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Le Capharnaüm Éclairé
9 décembre 2015

"En France" de Florence Aubenas

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Le contenu : Loin des beaux quartiers, Florence Aubenas arpente les plages du Sud-Est, les villes et les banlieues du Nord, à la rencontre de ces gens délaissés par le monde politique et médiatique. Petits commerçants, jeunes intérimaires, maires de villages oubliés, ouvriers menacés de chômage... Autant de vies que la journaliste décide de mettre en lumière et qui dessinent le visage de la France.

La critique de Mr K : Chronique un peu spéciale aujourd'hui avec cet ouvrage documentaire, En France, que j'ai eu l'occasion de découvrir il y a peu. Je fais étudier régulièrement en cours des extraits de Quai de Ouistreham où Florence Aubenas avait réalisé une expérience intéressante en se mêlant à la troupe des demandeurs d'emploi dans une ville du nord de la France. Poursuivant sur cette thématique et en l'élargissant à d'autres, elle propose à travers ses chroniques écrites pour le journal Le Monde de partager brièvement le quotidien et les aspirations de populations trop souvent oubliées par les médias. La plongée est saisissante pour ne pas dire inquiétante. On ressort profondément bouleversé de cette lecture surtout à la vue des résultats récemment sortis des urnes…

La journaliste a donc beaucoup voyagé et elle se concentre dans cet ouvrage sur trois sujets qui lui tiennent à cœur: la France des oubliés et la politique, le cas du dernier camping sauvage de Méditerranée sur la plage de Piémanson et la jeunesse française. Pour concentrer au mieux la teneur de ces rencontres, de ces scènes de vies croquées sur l'instant, le format est court. Florence Aubenas n'excède jamais les 8 pages pour présenter un lieu, une situation. Il se dégage une certaine urgence et une concision bienvenue et non réductrice qui permet de faire le point sur un aspect de notre société sans enrobage inutile ni ciblage particulier. On est bien loin donc des reportages à charge ou lénifiants tels qu'ils pullulent dans la boîte à connerie (B-FN et consorts s'amusant à distiller peur et ressentiments à longueur de courts et longs documentaires sur la délinquance, les trafics divers et variés). Le but ici est de faire le portrait d'une certaine France sans arrière-pensée et sans volonté de faire la morale.

Le moins que l'on puisse dire c'est qu'on en prend plein la figure quand on est soi-même un républicain convaincu, adepte du consensus et du dialogue. Au détour d'une usine qui ferme, d'une sortie des classes, au beau milieu d'une exploitation agricole, dans un foyer français d'origine maghrébine, dans les rues de Lille et tout un tas d'autres lieux, c'est l'inquiétude qui ressort à quelques exceptions prêt. Peur de l'autre tout d'abord avec cette montée irrépressible du FN et sa démagogie qui fait mouche chez les oubliés de la politique. Ce parfum des années 30 qui sent bien mauvais depuis quelques années avec notamment le relais d'idées nauséabondes par un certain Tsar Cosy et une gauche molle et sans réelle ambition sociale qui a abandonnée les masses laborieuses depuis trop longtemps. Dans la patrie des droits de l'homme, ça fait un peu tâche non? 30% de voix pour l'extrême droite! Loin d'être tous des racistes bornés, ce vote trouve son origine chez des personnes qui se considèrent comme totalement hors course économiquement, socialement. Cela donne lieu a des témoignages bruts de décoffrage mais reflets de cette colère et de ce désarroi qui monte.

Peur du changement aussi qui donne raison à un certain Louis XIV ou encore au général De Gaulle qui avaient dit en leur temps que la France était un pays ingouvernable, impossible ou presque à reformer. Certaines histoires comptées ici font directement échos à ces propos pourtant lointain. On veut bénéficier de la modernité, consommer mais pour autant garder une certaine identité, se replier sur soi et sur le fameux bon vieux temps qui n'existe que dans des souvenirs figés et subjectifs. Une mélancolie s'installe dans ces pages, jadis est regretté et demain fait peur. Personnellement, travaillant avec des jeunes adolescents déboussolés (je sais c'est un pléonasme), je ne peux penser ainsi et l'idée que l'on puisse revenir en arrière notamment sur des grandes avancées sociales me fait peur (je pense notamment à la possible arrivée d'une Le Pen en PACA qui couperait les vannes financières au planning familial).

Quelques éclaircies traversent cependant cet ouvrage avec des français tout de même heureux de l'être. J'ai aimé cette femme aubergiste venue s'installer en pleine cambrousse et qui va épouser sa compagne malgré les commérages et les mauvaises langues. Au final, sa joie de vivre finit par vaincre les préjugés. J'ai été touché par ses immigrés de la deuxième génération qui remercient encore et toujours ce pays qui les a accueillis mais dont certains habitants réclament le départ et qui ne comprennent pas ce qui arrive dans leur terre d'accueil. Par petite touche et à travers une langue très simple d'accès, sans fioriture, Florence Aubenas donne à voir une France plurielle, anxiogène parfois, mais aussi riche en possibilité malgré la crise. À la vue des derniers résultats, mon inquiétude est grande, mais relâcher nos combats serait la pire des solutions.

Cet ouvrage fut donc à la fois instructif et source d'inspiration. On pense à des questions, des problématiques que l'on oublie trop souvent. Malheureusement, certains en font leur fond de commerce, dévient les soucis ici exprimés et proposent de fausses solutions qui au lieu de régler les choses les empireront. En France de Florence Aubenas est un constat. Il est amer, parfois dur à lire, mais il a pour lui son authenticité. À lire en toute connaissance de cause pour espérer un jour faire renaître un espoir fondé non pas sur la différence et le rejet mais sur la coexistence et l'intelligence. Purée, c'est mal parti...

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Commentaires
R
J'ai lu 'Ouistreham" et en suis restée bouleversée pas seulement pour quelques jours, ce récit résonne encore en moi. Je vais lire "En France". Le coeur en charpie, sans doute... merci quand même ! ;-
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D
Merci pour cette excellente chronique dont je partage tout-à-fait l'analyse et les craintes... <br /> <br /> D'ailleurs ce genre de livre n'est généralement lu que par des personnes aux consciences déjà sensibilisées, hélas...<br /> <br /> Le quai de Ouistreham m'avait déjà subjugué par la violence de sa démonstration, d'autant plus que les témoignages provenaient de gens de mon espace quotidien.
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