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Le Capharnaüm Éclairé
12 mai 2016

"Le reste est silence" de Carla Guelfenbein

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L'histoire : Tommy a douze ans et une maladie cardiaque qui lui interdit les jeux turbulents des garçons de son âge. Caché sous une table, il s’amuse à enregistrer sur son Mp3 le joyeux verbiage d’un banquet nuptial. Et voilà que l’on parle de sa mère, brutalement disparue dix ans plus tôt. Une brèche s’ouvre dans les secrets si bien gardés d’une famille recomposée, comme il en existe tant. La vie que tous croyaient ordonnée et paisible dérape, et les liens se distendent à mesure que l’histoire se tisse. Dans les non-dits de l’autre, chacun cherche sa propre vérité. L’enfant découvre à travers la mort violente de sa mère l’improbable "faute" de la judéité. Le père voit se raviver l’abyssale impuissance à protéger ceux qu’il aime. Et la belle-mère d’affronter une fragilité qui lui vient de l’enfance, une incapacité d’aimer et d’être aimée.

La critique de Mr K : Lors d'un énième craquage chez l'abbé, je vous avais parlé de toute une série de livres édités chez les éditions Actes sud dont je me portais acquéreur. Le reste est silence de Carla Guelfenbein est le premier sur lequel je jetais mon dévolu, le moins que je puisse dire c'est qu'il m'a fait un sacré effet! C'est la larme à l’œil que je terminais cette lecture au charme puissant et durable, belle exploration d'une cellule familiale recomposée qui dysfonctionne. Intimisme et banalité des faits se conjuguent en un récit d'une rare puissance qui emporte tout sur son passage, y compris le lecteur désarmé face à tant de talent!

C'est à travers le point de vue de trois personnages différents que nous suivons ce récit d'une chronique familiale à priori anodine. Tommie, un jeune garçon fragile passe son temps à enregistrer les conversations des adultes et à observer leurs réactions. Ce hobby va se révéler désastreux quand il va se rendre compte qu'on lui a toujours caché la vérité concernant la mort de sa génitrice quand il avait trois ans. Ce suicide déguisé en accident va l'ébranler dans ses certitudes. Surtout que son petit monde se fissure de toute part. Son père (Juan) est accaparé par son travail de chirurgien cardiaque, il passe plus de temps au chevet de ses jeunes patients et sa deuxième épouse (Alma) s'éloigne de lui à la faveur de la redécouverte d'un premier amour.

Tour à tour, nous suivons les atermoiements de chacun, les doutes qui les accompagnent et des scènes de flashback qui éclairent peu à peu la situation présente sous un jour nouveau. Les quarante premières pages peuvent d'ailleurs sembler un peu obscures au début tant l'auteur se plaît à ne pas donner toutes les cartes au lecteur qui doit poursuivre sa lecture pour se voir révéler des éléments clefs qui expliquent par la suite les premières réactions des personnages. Un peu à la manière d'un puzzle, c'est le flou intégral qui règne dans l'esprit du lecteur mais dès le départ on sent comme une ombre planer sur ce tableau plutôt vivant d'une famille lambda.

Pourtant, il y a de l'amour et de l'affection entre Juan et son fils même s'ils sont tous les deux taiseux, entre Tommie et Lola (fille d'Alma) qui se sentent frère et sœur malgré leur absence de toute parenté sanguine, entre Alma et Tommie rapport mère-fils qui s'est installé naturellement et qui inonde certaines pages d'une douce chaleur. Mais au fil du récit, ce sont surtout les malentendus et les non-dits qui ressortent, ces silences et ces absences de communication qui vont précipiter un drame terrible dont on ne soupçonne la nature qu'à la toute fin d'un roman qui se densifie de page en page, espèce de mécanique infernale à la Cocteau se terminant dans la peine et la souffrance. J'ai été clairement bousculé par cette histoire pourtant au départ plutôt simple et c'est le cœur en miette que l'on termine cette lecture éprouvante et belle à la fois.

Très vite on s'attache à ses trois destinées très différentes et pourtant intrinsèquement liées. Tommie m'a rappelé nombre de gamins en perdition dont je peux avoir la charge dans mon travail. Fasciné par la figure paternelle, il ne souhaite rien de plus que de briller à ses yeux et ne semble ne pas y parvenir. Alma est à la poursuite de l'amour qu'elle ne semble jamais pouvoir vraiment conserver, gâté par des blessures secrètes datant de sa prime enfance. Et Juan est obnubilé par son travail et les vies qu'il tente de sauver, il semble aveugle et insensible aux malheurs et fêlures familiales qui l'entoure. Le fatum joue à plein et le lecteur assiste impuissant à la déliquescence des liens familiaux, l'errance des âmes et les rouages de l'intimité d'une famille sont méthodiquement dynamités par des secrets inavouables.

Le reste est silence est terrifiant d'efficacité et d'une rare beauté, la langue de Carla Guelfenbein est d'une grande poésie entre rêverie et révélations choc. On passe un effroyable et merveilleux moment de littérature. À lire absolument car déjà culte pour moi!

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Commentaires
F
Repéré chez toi il y a fort longtemps. Fini hier soir et waouh lecture si belle, la fin est bouleversante. Merci pour le conseil, je continue d'obéir au Capharnaüm. Bisous
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M
Oh que tu fais bien! :)
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F
Je note !
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E
vive l'abbé ! je vais voir s'il est dispo à la bibli merci pour cette belle chronique
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