans un environnement relativement calme et entourée de beaucoup d'amour, on sent tout de même qu'une menace pèse sur cette enfant. Les allemands arrivent au village, un homme est recherché puis abattu, Jeanne ne cesse de lui dire que c'est la guerre et qu'elle doit être prudente. Mais c'est quoi la guerre en fait ? Qui sont ces hommes en costumes noirs avec un drôle d'accent qui mangent des glaces sur la place du village ?
Plus d'une fois Alice ressent la peur et n'a qu'une envie, celle de retrouver Jeanne. Alors sur les petites routes de campagne, elle s'active et presse le pas. Mais un jour en rentrant à la ferme, elle y retrouve deux femmes qu'elle ne connaît pas. L'une d'elle est sa mère, lui dit-on. Mais comment est-ce possible que cette dame toute maigre, au teint blafard et sans cesse sur le qui-vive soit la même femme élégante et belle qu'on lui a dépeint ? Et pourquoi doit-elle tout quitter et partir à Paris pour la suivre ?
Commence alors la fin de l'insouciance pour Alice. Alors que jusqu'ici elle n'avait qu'entraperçu l'horreur, elle va peu à peu comprendre ce qu'est la guerre et pourquoi sa mère est dans cet état là aujourd'hui. Les temps sont durs, il faut trouver à manger, se reconstruire, rechercher les disparus... Alice ne comprend pas tout, on ne lui explique rien mais elle va devoir marcher tout droit...
Sa route l'emmène des Pyrénées à Paris, puis aux Etats-Unis où une autre facette de sa vie l'attend et une aventure incroyable auprès de sa famille paternelle. On passe par toutes les émotions avec ce roman : peur, tristesse mais aussi joie et empressement. Sarah Barukh nous raconte la guerre et l'après-guerre par les yeux d'un enfant et là réside tout l'intérêt du roman. Du haut de ses 8 ans, elle est pleine de fraîcheur et communique au lecteur sa joie de vivre et ses doutes. L'auteur joue à 100% le jeu de l'empathie et force est de constater que le pari est réussi. Mais comment peut-il réellement en être autrement ? Le thème est dur : la reconstruction des enfants qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale auprès de ceux qui ont vécu l'horreur et ont été traumatisés à jamais.
J'évoquai en début de chronique la similitude avec "Le Gardien de nos frères" d'Ariane Bois pour le thème abordé. Là, s'arrête la comparaison. "Elle voulait juste marcher tout droit" est un roman qui se lit très facilement, avec une écriture simple. Le lecteur est touché, on joue sur la corde sensible et vraiment ça fonctionne très bien mais tout se déroule sans surprise. Il se passe des choses ici, ça bouge, il y a des rebondissements mais ça ne prend pas viscéralement aux tripes. On s'émeut mais on effleure les choses. Un peu comme dans un film grand public bien fait mais qui n'apporte rien de spécial au cinéma (d'ailleurs je ne serai pas étonnée de voir un jour ce roman être adapté car il s'y prête tout à fait).
Loin de moi l'idée de faire un procès d'intention, la démarche n'est sans doute pas la même et la portée non plus. Ce roman de Sarah Barukh qui, sans tomber dans le pathos, réussit à toucher le lecteur et à le tenir en haleine, reste un bon moment de lecture qui s'avale à vitesse grand V. Prenant et bien fait ! C'est déjà pas si mal pour un premier roman.
"Sumerki" de Dmitry Glukhovsky
L’histoire : Quand Dmitry Alexeievitch, traducteur désargenté, insiste auprès de son agence pour obtenir un nouveau contrat, il ne se doute pas que sa vie en sera bouleversée. Le traducteur en charge du premier chapitre ne donnant plus de nouvelles, c'est un étrange texte qui lui échoit : le récit d'une expédition dans les forêts inexplorées du Yucatán au XVIe siècle, armée par le prêtre franciscain Diego de Landa. Et les chapitres lui en sont remis au compte-gouttes par un mystérieux commanditaire.
Aussi, quand l’employé de l'agence est sauvagement assassiné et que les périls relatés dans le document s'immiscent dans son quotidien, Dmitry Alexeievitch prend peur. Dans les ombres du passé, les dieux et les démons mayas se sont-ils acharnés à protéger un savoir interdit ? A moins, bien entendu, que le manuscrit espagnol ne lui ait fait perdre la raison. Alors que le monde autour de lui est ravagé par des ouragans, des séismes et des tsunamis, le temps est compté pour découvrir la vérité.
La critique de Mr K : Je ne me suis jamais vraiment remis de la claque que fut la lecture de FUTU.RE du même auteur, un roman de SF ambitieux et sans concession qui m’avait procuré un plaisir de lire rare et précieux. C’est donc avec une joie ineffable que je découvris le cadeau de Noël de belle-maman en décembre dernier. On ne le dis jamais assez, il faut toujours soigner ses relations avec sa belle-mère !
