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Le Capharnaüm Éclairé
25 septembre 2015

"Versus" d'Antoine Chainas

versus-antoine-chainas

L'histoire: Si le major Paul Nazutti n'a pas la réputation d'être un tendre, c'est qu'il est en guerre. En guerre contre les tueurs d'enfants, les pervers, les hommes, les femmes, les hétéros, les homos, les syndicalistes, les Noirs, les chômeurs, les touristes, les cadres, ceux qui savent tout et les autres… En guerre contre le monde entier: une guerre totale menée par un esprit radical sans limites. Combien de temps peut-on vivre dans un tel flot de rage? Nazutti, responsable de la brigade des mineurs, visage carré, regard franc, révulse et fascine tous ceux qui le croisent. En a-t-il trop vu? Trop fait? Il sait qu'il ne laissera qu'une trace dans les statistiques et n'a que faire de la rédemption. Un énième tueur croise sa route. Ce dernier abat des pédophiles et les enterre auprès du corps de leur dernière victime. D'étranges poèmes accompagnent ces mises en scène. Nazutti connaît. Nazutti souffre. Le fauve est lâché…

La critique de Mr K: Une belle petite claque aujourd'hui avec Versus découvert par hasard dans un bac de l'abbé. La quatrième de couverture m'avait scotché par son pitch à priori jusqu'au-boutiste, avec un héros hors du politiquement correct et borderline. Du moins, selon les intentions d'un auteur, Antoine Chainas, que je connaissais pas jusqu'alors mais que la presse spécialisée a notamment qualifié de découverte du polar français. Il ne m'a pas fallu bien longtemps pour venir à bout de cette histoire qui s'apparente pour beaucoup à une lente et douloureuse descente aux enfers pour les personnages et une expérience vraiment singulière pour les lecteurs.

Nazutti est pour le moins que l'on puisse dire un homme en colère contre le monde entier. Personne ne trouve grâce à ses yeux, il me ferait presque passer pour quelqu'un qui ne râle jamais (ce qui n'est pas peu dire!). Séparé mais pas divorcé de son ex alcoolique, il n'a plus vu sa fille depuis 17 ans! Il s'est réfugié dans son travail à la brigade des mineurs où il côtoie l'horreur quotidiennement (le film Polisse paraît bien lisse à côté). Véritable Croisé, la folie le guette, cristallisant les haines et les ressentiments envers lui dans son entourage. Il use ses coéquipiers les uns après les autres (suicide, démission, séjour en hôpital psy…), il est connu comme le loup blanc et personne n'ose l'affronter.

Et puis, un jour il y a cette nouvelle enquête où une sorte de justicier semble s'en prendre uniquement aux pédophiles qu'il exécute d'une balle entre les deux yeux, les enterrant à côté de leur pauvre petite victime accompagné d'un poème aussi nébuleux qu'évocateur. C'est justement le moment où Nazutti doit former un nouveau tandem avec le jeune Andreotti, policier mis au placard suite à une enquête qu'il a rudement mené et qui mettait en cause des membres de la Police. Il va devoir s'adapter au fauve Nazutti et va découvrir les facettes de cet homme complexe et aux activités étranges en dehors du travail. Mais le temps tourne! Les cadavres se multiplient et la menace semble se rapprocher...

La grande grande force de ce roman réside dans le traitement des personnages. Antoine Chainas se garde bien de nous livrer les clefs de chacun d'un bloc, il distille les infos par petites touches. Nazutti est un extrémiste des plus glaçants au départ, tout nous sépare lui et moi. Pourtant, il est hypnotique, fascinant, un peu à la manière d'un Hitler électrisant les foules par ses discours haineux. Très vite, on comprend que Nazutti n'est pas que l'image qu'il donne à voir, la vie l'a usé et derrière cette haine de tout et de tous se cache un homme torturé et au bord du gouffre. Le révélateur Andreotti est en cela bien trouvé car à travers la confrontation de style entre les deux coéquipiers, on cerne un peu mieux les deux protagonistes principaux qui évoluent beaucoup tout au long de l'intrigue avec une influence réciproque qui laissera des marques. On ne s'attache pas à eux car personnellement je les ai trouvés détestables tous les deux, mais un peu à la manière d'une série à la Braquo (en plus trash ici tout de même!), c'est sans fioriture ni manichéisme qu'on aborde des personnages hauts en couleur et terriblement humains (pour le meilleur et surtout pour le pire!) et on ne peut s'empêcher de poursuivre sa lecture tant on veut connaître le fin mot de l'histoire.

En filigrane, on retrouve des thématiques classiques pour le genre: la guerre inter-service au sein de la Police Nationale. Ainsi les gars de la Criminelle sont ici assez épouvantables n'hésitant pas à mettre des bâtons dans les roues de leurs collègues de la brigade des mineurs, la nouvelle commissaire ne court qu'après les statistiques et semble bien éloignée de ses hommes, les rapports humains sont rudes dans ce milieu et les heures de sommeil trop rares. Là où Chainas frappe fort et choquera plus d'un lecteur au passage, c'est la description qu'il peut faire des perversités dont se révèlent capables certains esprits malades et tordus. On rentre dans l'esprit des pédo-criminels, on visite nombre de lieux interlopes dont une société procurant des plaisirs plutôt extrêmes, véritable cours des miracles des déviances sexuelles possibles. C'est parfois ragoûtant et très angoissant, j'ai été pris plus d'une fois à la gorge et je suis sorti un peu groggy de passages vraiment très poussés. En tous les cas, on ne tombe pas dans le gratuit ou l'anodin, tout sert l'intrigue et l'amène inexorablement vers un final tétanisant et forcément très noir.

L'écriture très nerveuse, syncopée et argotique accompagne à merveille le sujet et la trame de l'histoire. Clairement le style ne plaira pas à tout le monde, cet auteur divise par ses partis pris d'écriture qui pour moi ne sont pas qu'un simple effet putassier mais plus le reflet d'une réalité. Une réalité glauque certes (que certains voudraient cacher...) mais qui existe. Alors, on en prend plein la tronche, on peut être choqué (et je l'ai été par moment) mais on ne peut contester ce talent pour planter une situation et la crédibiliser. Pour ma part, j'ai accroché tout au long des 646 pages de l'ouvrage et je suis sorti tout pantelant d'un final bien mené et construit vraiment différemment de ce que j'ai l'habitude de lire dans le genre.

Ce fut donc une grande et âpre lecture qui saura vous séduire si vous aimez le genre et que vous vous blindez suffisamment pour affronter les monstres et chimères qui peuplent cet ouvrage étonnant et terrifiant.

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Commentaires
M
Et hop ! Dans ma liseuse !!!!!!!!!!!!!!!!! ;-)
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A
La 4e de couv m'avait déjà séduite, mais ton avis me donne encore plus envie de l'acheter ! J'adore ce style de roman mais celui-là a l'air bien costaud quand même... Placé entre deux lectures légères ça devrait le faire !
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