mercredi 23 septembre 2015

"Un Amour aussi grand que le désert de Gobi vu à travers une loupe" de Tilman Rammstedt

un_amour_aussi_grand_que_le_desert_de_gobi_vu_a_travers_une_loupe_PIRANHA

L'histoire: Keith est né dans une famille tout à fait singulière : de sa mère, il sait peu de chose ; de son père, absolument rien. Tout comme ses quatre frères et sœurs supposés, il a été élevé par son grand-père et une succession de "grand-mères" toujours plus jeunes. À l'occasion du quatre-vingtième anniversaire du patriarche, les petits-enfants lui offrent un voyage pour la destination de son choix. Quand l’excentrique aïeul annonce qu’il a choisi de se rendre en Chine, c’est Keith, à son grand dam, qui est désigné pour l’accompagner. Pour la première fois de sa vie, il décide de ne pas obéir et dépense tout l’argent du voyage au casino. La situation se complique encore quand il apprend le décès de son grand-père. Afin d'éviter de tout avouer à sa famille, Keith commence à écrire des lettres racontant leurs aventures chinoises qui, au fur et à mesure, deviendront de plus en plus détaillées et extravagantes.

La critique de Mr K: C'est à mon tour de vous parler d'un livre paru chez les éditions Piranha suite aux deux lectures enthousiasmantes que Nelfe a pu faire auparavant. Plutôt spécialisés dans la littérature étrangère et notamment de jeunes auteurs qui ne demandent qu'à se faire connaître, ils frappent fort encore une fois avec cet ouvrage de l'allemand Tilman Rammstedt qui conjugue à merveille émotion à fleur de peau et aventures rocambolesques à la mode du Vieil homme qui ne voulait pas fêter son anniversaire.

Keith a été tiré au sort pour accompagner son grand-père vers la destination de son choix. L'ancien n'a jamais vraiment voyagé et ses autres petits enfants ont gagné à la courte-paille! Ça tombe plutôt bien vu que Keith n'est pas vraiment posé dans sa vie: pas de réel travail passionnant et aucune vie intime, il vit toujours chez l'aïeul dans un cabanon de jardin qu'il a fait aménager. Pour autant, l'éventualité ne l'enchante guère surtout qu'il vient d'entamer une liaison secrète avec la compagne actuelle du dit grand-père. Ce dernier est assez volage et apprécie beaucoup les femmes plus jeunes que lui! Un soir, pris par les effets de l'alcool et le désir de briser la promesse faite à ses frères et sœurs, il dépense bêtement tout l'argent prévu pour le voyage en Chine que désirait tellement faire son grand-père. Pour parachever cette situation plus que bancale, le grand-père décède. Au lieu de prévenir sa fratrie (et ainsi avouer son forfait), Keith décide de monter un gigantesque canular en écrivant une fausse correspondance qui va vite dévier vers des ailleurs assez ubuesques...

Autant vous le dire de suite, l'éditeur et les critiques allemandes insistent beaucoup sur le côté farfelu, pétillant et parfois hilarant de cet ouvrage. C'est vrai par moment mais ce n'est pas ce que je retiendrai en premier, loin de là. Cependant, j'ai souri à de nombreuses reprises notamment face à l'attitude ombrageuse parfois barrée du grand-père. Ces réactions sont surprenantes, très imprévisibles et bien malin le lecteur qui réussira à deviner à l'avance les circonvolutions du récit. Les aventures imaginées par le petit-fils dans les lettres factices qui s'intercalent entre deux chapitres de récit classique sont très drôles (la figure de Lian notamment, les réactions du grand-père en arrivant dans l'Empire du milieu, les personnages étranges qu'ils peuvent rencontrer) et on passe franchement un bon moment où l'étonnement épouse légèreté et univers décalé à la manière d'un film des frères Coen comme a pu le dire le magazine Kulturspiegel. Quand on sait le culte que je voue à un film comme The Big Lebowski, vous imaginez le plaisir de lecture que j'ai pu ressentir ici!

Pour autant, Un Amour aussi grand que le désert de Gobi vu à travers une loupe m'a davantage touché en plein cœur. Car en filigrane, au-delà de ces tribulations fantasmées et rocambolesques, c'est une description sensible au possible des relations entre un petit-fils et son grand-père qui nous est livrée. Très prude au départ (à l'image des deux personnages principaux), entre chaque lettre envoyée, l'auteur nous raconte ce qui a précédé: le tirage au sort, des flashback sur l'enfance du narrateur, les discussions avec le grand-père, la préparation du voyage, les dérapages du petit-fils avec la charmante Franziska (le fameux flirt!) et finalement la mort du grand-père et la venue de Keith à la morgue pour reconnaître le corps… Peu à peu, le voile se lève sur une relation très profonde et émouvante. Certaines scènes sont même très difficilement supportables en fin d'ouvrage, les larmes perlent au coin des yeux devant des pages parlant d'amour avec tact et finesse. Belle intensité dramatique qui m'a fait basculer et chavirer totalement. Mélange doux-amer, cette histoire n'est pas qu'un récit tarabiscoté mais bien, une belle déclaration d'amour inter-générationnelle sans pathos, ni chichi d'où transpire une humanité à fleur de page. J'en frissonne encore rien qu'en y pensant!

Le fond est soutenu par une langue épurée, attachante qui flirte entre poésie et urgence narrative. Les pages s’enchaînent sans difficulté, le plaisir de lecture se renouvelant de chapitre en chapitre, l'attente ne faiblissant jamais dans une atmosphère prenante et assez unique. Je suis ressorti un peu chamboulé et complètement conquis par le talent déployé par Tilman Rammstedt. C'est beau, c'est bon, c'est à lire absolument!