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Le Capharnaüm Éclairé
27 juillet 2016

"Un barrage contre le Pacifique" de Marguerite Duras

barragepacifique

L'histoire : Dans le sud de l’Indochine française, en 1931, une veuve vit avec ses deux enfants, Joseph et Suzanne (20 et 17 ans). Leur bungalow est isolé dans la plaine marécageuse de Ram. Leurs conditions de vie sont déplorables : ils sont fréquemment contraints à manger de l'échassier, ne possèdent qu'une vieille automobile modèle B12... La mère a économisé durant 15 ans pour se voir attribuer cette concession, qui s'est finalement révélée incultivable, les plantations sont détruites tous les ans par la mer de Chine (qui semble être le Pacifique aux yeux de la mère, à cause de l'inégalité du combat). La mère, désillusionnée après avoir vu ses barrages détruits par le Pacifique invincible et soumise au harcèlement de l'administration corrompue, commence à sombrer dans la folie.

La critique de Mr K : Deuxième incursion chez Duras depuis que nous tenons ce blog après la superbe lecture de L'Amant qui m'avait conquis par son écriture hors norme et sa sensualité à fleur de ligne. Je remets le couvert aujourd'hui avec Un Barrage contre le Pacifique qui mêle lui aussi fiction et éléments autobiographiques. La lecture fut plus lente à l'image du rythme injecté dans cette sombre peinture du genre humain qui divise beaucoup les critiques sur le net. À mon tour de m'y coller !

Retour dans l'Indochine coloniale avec au centre du roman la mère, figure maternelle omnipotente que la folie gagne peu à peu. Ancienne institutrice, tentée par l'aventure coloniale, elle loue une concession incultivable et vient de subir un échec de taille avec la destruction du barrage qu'elle avait érigé contre les grandes marées du Pacifique qui chaque année ravagent les récoltes des terrains alentours. Elle vit avec ses deux enfants dans une pauvreté extrême et continue de croire en un avenir meilleur. Mais Joseph et Suzanne ne sont pas dupes, surtout quand la mère a pour ambition de marier sa fille au fils d'un riche planteur local repoussant. Dès lors, on sent que le drame est en marche et que cette histoire ne peut que mal se terminer...

On est ici dans l'ultra-réalisme. Rien ne nous est épargné en terme d'actions du quotidien, des atermoiements de chacun et de leurs pensées intimes. Duras pénètre les cœurs et les esprits dans une sarabande des sentiments qui vire peu à peu dans le malsain et le glauque. Ce n'est pas pour me déplaire, les personnages bien qu'assez imbuvables ont un charisme certain. La mère est un modèle d'être humain aux illusions perdues, le fils un être encore en formation partagé entre l'envie de partir et celle de veiller sur les deux femmes de sa vie et Suzanne s'éveille à la maturité jouant de sa sensualité avec une trouble innocence. Gare à ceux et celles qui croisent leur route, ils pourraient les accompagner dans leur chute.

Il se dégage de ce roman de 365 pages une sensualité et une violence diffuse de tous les instants. Les mots claquent parfois comme des sentences et les êtres se déchirent dans un monde lointain où règne notamment la corruption d'un système colonial inique et intéressé. Tout est fait pour exploiter les indigènes mais aussi les colons d'extraction pauvre qui ont le malheur de vouloir tenter leur chance. La famille de "blancs" que nous suivons est d'ailleurs assez proche de ses voisins indigènes et partage le même quotidien, les mêmes difficultés. La critique est féroce et sans concession envers ces petits fonctionnaires territoriaux qui se servaient largement au passage sur le dos de leurs victimes asservies par les crédits et les règles en vigueur.

C'est à travers le miroir de la mère et sa longue chute en enfer que le discours prend toute sa force. Duras excelle dans la mise en scène de cette folie galopante qui grignote la mère sans concession et de manière progressive. Les rapports avec ses enfants, ses amis s'en voient changés et sont rendus de manière fort précise et sensible. Des passages sont éprouvants, la famille en devient même parfois détestable notamment tout l'épisode avec Mr Jo qu'ils manipulent pour obtenir de lui une échappatoire grâce à un putatif mariage avec Suzanne, un diamant à la qualité douteuse... Le final est sans appel avec une fin logique, implacable faisant la part belle aux possibilités multiples pour les personnages qui ont réussi bon gré mal gré à s'en sortir.

Ce livre se lit assez facilement si on se laisse séduire par cette immersion dans une Asie lointaine et d'un autre temps. Le rythme du récit est languissant, voir très lent par moment, il risque de faire perdre le fil et l'envie à certains lecteurs notamment les plus impatients. Il ne se passe finalement pas grand chose dans ce roman, il n'est qu'un prétexte à décrire une rude réalité et ses effets sur le microcosme d'une famille et ses relations extérieures. Pour ma part, j'ai aimé l'ambiance, la déliquescence des rapports humains et l'aspect documentaire de l’ouvrage. Ce fut une lecture différente pour un auteur vraiment en décalage avec son temps et au talent d'écriture fascinant. Une expérience vraiment à tenter si le cœur vous en dit.

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