Dans Sumerki, roman de 380 pages, nous suivons la lente descente aux enfers de Dmitry Alexeïevitch, un traducteur moscovite confronté à un curieux texte écrit en espagnol il y a plusieurs siècles. Ce dernier relate une expédition de conquistadors dans la jungle du Yucatan à la recherche d’un mystérieux objet sacré aux yeux des mayas. Plus il avance dans sa traduction, plus Dmitry voit sa perception du réel se troubler, la réalité et l’imaginaire se mêlant inextricablement au fil des chapitres qui s’égrainent comme autant de coups de semonce avant la révélation finale. Rajoutez à cela des événements étranges et catastrophiques qui se produisent un peu partout dans le monde comme annonciateurs d’une apocalypse à venir et vous obtenez un texte prenant comme jamais qui fait la part belle à l’introspection du narrateur-héros et à l’installation d’une atmosphère inquiétant et glauque au possible !
Par bien des aspects, ce livre m’a tout d’abord fait penser à une superbe étude de caractère à la manière du Horla de Maupassant (malgré un style d’écriture très très différent). L’auteur s’évertue à nous décrire la moindre action, moindre pensée de son personnage principal dont on ne sait jamais vraiment s’il est sain d’esprit. Être plutôt ordinaire, quelconque, à la vie bancale, Dmitry va à travers ce nouveau travail aux conditions étranges (il reçoit les manuscrits au compte-gouttes) se révéler à lui-même. Il se retrouve confronté à l’extraordinaire entre croyances mayas qui semblent ressurgir dans le réel, un écrit mystérieux qui pose énormément de questions et n’apporte pas beaucoup de réponses dans un premier temps. On navigue donc à vue avec ce héros attachant mais néanmoins dérangé qui au fil de ses expériences, de ses rencontres interlopes (des voisins bizarres, un limier de la police qui ne lâche rien, une créature inquiétante stationnant devant sa porte...) et de ses recherches sur les mayas va toucher du doigt une vérité à la fois terrifiante et jubilatoire.
On explore Moscou avec lui, passant de l’appartement étouffant aux grands boulevards et aux ruelles sombres. On rentre avec Dmitry dans d’étranges musées poussiéreux se situant dans une rue qui n'apparaît sur aucune carte et les locaux des agences de traduction ont tendance à disparaître du jour au lendemain... Il n’y a donc pas seulement l’esprit du héros qui soit touché par un mal grandissant, ce dernier se reflète aussi dans la réalité qui l’entoure et l’accumulation de nouvelles graves des désordres du monde n’est pas fait pour rassurer. Il semblerait que la nature se réveille et prenne sa revanche sur les êtres humains. Cette fin du monde qui se profile est-elle prévue de longue date ? Est-elle inéluctable ? Que cache le mystérieux manuscrit à ce propos ? Tout autant de questions qui trouvent leur réponse dans un final halluciné et hallucinant qui m’a laissé totalement pantelant (et ravi) en fin de lecture.
Sumerki est un bijou d’écriture. On retrouve la splendide langue de l’auteur qui se fait ici encore plus intimiste pour mieux explorer les abysses de l’esprit humain et la théogonie maya. Ce mélange subtile entre un homme en perdition qui se raccroche à un travail qui le fascine et l’immersion dans un système de pensée totalement différent du notre : celui des mayas. Le rythme dans cet ouvrage est plus lent que dans FUTU.RE, les descriptions y sont plus nombreuses et les interactions entre personnages plutôt rares. Mais on retrouve la critique acerbe de nos sociétés qui apparaît au détour d’une réflexion ou d’une phrase, un sentiment de mélancolie, de désespoir qui prend à la gorge le lecteur hypnotisé par le passage régulier entre le récit d’exploration qui vire au voyage mystique et les retours à une réalité qui se transforme en cauchemar. C’est très dérangeant, exigeant de part la finesse d’écriture et du sous-texte mais incroyablement beau dans son aspect crépusculaire (ça tombe bien, Sumerki signifie crépuscule en russe).
Je n’en dirai pas beaucoup plus pour ne pas livrer de clefs de lecture mais ce livre est une sacrée expérience littéraire. Il confirme tout le bien que je pense de cet auteur décidément à suivre, ancré dans son époque mais néanmoins très inspiré d’auteurs comme Dostoïevski notamment dans le traitement des personnages. Sumerki est une petite bombe comme on en lit rarement, je ne saurai trop vous conseiller de tenter l’aventure à votre tour. Vous verrez, vous en reviendrez changé !
