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Le Capharnaüm Éclairé
17 janvier 2016

"Un Jeu à somme nulle" d'Eduardo Rabasa

un jeu à somme nulle

L'histoire : "Notre époque est parvenue à dépasser le fétichisme de la propriété : l'argent a bien compris que la meilleure façon de gouverner dans l'intérêt d'une petite minorité, c'est de convaincre tous les autres que leur bien-être en dépend".
Max Michels a l'habitude de cohabiter avec les voix présentes dans sa tête. La voix de son père, un homme exigeant jusqu'à la tyrannie qui lui a inculqué de force la maxime selon laquelle "la valeur de tout homme se mesure à la dose de vérité qu'il peut supporter". Et les voix des "nombreux" qui remettent sans cesse en cause le moindre de ses actes. Jusqu'au jour où, lassé d'être la marionnette de ses démons, il décide de se présenter à la présidence de Villa Miserias, une "unité habitationnelle" régie par un système subtile mais implacable : le quiétisme en mouvement.

La critique de Mr K : Une pièce maîtresse en matière de lecture prospective et enthousiasmante comme jamais aujourd'hui avec Un Jeu à somme nulle d'Eduardo Rabasa qui s'apparente à la fois au fameux 1984 de Orwell (l'auteur ne cache pas son influence) et aux chroniques sociétales chères aux auteurs sud-américain. L'entrée en matière est cependant rude, ce livre se mérite! Mais une fois que vous serez plongés dedans, il vous sera impossible de le relâcher tant la portée philosophique est puissante et le récit bien mené vers un final haletant.

Disons-le tout de go, il ne se passe pas grand chose dans ce roman. D'ailleurs le résumé en quatrième de couverture est trompeur, la fameuse campagne électorale se concentrant sur le dernier quart du livre. Durant la majeure partie de cet ouvrage, l'auteur nous invite à suivre Max, un jeune homme très particulier. On suit son existence à travers un savant mélange de flashbacks détournés, de digressions dithyrambiques sur telle personne qu'il croise ou tel concept appliqué dans ce vase clos que se révèle être Villa Miserias. En cela, la construction du personnage de Max (et de tous les autres protagonistes d'ailleurs) est un régal de chaque ligne, l'auteur s'amusant à nous livrer les détails de son existence dans le désordre et sans cohésion apparente (son enfance avec un père autoritaire, sa découverte de l'Amour, sa perception du microcosme de Villa Miserias entre autre). Les liens se font plus tard au contact de personnages secondaires, de voix schizophréniques qui déprécient systématiquement le héros et le torturent inlassablement.

Car Max entend des voix! Sa vie s'en révèle d'autant plus difficile que Villa Miserias est un univers à part sur notre planète. Régie par de curieux concepts à la frontière du communisme le plus pur et l'individualisme forcené (c'est étrange dit comme cela mais tout se tient dans le livre), à travers les expériences passées de Max et certains chapitres consacrés aux maîtres de la cité, on plonge dans un régime dit démocratique mais derrière lequel se cache des rouages et des intérêts loin du bien commun. Churchill disait que la démocratie était le moins mauvais des systèmes politiques, cette citation prend tout son sens ici où la population est entretenue dans l'ignorance sciemment et encouragée à voter malgré le caractère inutile de cet acte citoyen. En effet, en amont, tout est contrôlé et orienté pour que les grandes messes démocratiques ne réservent aucune surprise par les élites et surtout, il plane sur l'ensemble l'influence du mystérieux créateur du fameux concept de quiétisme en mouvement que je vous laisserai découvrir par vous-même lors de votre lecture.

Cette oeuvre fascinante est une belle critique en filigrane des déviances de notre chère démocratie qui laisse de plus en plus de terrain au sacro-saint argent-roi: endormissement des masses, lobbying larvé dans toutes les réformes engagées, recul de l'esprit critique par la médiatisation extrême et la bipolarisation des idées… Autant d'orientations néfastes bien visibles dans notre société et qui sont ici dynamitées par Eduardo Rabasa qui signe ici un premier roman d'une rare justesse et d'une maîtrise totale. La langue est exigeante (certains passages méritent qu'on s'y attarde pour en saisir toute la profondeur) mais jamais rébarbative, faisant aussi la part belle à des introspections personnelles du héros et à ses errances physiques et cérébrales (la flagrance Gainsbourg période L'Homme à la tête de chou flotte sur ces pages).

Politique-fiction et étude maligne de la société, destin contrarié forçant l'empathie du lecteur, érotisme révélateur de nos pulsions et de notre construction personnelle sont au RDV de ce grand et beau livre qui marque durablement et touche parfois au génie. Un must et une nouvelle pierre angulaire dans le genre! À lire!

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