"Viens et vois" de Ales Adamovitch
L'histoire : Fliora est un jeune homme à peine sorti de l'adolescence lorsqu'il rejoint les partisans dans la forêt pour combattre les troupes allemandes. Vingt-cinq plus tard, il se rend avec un groupe de survivants pour inaugurer un monument commémoratif à Khatyn. C'est à travers les souvenirs de Fliora, qui remontent à la surface lors de cet étrange voyage en bus qui les mènent sur les lieux de la tragédie, qu'Ales Adamovitch dresse un tableau terrifiant du génocide et des crimes atroces perpétrés par les nazis : les habitants du village encerclé par un escadron de la mort allemand exécutés en masse, les femmes et les enfants jetés vivants dans les flammes qui ravagent les maisons et l'église du village.
La critique Nelfesque : "Viens et vois" est le genre de roman vers lequel je me tourne naturellement. Traitant de la Seconde Guerre mondiale, sujet que j'aime beaucoup en littérature comme vous devez le savoir maintenant, il aborde ce thème de façon frontale. Futurs lecteurs, soyez prévenus, avec ce roman vous allez souffrir !
Le lecteur fait ici connaissance avec Fliora Petrovitch, assis dans un bus à destination de Khatyn. A ses côtés, sa femme et son fils mais aussi bons nombres de ses anciens amis et connaissances datant d'une époque lointaine mais encore bien présente dans son esprit : la guerre.
Fliora a fait la guerre, la seconde, celle qui demeure encore dans tous les esprits contemporains. Du côté des partisans, contre les allemands. Il a arpenté les campagnes biélorusses, procédé à des manoeuvres de sabotage, volé de la nourriture pour survivre, protégé ses proches. Aujourd'hui aveugle, il gardera toujours imprimé dans ses rétines les images des atrocités dont il a été témoin. Des passages très durs qui sont de véritables crève-coeurs pour le lecteur et que Ales Adamovitch dépeint sans fioritures. Des familles entières parquées dans des églises ou des remises, abattues à bout portant ou brûlées vives. L'odeur des corps, le froid de l'hiver sous ces latitudes, la peur dans les yeux des civils et l'angoisse des enfants, les larmes des mères, les familles déchirées, la cruauté des SS, les plans d'extermination...
"Viens et vois" est un roman qui n'est pas à la portée de tout le monde. En premier lieu parce qu'il demande un certain bagage et des références historiques pour bien appréhender son histoire. Il n'est pas question ici des camps de concentration et des déportations que l'on connaît bien pour les avoir vu dans des centaines de films, reportages et livres. Ici, nous sommes en pleine Biélorussie, un pays loin de nos contrées françaises et pourtant touché lui aussi lors de la Seconde Guerre mondiale. Etant assez calée sur ce sujet maintenant, je dois avouer que des notes de bas de pages pour recontextualiser certaines scènes ou définir certaines termes "techniques" n'auraient pas été de trop. J'ai dû moi-même faire quelques recherches et stopper ma lecture par moment pour ne pas louper une marche dans le fil narratif, ce qui est assez dommage...
Il n'est pas à la portée de tout le monde ensuite pour son côté cash. L'auteur n'y va pas par quatre chemins et avec son écriture bien particulière, entre présent et réminiscences du passé, actions et hallucinations, il mène le lecteur au plus près de l'horreur. L'horreur à l'état brut. Pas celle d'un thriller bien ficelé qui attise en nous une peur que l'on aime ressentir, non, celle de la réalité. L'horreur dont est capable un homme, la déshumanisation d'une population, l'absence de sentiment. L'anéantissement, la destruction, le massacre, la tuerie de toute une population.
C'est avec la boule au ventre que le lecteur se plonge dans "Viens et vois". Il va, il monte dans ce bus direction Khatyn, il côtoie ces héros qui ont connu l'horreur, il voit à travers les yeux de Fliora, il entend et il n'oublie pas. Une lecture essentielle, plus particulièrement en ces temps de polémiques concernant l'arrivée des migrants en France. Toi aussi lecteur, viens et vois !
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Ce roman a été adapté au cinéma en 1985 par Elem Klimov sous le nom de "Requiem pour un massacre" :