"Le Principe du désir" de Saïdeh Pakravan
L'histoire : Le couple. Sarah Bly, artiste new-yorkaise en pleine ascension dans le marché de l'art contemporain, rencontre un homme exceptionnel et immensément charismatique, Thaddeus Clark. Non seulement est-il un collectionneur de renommée internationale, un mécène et un géant des marchés financiers mais c'est aussi un être profondément équilibré et adorant la vie. Un homme heureux dont Sarah s'éprend de toute son âme mais avec qui elle ne veut pas vivre une banale histoire d'amour. Pour parer à ce risque, elle fait sien le Principe du désir : puisque nous voulons tous ce que nous n'avons pas, jamais Clark ne verra d'elle autre chose qu'une tiédeur amicale et plutôt indifférente, sauf dans leur vie sexuelle, d'une rare intensité. Devant la poursuivre sans cesse, il continuera à l'aimer. Dans l'état second qui devient le sien, saura-t-elle dépasser sa folie passagère pour arriver à vivre avec Thaddeus ?
La critique de Mr K : Ce titre est le deuxième que je lis de Saïdeh Pakravan après le très réussi La Trêve sorti l’année dernière. En entreprenant cette lecture, j’espérais retrouver la science de la narration et le style brut mais poétique de Saïdeh Pakravan. Bien que totalement différent dans l’histoire et même la forme, Le Principe du désir est une très belle expérience explorant les arcanes du milieu artistique à New York et disséquant une relation amoureuse qui part sur de bien mauvaises bases...
Sarah Bly est une jeune peintre en pleine émergence sur la scène arty avant-gardiste de NYC. À l’occasion du vernissage de sa dernière exposition, elle fait brièvement connaissance avec Thaddeus Clark, un membre de l’establishment new yorkais, amoureux de l’existence, collectionneur d’œuvres d’art en tout genre et magnat financier philanthrope. Malgré cette perfection apparente, Sarah décide d’appliquer l'étrange et malsain "principe du désir". Elle ne se livrera jamais totalement à son compagnon (sauf lors de parties de scrabble endiablées sous la couette), préservant une part de mystère, de résistance qui entretiendra selon elle le désir que lui porte Thaddeus. Bien qu’efficace dans un premier temps, la méthode va vite révéler ses limites, mettant en danger tout ce qui a été construit...
Ce volume de plus de 420 pages se lit très rapidement et avec un plaisir renouvelé. Presque cantonné à un rôle de voyeur, l’essentiel de l’intérêt de ce roman réside dans sa propension à explorer le fonctionnement d’un couple. Sa part de lumière tout d’abord avec deux êtres que tout uni depuis leur amour sincère l’un pour l’autre à leur goût commun pour l’art. Ils étaient vraiment fait pour se rencontrer et c’est avec un plaisir de midinette qu’on suit la première vision de l’autre, le jeu de séduction puis finalement l’officialisation. L’auteur s’y entend à merveille pour nous faire partager les premiers émois, les questionnements du début et Saïdeh Pekravan cisèle ses personnages qui sont d’une densité bluffante, ce qui est un gage de crédibilité et d’intérêt pour le lecteur. Petit bémol, le Thaddeus est presque trop beau pour être vrai, heureusement que la deuxième partie du roman le met à mal et va permettre de fêler un peu ce personnage de prince charmant bien sous tout rapport.
Sous ses aspects de conte de fée, très vite on sent bien que les choses vont déraper. Sarah en décidant d’adopter une attitude de réserve et en ne s’ouvrant pas complètement à Thaddeus creuse sa propre déchéance. Peu à peu, l’enthousiasme et l’amour semblent se faner, le lecteur assiste impuissant à cet état de fait et clairement on ne peut être indifférent. Pour ma part, Sarah m’a bien énervé à plusieurs reprises à cause de son comportement de jeune fille trop gâtée, qui finalement a plus peur de s’engager qu’autre chose. Pauvre petite fille qui va devenir riche... Certes elle souhaite garder son indépendance, refuse bien des dons précieux que souhaite lui faire Thaddeus mais au bout d’un moment il y a des limites à ne pas franchir, ce qu’elle va bien évidemment faire ! On s’agace donc beaucoup face à ce personnage ambigu qui se révèle avant tout très humain dans ses doutes et ses passions. Les évolutions de sa relation avec Thaddeus sont décrites avec finesse, sans fioriture et avec un goût certain.
Au delà de cette histoire d’amour étrange, ce livre est l’occasion aussi de se plonger dans le monde de l’art dans le New York d’aujourd’hui. Nous en explorons tous les aspects depuis l’atelier de l’artiste dans un quartier vivant aux salons et salles d’enchères où les fortunes en présence rivalisent pour acquérir les plus belles pièces. Le personnage de Thaddeus est le vecteur central de tout cet aspect du livre, et l’on se plaît à s’intéresser à certains courants artistiques méconnus, à suivre le déroulé d’un vernissage et de la vente qui s’ensuit. C’est enrichissant mais jamais pédant et toujours accessible pour un partage total et un plaisir de lecture toujours intact tout du long des 420 pages de cet ouvrage.
Au final, on est face à un très bon roman : dense, intimiste et très facile à lire. Une expérience à tenter assurément si les thèmes abordés vous intéressent et que les amours tortueuses ne vous rebutent pas !